Aminata Mbengue est une jeune bien décidée à refuser la soumission imposée aux femmes - Les femmes sont prises comme des objets de consommation périssables
francetvinfo |
Martin Mateso |
Publication 05/09/2019
Aminata Mbengue est psychologue clinicienne à Dakar. Militante féministe assumée, elle fait partie de la génération sénégalaise de cyber-activistes. Parmi ses thèmes favoris sur les réseaux sociaux, elle plaide pour l'égalité hommes-femmes et contre les violences faites aux femmes dans son pays. Elle a décidé de prendre les devants pour dénoncer "le calvaire d’être une jeune fille au Sénégal". Tout est fait pour déposséder les femmes de leurs corps, de leurs droits, explique-t-elle à franceinfo Afrique.
Le corps de la femme est fétichisé, soumis aux regards critiques des hommes qui jugent et donnent des notes. Les femmes sont prises comme des objets de consommation périssables" - Aminata Mbengue, féministe sénégalaise à franceinfo Afrique.
Aminata Mbengue constate avec amertume que les violences sexuelles et sexistes sont endémiques au Sénégal. On les retrouve dans tous les milieux socio-culturels, dans l’espace familial, dans les écoles et dans les entreprises. Des violences qui ont fini par être banalisées, regrette-elle.
"Beaucoup de jeunes femmes portent le voile pour être tranquilles dans l’espace public. Pour se soustraire aux regards. Pour ne pas être embêtées", confie-t-elle à franceinfo Afrique.
"La culture du viol est bien ancrée dans la société"
La liste des victimes ne cesse de s’allonger. En mai 2019, le meurtre odieux d’une jeune femme, précédé d’une tentative de viol à son domicile de Tabacounda, dans l’est du pays, a conduit dans la rue de nombreuses femmes en colère. Aminata Mbengue dénonce le manque d'empathie de la part de certains de ses compatriotes et la banalisation des violences subies par les femmes. Des viols qui restent souvent couverts par la loi du silence. Les statistiques disponibles remontent à 2014. Quelque 3660 cas de viol ont été signalés en dix mois par l’association des juristes sénégalaises.
"Il y a un déni collectif qui participe à l’invisibilité des violences sexuelles. Il y a aussi la culture du viol qui est bien ancrée. On cherche à responsabiliser la victime. Elle était où ? Elle était habillée comment ?, entend-on dire. "C’est la double peine pour les victimes", se désole-t-elle.
"Non, les femmes ne sont pas des êtres vulnérables"
Aminata Mbengue rejette les stéréotypes de genre qui veulent que la femme soit émotive par nature et que les hommes soient plutôt virils. Des idées fausses qui causent des torts aux deux parties, déplore-t-elle. Elle estime qu’il est urgent de changer le discours sur la femme, présentée dans la société comme un être vulnérable. Un discours qui arrange les hommes et leur permet de perpétuer leurs privilèges, affirme-t-elle.
"Non, les femmes ne sont pas des êtres vulnérables qui ont besoin de protection. Ce sont les situations dans lesquelles elles se trouvent qui les affaiblissent. Ce sont les rapports inégaux, la discrimination qu’elles subissent qui les fragilisent", plaide-t-elle.
Et pour elle, il est impérieux de changer les rapports inégaux que la culture installe parfois de façon insidieuse entre filles et garçons dès leur jeune âge. "Quand on dit aux petits garçons qu’un vrai homme ne pleure pas, on lui apprend à réprimer ses émotions alors qu’on pousse très tôt les jeunes filles à se soucier et à prendre soin des autres. Cela impacte leurs choix ultérieurs et leur vie de couple", explique Aminata Mbengue.
A Dakar, la psychologue sénégalaise fait partie de celles qui militent en faveur de la criminalisation du viol. Il faut durcir les peines, martèle-t-elle. Elle réclame la reconnaissance par la justice de son pays du statut de victimes pour les femmes qui subissent ces violences. Une étape obligée pour leur réparation et leur guérison.
