ECOUTEZ, NOS MUSEES VOUS PARLENT…
C’est l’attraction de cette semaine : le Musée des civilisations noires, ouvert au public depuis ce mercredi 2 janvier.

Entrée libre et gratuite, pour l’instant, des gens qui vont en viennent, et des objets qui ont tant de choses à vous dire…Idem pour ceux-là qui ont élu domicile au Musée des Forces Armées ou au Musée Théodore Monod. Allez quand même voir par vous-mêmes…
L’entrée est libre, gratuite… Jusqu’à la fin de ce mois de janvier faut-il préciser, quand bien même il faut d’abord montrer patte blanche, avoir la courtoisie de confier son baluchon à l’indiscrétion des portiques de sécurité. Inauguré le 6 décembre dernier, le Musée des civilisations noires, alors prévu pour être la suite logique du 1er Festival mondial des arts nègres, celui de 1966, est officiellement ouvert au public.
Dans un français qui sent bon l’anglais, et où se glissent çà et là des mots de chez Shakespeare, Ursula a choisi son tout dernier jour de vacances, après un séjour en Casamance, pour voir, de ses yeux voir, le fameux Musée des civilisations noires. Il paraît que l’on parle de ce bijou jusque dans son pays, l’Autriche. Sur une station radio, on a d’ailleurs annoncé qu’il allait enfin ouvrir ses portes, comme on a aussi parlé de la «restitution du patrimoine africain». Son coup de cœur ? Difficile à dire, mais entre le «paléolithique» du rez-de-chaussée, et le fameux Faso Dan Fani, moins un morceau d’étoffe qu’un «symbole national depuis l’accession au pouvoir de Thomas Sankara» au Burkina Faso, autant dire que…son cœur balance. Mame Diarra venait justement du rez-de-chaussée lorsque nous l’avons rencontrée. Cette visite au Musée des civilisations noires ?
Une très «ludique» façon d’étudier l’Histoire, de la «retracer» comme elle dit, sans avoir à «rester en classe», sans parler de toutes ces nombreuses «découvertes», qui lui feront dire qu’il est juste impensable que nous soyons encore «en retard», avec une Histoire telle que la nôtre. Petit bémol selon elle : certaines photos pas légendées. La galerie de portraits féminins par exemple, sur tout un pan de mur, où l’on retrouve des visages aussi familiers que sainte Joséphine Bakhita, Annette Mbaye d’Erneville, Ellen Johnson Sirleaf, et toutes les autres. Sur l’écran de gauche, les visages défilent, malheureusement sans les noms. Mais comme dirait notre interlocutrice, avec indulgence, le Musée des civilisations noires, qui vient à peine d’ouvrir ses portes n’est peut-être pas tout à fait prêt (au rez-de-chaussée on installe justement quelques écriteaux), et devrait l’être dans «deux semaines». En attendant, les gens vont et viennent, un public hybride, qui prend la pose, jusqu’au très personnel seflie. Les préposés à la sécurité, brassard orange, veillent au grain, et l’on vous propose, de temps à autre, une petite visite guidée. Ce n’est pas la grande affluence (un vendredi soir entre 17h et 18h), mais les lieux sont bien loin d’être déserts. Entre les visiteurs et les objets eux-mêmes, il y a du monde…On vient pour les babouches couleur crème ou le très emblématique «bonnet carré» de Serigne Babacar Sy, les 15 questions-réponses entre le gouverneur général de SaintLouis et Cheikh Ahmadou Bamba, les quelques extraits du «Massalikal Djinan » (texte de Cheikh Ahmadou Bamba), dont celui-là, «La couleur de la peau ne saurait être cause de l’idiotie d’un homme ou de sa mauvaise compréhension». En plus des khassaïdes en sourdine. On y trouve aussi un espace consacré à ce qu’on a appelé le «Dialogue des masques», ceux de la Chine, à qui l’on doit en partie ce Musée des civilisations noires, des masques africains, naturellement, européens ou précolombiens.
CONDITION D’HOMO SAPIENS SAPIENS
Comme on y trouve, aussi, une exposition sur les œuvres primées lors des précédentes éditions de la Biennale de Dakar. Au rez-de-chaussée, on parle paléontologie, comme on parle de l’invention du fer, de la place du forgeron dans la société d’alors, de la céramique, de l’architecture dans l’Egypte pharaonique, de la Pyramide de Khéops et de ses «2.300.000 blocs de pierres de 2,5 tonnes», de la tétracycline, dont les Nubiens connaissaient déjà les propriétés il y a 2000 ans… Sans oublier le fameux miroir qui nous ramène, au propre, comme au figuré (c’est marqué dans la glace) à notre condition d’homo sapiens sapiens. Un peu plus tôt dans l’aprèsmidi d’hier, vendredi 4 janvier, notre petite visite commençait par le Musée des Forces armées, pas très loin du Théâtre National Daniel Sorano. Des visiteurs ? Mon ombre, chers lecteurs...Mais l’endroit n’est certainement pas inhabité : entre les laptots, ces «premiers soldats autochtones recrutés en 1765 à Gorée», pour servir la France, le fusil du tirailleur, «modèle 1861», le portrait de Maba Diakhou Bâ, Almamy du Rip, Alioune Macodou Sall, ou le 1er officier sénégalais de l’armée française, 1918 ou l’arrivée de Blaise Diagne en bateau, dans la peau du «recruteur» de tirailleurs, difficile de se sentir seul… Puis on découvre la pas très connue «Madame Tirailleur», que l’on autorisa à suivre son mari en «1876». Les épouses et les mères, lit-on, ne faisaient pas de la figuration : elles géraient le salaire, transportaient la poudre pour les munitions, n’hésitaient pas à monter au front, pour apporter un fusil chargé. On avait fini par comprendre que cette présence féminine, familiale, rendait le soldat plus «performant». Sans parler de cette représentation, tout ce qu’il y a de plus réaliste, des «tranchées», en octobre 1916 : l’étroitesse des lieux, leur côté labyrinthique, les gamelles, la marmite sur le feu, les blessés de guerre, les munitions, les grenades, etc.
Au Musée des Forces armées toujours, difficile de ne pas remarquer la salle qui porte le nom d’un héros contemporain, le Capitaine Mbaye Diagne, mort le 31 mai 1994 à Kigali, au Rwanda : l’explosion d’un obus à côté de son véhicule lui sera malheureusement fatale, «12 jours avant la fin de son service». Au Musée Théodore Monod, à côté de l’Assemblée nationale, deuxième étape de notre aventure, le public, comment dire, se compte sur les doigts de la main : un, deux… trois jeunes femmes occidentales. Quant aux objets, des emprunts faits au quotidien, ils vous parleront de la vie : les masques funéraires des Bété ou la trompe funéraire des Sénoufo en Côte d’Ivoire, l’écuelle en bois pour le lait des vaches, en milieu sérère, le pot de mesure chez les Diolas. Quant aux références à la maternité ou à la fertilité, disons seulement qu’elles sont récurrentes : la danse du Kagnalène, ou de la fécondité, chez les mandingues et les Diolas, les masques Nago des Yoruba au Bénin, qui protègent les mères à la naissance d’un enfant, ou la déesse Namba, ou son buste, qui trône au milieu de la salle du premier bâtiment, et dont les «seins aplatis», poitrine nue, raconteraient, à eux seuls, que la divinité a dû avoir beaucoup d’enfants. Quant à ses tresses, précises, faites de «rangées parallèles», elles évoqueraient les «sillons et les activités agricoles».