LE SOMMET DE LA SERVITUDE
Diomaye Faye, élu sur une rhétorique anti-impériale, s'extasiant sur le golf devant Trump. Cette scène résume à elle seule la rencontre du 10 juillet à la Maison Blanche, analysée par Africa Is a Country comme une "mascarade diplomatique"

(SenePlus) - Un spectacle désolant s'est joué à la Maison Blanche au début du mois. Cinq chefs d'État africains - du Libéria, du Sénégal, du Gabon, de la Mauritanie et de la Guinée-Bissau - ont été convoqués pour ce qui était présenté comme un sommet "axé sur le commerce". Mais derrière les fastes diplomatiques se cachait une réalité bien plus sombre : celle d'un continent réduit au rang de faire-valoir dans le grand théâtre trumpien.
Selon l'analyse de Will Shoki, rédacteur en chef de la revue Africa Is a Country, cette rencontre avait "tous les attributs de la diplomatie - drapeaux, fanfare, corps de presse de l'aile ouest - mais ce qui s'est déroulé à la Maison Blanche de Trump ressemblait davantage à de l'art performatif". Une mise en scène où Donald Trump "ressemblait moins à un hôte qu'à un hôtelier coincé dans un hall surbooké, impatient de faire partir tout le monde".
L'épisode le plus révélateur de cette mascarade diplomatique s'est produit lors de l'échange entre Trump et le président libérien Joseph Boakai. "Où avez-vous appris à parler un si bel anglais ?" a demandé Trump devant les caméras, dans un sourire narquois. Cette question, rapporte Africa Is a Country, "n'était pas seulement une gaffe, c'était une révélation. Elle a exposé la fine membrane séparant l'ignorance de la condescendance et révélé à quel point la compréhension de l'histoire africaine par la classe politique américaine reste superficielle".
Le fait que Trump ignore que l'anglais est la langue officielle du Libéria depuis sa fondation par d'anciens esclaves américains dans les années 1800 n'est pas surprenant. Mais que personne dans la salle ne l'ait corrigé en dit long sur la nature de ces échanges.
Plus troublant encore fut le comportement du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye. Cet homme qui incarnait "une rupture générationnelle avec la France" et dont l'ascension symbolisait l'espoir d'une Afrique émancipée, a passé son temps avec Trump à "s'extasier sur le golf". Comme le souligne l'analyse d'Africa Is a Country : "L'ironie était frappante : un réformateur populiste de gauche de Dakar, élu sur la base de protestations de masse et de rhétorique anti-impériale, s'inclinant publiquement devant les caprices d'un magnat de l'immobilier devenu autocrate."
Le bilan de ce sommet est édifiant. "Les dirigeants sont venus chercher des investissements, une coopération sécuritaire et un soutien diplomatique. Ce qu'ils ont obtenu, ce sont des séances photo, des accords de déportation et de vagues assurances qu'ils ne feraient pas face à de nouveaux tarifs douaniers américains, du moins pas encore", résume Will Shoki dans Africa Is a Country.
Le soi-disant "pivot" vers le commerce s'est révélé être une diplomatie des ressources déguisée. Trump a vanté les intérêts américains dans la mine de potasse de Banio au Gabon, présenté le Sénégal comme un hub énergétique émergent et loué la "coopération sécuritaire" de la Mauritanie. En contrepartie, il a poussé pour des accords de "pays tiers sûr" - des arrangements qui verraient les nations ouest-africaines accueillir des migrants expulsés d'ailleurs, notamment du Venezuela.
Cette proposition, qualifiée d'"absurde en apparence et effrayante dans ses implications" par l'analyste d'Africa Is a Country, révèle la vision trumpienne de l'Afrique : "non pas un continent d'égaux, mais un enclos pour le surplus stratégique de l'Amérique : migrants indésirables, minéraux de terres rares, risques d'investissement offshore".
Ce qui distingue cette approche des administrations précédentes, c'est "la suppression du masque", observe Will Shoki. Là où les gouvernements antérieurs "faisaient au moins des gestes vers les droits humains et la bonne gouvernance, même en négociant des accords sur les ressources et en soutenant des régimes dociles", Trump "se dispense de la prétention. Il fait du sous-texte un texte".
Le spectacle de la Maison Blanche a ainsi révélé "un portrait du monde tel que Trump aimerait le voir - ordonné, déférent et dirigé par des négociateurs". Quelques jours plus tard, il imposait des tarifs douaniers à tout le monde, de Bruxelles à Ottawa. Le message était clair : sous Trump, la diplomatie dépend moins de règles que d'humeurs, moins de coopération que de commandement.
L'analyse d'Africa Is a Country se conclut sur une question fondamentale : "Combien de temps accepterons-nous ce genre de traitement ? Nos dirigeants ont tendance à parler du colonialisme et de ses héritages durables. Mais que signifie invoquer cette histoire tout en marchant volontairement dans ses équivalents modernes ?"
Cette interrogation résonne particulièrement dans un contexte où les peuples africains aspirent à plus de dignité et de respect sur la scène internationale. Comme le conclut Will Shoki : "Il n'y a pas de dignité à être traité comme une pensée après coup. Aucune stratégie à confondre accès et respect. Vous ne pouvez pas gagner selon les termes de Trump. Jouez son jeu, et vous avez déjà perdu."