SASSOU PASSE PAR LA FORÊT CONGOLAISE POUR REVENIR À L'ÉLYSÉE
Pour la France, le président du Congo est de ces amis utiles en coulisses mais qu’on préfère garder loin des projecteurs. Une incarnation d’un temps ancien qui n’a pas encore disparu. L’homme est arrivé au pouvoir en 1979
Le Monde Afrique |
Laurence Caramel et Cyril Bensimon |
Publication 05/09/2019
Le premier échange bilatéral entre Emmanuel Macron et le président du Congo-Brazzaville a permis d’annoncer un accord sur la lutte contre la déforestation en Afrique centrale.
Le 11 juillet, Emmanuel Macron avait convié le gratin de la diaspora africaine pour échanger avec son invité du jour, le vivifiant président ghanéen Nana Akufo-Addo. Pour le Congolais Denis Sassou-Nguesso, avec qui il était prévu que l’entretien du mardi 3 septembre soit dominé par la protection de la forêt en Afrique centrale au moment où l’Amazonie flambe, l’Elysée n’a en revanche envoyé aucun carton d’invitation aux défenseurs de l’environnement.
Dimanche soir, la rencontre ne figurait pas à l’agenda que l’Elysée transmet chaque semaine à la presse. L’annonce du « déjeuner de travail » entre les deux présidents n’est apparue que mardi matin. « L’agenda n’était pas encore calé dimanche et cette visite n’avait pas vocation à avoir une sortie médiatique », dit-on dans l’entourage du chef de l’Etat français, réfutant toute volonté de dissimulation.
Pour la France, Denis Sassou-Nguesso est de ces amis utiles en coulisses mais qu’on préfère garder loin des projecteurs. Une incarnation d’un temps ancien qui n’a pas encore disparu. L’homme est arrivé au pouvoir en 1979. Il l’a reconquis par les armes en 1997 et tout porte à croire qu’il n’entend pas passer la main lors de l’élection prévue en 2021. Son principal opposant, le général Jean-Marie Mokoko, croupit en prison depuis 2016, condamné à vingt ans de réclusion pour « atteinte à la sécurité de l’Etat ». Et sa gestion des finances publiques, lorsqu’elle ne fait pas l’objet d’enquêtes de la justice française, comme dans l’affaire dite des biens mal acquis, est régulièrement épinglée par les ONG.
Un accord de 65 millions de dollars
Depuis son élection, Emmanuel Macron s’en était tenu à une poignée d’entrevues lors de réunions internationales et à quelques coups de fil. Le soin d’entretenir la relation bilatérale avec cet acteur de poids sur les dossiers de la Centrafrique ou de la République démocratique du Congo (RDC), également à la tête du Comité de haut niveau de l’Union Africaine sur la Libye, avait été laissé jusque-là au chef de la diplomatie, Jean-Yves Le Drian.
« Ne pas recevoir Sassou n’a pas amélioré les choses à Brazzaville. Le président traite l’Afrique comme elle est : en connectant la France à toutes ses possibilités, comme en utilisant les leviers que nous possédons dans certains pays francophones », plaide une source officielle.
En l’occurrence, plutôt que de conditionner ce premier tête-à-tête à une ouverture démocratique, la présidence française a accepté la rencontre après que le Congo a trouvé un accord avec le Fonds monétaire international (FMI), le 11 juillet. L’institution a accordé à Brazzaville un plan d’aide de 448,6 millions de dollars (environ 410 millions d’euros) sur trois ans, en contrepartie notamment d’une restructuration de la dette envers la Chine et d’un grand nettoyage des finances de l’Etat.
Sans en faire la publicité, Paris a insisté pour que l’entrevue organisée mardi coïncide avec l’annonce d’un accord de 65 millions de dollars pour la protection des forêts congolaises. Ce projet, en discussion depuis plusieurs mois dans le cadre de l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI), aurait dû être officialisé le 23 septembre à New York, en marge de l’assemblée générale des Nations unies. Lancée en 2015, cette initiative qui a pour objectif de financer la protection des forêts des six pays du bassin du Congo rassemble plusieurs bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux. La Norvège est de loin le plus important contributeur.
Mais après le G7 de Biarritz, où Emmanuel Macron s’est posé en avocat de la lutte contre la déforestation, la visite de Denis Sassou-Nguesso est soudain apparue comme l’occasion parfaite de donner corps aux promesses faites aux Africains. « La forêt brûle également en Afrique subsaharienne. Nous sommes en train d’examiner la possibilité d’y lancer une initiative similaire à celle que nous venons d’annoncer pour l’Amazonie », avait tweeté Emmanuel Macron depuis Biarritz, le 26 août. La France, qui exerce la présidence de la CAFI jusqu’à la fin de l’année, a demandé à accélérer l’agenda, pour la plus grande satisfaction du maître de Brazzaville, qui aime à se présenter comme soucieux d’environnement et de développement durable.
Découverte d’hydrocarbures
La forêt couvre 70 % du Congo, soit l’équivalent de la Grèce et du Portugal réunis. « Il s’agit d’un engagement au plus haut niveau qui témoigne de l’importance que le Congo accorde à ses forêts. Après des années d’efforts, cela est enfin reconnu », commente la ministre de l’environnement et du tourisme, Arlette Soudan-Nonault, présente à Paris.
Les 65 millions de dollars promis mardi dans la lettre d’intention signée avec la CAFI doivent permettre de soutenir la mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts. Parmi les engagements figure celui de ne pas dépasser 20 000 hectares de défrichement par an, en dehors des zones les plus riches en termes de stockage de carbone et de biodiversité, qui devront être épargnées.
Mais il est surtout inscrit que le pays ne favorisera pas d’activités qui entraîneraient le drainage et l’assèchement des tourbières dont il possède, avec la RDC voisine, les étendues les plus vastes en milieu tropical. S’agit-il d’une garantie de ne pas livrer à l’exploitation pétrolière ces zones marécageuses, gigantesques réservoirs de carbone (30 milliards de tonnes de CO₂, soit l’équivalent de trois années d’émissions mondiales liées aux énergies fossiles) ?
Plusieurs blocs d’exploration ont déjà été attribués dans la région de la Cuvette centrale, où se trouvent ces tourbières. Et l’annonce de la découverte d’hydrocarbures dans l’un d’entre eux (Ngoki 1), le 10 août, par la Société africaine de recherche pétrolière et distribution (SARPD-Oil), a relancé les inquiétudes. « Ngoki 1 n’est pas dans les tourbières, réfute la ministre. Mais il est temps de prendre conscience que l’urgence climatique n’est pas seulement en Amazonie. Les objectifs de l’accord de Paris sur le climat ne seront pas atteints sans le bassin du Congo. Pourtant nos pays n’ont rien reçu, comparés au Brésil ou à l’Indonésie. Pourquoi ? »
La rapidité de la déforestation en Amazonie et en Indonésie explique que les bailleurs de fonds étrangers ont concentré leurs premiers financements sur ces deux bassins tropicaux. Mais la mauvaise gouvernance commune aux pays de la région justifie aussi leur frilosité. En RDC, où la CAFI a signé un premier accord de 200 millions de dollars en 2016, le financement des programmes d’aménagement forestier a dû être suspendu après l’attribution illégale de concessions par le gouvernement. Au Congo, tous les fonds transiteront par des agences de coopération étrangères. L’urgence n’exclut pas le réalisme.
VIDEO
L'AFRIQUE DU SUD FERME SON AMBASSADE AU NIGERIA
Vives tensions entre Pretoria et Lagos après les violences xénophobes en Afrique du Sud
EXCLUSIF SENEPLUS - Le Sénégal avec la polémique sur son fer de la Falémé, serait-il assez illustratif de cette autre ‘’les Afriques’’, cette ‘’les Afriques’’ de la mondialisation de connivence et des choix politiques pernicieux ? - AFRICAN GLOBAL NEWS
Mon ami mauritanien Adama Wade (Financial Afrik) et son ex-associé marocain Abderrazzak Sitail, à travers la société Séquence Média, avaient vu juste d’appeler leur journal hebdomadaire économique et financier de l’époque (en 2007), ‘’Les Afriques’’. Oui, il y a vraiment des Afriques. Tant du point de vue du contenant (géographie physique) que du contenu (trajectoire des pays et des blocs régionaux).
D’abord, sur le plan de la géographie physique. Oui, il y a lieu de parler des Afriques. L’Afrique au pluriel, est le seul continent au monde qui est coupé en deux parties égales par l'Équateur (la ligne imaginaire et qui n’est pas si imaginaire que cela…). Ce qui fait que cette Afrique au pluriel, a une partie immergée dans l’hémisphère Sud et une partie dans l’hémisphère Nord. Conséquence, cette géographie de l’Afrique au pluriel, au centre du monde, lui confère une symétrie parfaite des climats et des écosystèmes qui en résultent, avec quatre régions climatiques identiques de part et d’autre de l'Équateur : le climat méditerranéen (au Maghreb et en Afrique du Sud), le désert du Sahara (au Nord de l’Equateur) et le désert de Kalahari ( au Sud de l'Équateur), la bande Soudano-sahélienne (au Nord comme au Sud de l’Equateur) et la Zone tropicale humide (au Nord comme au Sud de l’Equateur). Ainsi, l’Afrique au pluriel, peut cultiver toutes les cultures au monde et deux fois par saison, grâce à ses atouts géo-climatiques identiques et complémentaires. Cà, c’est le contenant.
Ensuite, du point de vue caractéristique, cette Afrique au pluriel, qui ne saurait être dans une quelconque course contre la montre encore moins dans une logique de rattrapage de qui que ce soit sinon qu’à elle même, fait sa marche, fait son chemin, à son rythme, à son tempo et à sa cadence. Cette caractéristique de cette Afrique au pluriel, donne à voir que les cinq grands ensembles sur le continent (Afrique du Nord, Afrique de l’Ouest, Afrique du Centre, Afrique de l’Est et Afrique Australe), ont chacun leur propre rythme d’évolution. En Afrique du Nord, trait d’union et zone de tampon entre la méditerranée et l’atlantique, entre l’Afrique, l’Europe et le Moyen-orient, entre le Sahara et le Sahel, seuls le Maroc et la Mauritanie s’en sortent le mieux. L’Afrique de l’Ouest - portées par le trio Nigéria-Ghana et Côte d’Ivoire, et l’Afrique du Centre - portée par le trio Angola-Guinée équatoriale et Cameroun - sont certes plus riches en dotations factorielles (ressources de toutes sortes) mais aussi plus livrées au chaos (terrorisme ; immigration irrégulière ; sous-emploi). Quant à l’Afrique de l’Est sous la houlette de l’Ethiopie et du Kenya et l’Afrique Australe sous le mastodonte l’Afrique du Sud, cette Afrique est plus connectée à la globalisation et plus en avance dans le domaine des innovations technologiques et de la finance.
Enfin, dans le contenu, oui il y a des Afriques. Il y a les Afriques qui osent (comme le Maroc, la Mauritanie, la Guinée équatoriale, le Ghana,....). Il y a les Afriques des repositionnements inédits (comme l’Ile Maurice, le Rwanda, le Botswana, le Cap-Vert,....). Il y a des Afriques des reclassements significatifs (Kenya, Ethiopie, Nigeria, Afrique du Sud, Côte d’Ivoire). Il y a aussi des Afriques qui pourtant bouillonnent, certes, mais ne semble pas vraiment reprendre leur destin en main.
Ces Afriques qui osent, qui innovent, ces Afriques qui ont repris leur destin en main et qui ont fini de renégocier leur place dans la globalisation, sont aussi traversées par des fractures culturelles, sont aussi dotées d’une classe politique d’inégale qualité, sont aussi balayées par les vents forts de la mondialisation culturelle et des échanges. Mais cela ne les a pas empêchées de réaliser cette Afrique des possibles, longtemps absente des imaginaires collectifs et des récits médiatiques. Parce que ces Afriques qui se transforment, ont accepté la complexité du progrès, se donner les moyens de mieux comprendre leurs faiblesses pour mieux en compenser les effets pernicieux. Avant de faire dans la différence et dans l’altérité.
Par contre, ‘’l’Autre les Afriques’’, les Afriques qui bougent, pourtant, mais ne progressent (véritablement) pas, les Afriques qui pourtant bouillonnent de l’intérieur (les peuples) mais dont les décideurs ont fait fausse route en s’égarant sur les chemins de l’émergence, ces Afriques-là, semblent opter pour devenir et rester des GSM (Gentils Spectateurs de la Mondialisation), en demeurant et en restant de simples enjeux, l’enjeu des autres, au lieu de devenir des acteurs, leur propre acteur. Cette ‘’Autre les Afriques’’ sont toujours dans les logiques de choix politiques simplificatrices qui rassurent, certes, mais génèrent, en définitive, un surplus d'incertitudes et de surprises stratégiques. Les pays subissent leur géographie mais construisent leur histoire, leur propre histoire’’, parce qu'il ne saurait y avoir de fatalité pour l’Afrique, il n y a que de mauvais choix politiques et stratégiques de ces dirigeants dans cette ‘’Autre les Afriques’’ qui se répercutent sur tout.
NB: Le Sénégal, avec la polémique sur son fer de la Falémé, serait-il un pays assez illustratif de cette ‘’Autre les Afriques’’, cette ‘’les Afriques’’ de la mondialisation de connivence’’ et des choix politiques et stratégiques pernicieux ?
Il fallait sans doute s’attendre à ce que l’opposition significative réserve un accueil froid à l’initiative du président Alpha Condé de concertations avec les forces vives du pays
Demba Ndiaye de SenePlus, envoyé spécial à Conakry |
Publication 05/09/2019
Il fallait sans doute s’attendre à ce que l’opposition significative guinéenne réserve un accueil froid à l’initiative du président Alpha Condé de concertations avec les forces vives du pays.
En effet, en parcourant la presse de Conakry de ce matin, on remarque que les Échos politiques sont hautement dubitatives. L’ancien Premier ministre sous Lansana Conté, et ministre conseiller du président Condé pendant un peu plus de deux ans, Sidya Touré, a quasiment opposé une fin de non recevoir à l’initiative du président guinéen.
Pour lui, le président Condé aurait dû dire aux guinéens, ce qu’il a fait « pour les routes, les hôpitaux, l’école..; ». Le chef de fil du deuxième parti de l’opposition guinéenne campe sur la sempiternelle ligne de « troisième mandat ».
Quant au parti du principal opposant, Cellou Dalein Diallo, par la voix de vice-président, Fodé Oussou, « le président Condé n’a pas franchi le rubicond « (sic !), autrement dit, il n’a pas dit ce qu’ils voulaient entendre : pas de référendum » pas « de troisième mandat ». Voilà à quoi est réduit le débat politique, publique en Guinée.
Pris de court par le discours présidentiel, l’opposition réunie au sein du Front National de défense de la Constitution (FNDC) devait tenir une conférence de presse ce jeudi après midi. Une occasion de savoir quel sort sera donné à ces concertations. Même si on ne sait pas encore quelle sera la position des autres acteurs : la société civile et les syndicats.
par Hamadou Diagne Syr Diallo
LA CONSTITUTION SÉNÉGALAISE, UNE PROPRIÉTE PRIVÉE DU POUVOIR EXÉCUTIF !
EXCLUSIF SENEPLUS - La priorité aujourd’hui, c’est d'oeuvrer pour des institutions sécurisées, stables, viables, à l’abri des incertitudes, de la mégalomanie et de la dictature tyrannique des aventuriers de tout bord
Hamadou Diagne Syr Diallo |
Publication 05/09/2019
« Dans la dramatique nuit du 17 au 18 décembre (1962) une délégation de l’armée vint me voir à 5 heures du matin. Je descendis en pyjama, ma Constitution à la main. J’expliquais calmement quelles étaient les dispositions de la Constitution pour la circonstance et pourquoi, étant donné la situation, j’avais pris les pleins pouvoirs (art 14). Je conclus que, pour l’honneur et dans l’intérêt du Sénégal, leur devoir était d’obéir au président de la République. Mais… ils pouvaient bien sûr … prendre le pouvoir …… Dans sa réponse, le colonel Jeans Alfred Diallo, qui conduisait la délégation, me dit que l’armée obéirait à la loi » (président Senghor 1980) (1).
Honneur et hommage à notre armée qui a su faire montre de patriotisme, de légalisme, d’esprit républicain et citoyen.
Quelle belle leçon donnée à nos dirigeants politiques qui, pour s’éterniser au pouvoir, violent, défigurent les procédures, nos institutions en général et notre Constitution en particulier. Cette pratique anti-démocratique, anti-républicaine qui caractérise, peu ou prou le comportement de tous les présidents et gouvernements du Sénégal depuis 1963, après la crise et les évènements douloureux de 1962, qui opposèrent le président de la République L. S. Senghor et Mamadou Dia président du Conseil ou Premier ministre d’alors. En effet, depuis 1963 et jusqu’à son départ volontaire du pouvoir en Décembre 1980, le président Senghor s’arrogea tous les droits et tous les pouvoirs sans partage en instaurant au gré des évènements un régime présidentiel ou présidentialiste monocéphale, malgré la nomination d’un Premier ministre à partir de 1970, et monocaméral, rompant ainsi avec le régime parlementaire qui a prévalu de 1960 à Décembre 1962, dont les grandes lignes de la Constitution se trouvaient dans les Constitutions du 24/02/1959 (applicable au Sénégal et du 22/01/ 1959 applicable à la brève Fédération du Mali » (Pr Kader Boye) (2). Le contexte politique de 1960 à 1976 (date du multipartisme limité) est caractérisé par le règne du Parti unique, du Parti-Etat avec cumul de la fonction de ministre et de député pour l’essentiel, et il n’existait aucune opposition parlementaire. Dans ces conditions, le respect du formalisme et des procédures pour procéder à des réformes institutionnelles n’est pas très souvent de mise. On notera qu’il n’y aura pas moins de 8 révisions constitutionnelles depuis 1960 dont 6 révisions jusqu’en 1978 (la dernière sous Senghor). On notera que sous Senghor, toutes les modifications constitutionnelles se sont faites sur fond de tensions politique, économique et sociale, ce qui laisse supposer que l’objectif principal des ces révisions était de trouver des solutions à ces crises tout en raffermissant le pouvoir du président de la République. On notera aussi la question de la primauté du Parti-Etat sur les institutions en général et la Constitution en particulier sous tous les présidents sénégalais depuis 1960 jusqu’à nos jours, en s’appuyant sur une Assemblée Nationale godillot et une majorité parlementaire mécanique.
Il s’avère que toutes les révisions constitutionnelles opérées depuis 1963 à nos jours l’ont été à l’initiative de l’Exécutif sauf en 1976, quand pour faire du Premier ministre le « dauphin héritier » du président de la République (art. 35 de la Constitution), c’est suite à une proposition de loi, ainsi qu’en 1984 (suite encore à une proposition de loi) pour réduire la durée du mandat du président de l’Assemblée Nationale de 5 ans à 1 an.
En outre, toutes ces mêmes révisions ont eu pour objet de modifier l’équilibre entre les pouvoirs législatif et exécutif en faveur de ce dernier, et elles tournaient autour de la durée et du nombre de mandat du président de la République, de la suppression ou de la restauration des droits de dissolution et de motion de censure, de la suppression ou de la restauration du poste de Premier ministre et du gouvernement en tant qu’institution, de la réduction de la durée du mandat du président de le l’Assemblée Nationale. Mais à chaque fois, les procédures soit n’ont pas été respectées soit, elles sont été viciées.
Cependant, à la décharge du président Senghor, un tant soit peu, il faut souligner le fait qu’il ait soumis au référendum le changement de régime en 1963 (passage du régime parlementaire à celui présidentiel avec suppression du poste de Premier ministre alors même qu’il disposait d’une majorité confortable à l’Assemblée Nationale (contexte du parti unique et où les ministres étaient député en même temps à hauteur de 20% à l’Assemblée Nationale) pour une adoption parlementaire, d’une part et qu’il ait respecté une certaine procédure , d’autre part.
Ainsi impose-t-il de relever qu’au paravent, c’est une loi constitutionnelle du 18/12/1962 qui autorisait le président Senghor de proposer une nouvelle Constitution. A cet effet, il créa une commission consultative composée de hauts magistrats (4 juristes) dont Kéba Mbaye et d’un universitaire pour rédiger un projet de constitution qui sera soumis au président de l’Assemblée Nationale, à une commission parlementaire spéciale ainsi qu’au gouvernement avant d’être soumis au peuple par référendum. Les conclusions, avec l’approbation du Conseil national de l’UPS, parti unique, recommandaient l’instauration d’un régime présidentiel et la suppression du poste du Premier ministre (Président du Conseil). Par cette même occasion fut introduit le parrainage, pour être candidat à la présidentielle, par 50 électeurs dont 10 députés (un leurre). Paradoxalement fût envisagé l’idée de l’élection d’un président de la République et d’un vice-président en même temps, mais finalement elle fût abandonnée en raison du syndrome de 1962.(3)
En même temps, les droits de dissolution et de motion de censure étaient supprimées et les ministres étaient "serviteurs" du président de la République qui les nommait et les révoquait à sa guise.
Le régime politique de la Constitution de 1963 et même ceux d’après, est spécifique du Sénégal (Certains comme le Pr Madani Sy parle de régime « innommé », car il est différent du modèle américain comme du modèle français ou anglais.
Pour justifier le passage d’un régime parlementaire avec suppression du poste Premier ministre (PM) et la concentration de tous les pouvoirs entre les mains du président de la République (PR) instaurant de fait une monocratie, le président Senghor dira : « à vrai dire, les structures de notre Etat, notre Constitution sont plus responsables de cette douloureuse affaire que le caractère des hommes ». Pour lui, il avait découvert par cette expérience, que le pouvoir exécutif bicéphale institué par la Constitution de 1960 ne fonctionnait pas de manière satisfaisante » )(4).
Ce système de pouvoir personnel autocratique va perdurer jusqu’en 1976, date du multipartisme limité à 4 courants idéologique, nonobstant les révisions constitutionnelles de 1967 et de 1970 qui consacre le statut de « dauphin héritier » du PM pour succéder au président de la République en cas d’empêchement.
En effet, on vivait dans un contexte de crise économique, politique et social marqué par plusieurs années de sécheresse avec comme corollaire le malaise paysan, les luttes internes au sein de l’UPS qui occasionnèrent l’assassinat du député Demba Diop, l’attentat manqué contre le président Senghor par Moustapha Lo qui sera exécuté durant l’année 1967. En outre, se profilaient à l’horizon les évènements scolaires et universitaires de Mai 1968 qui verront l’enrôlement, de force, dans l’armée des dirigeants estudiantins qui se soldera par la mort de Al Ousseynou Cissé au front Sud, en Casamance pendant la guerre de libération nationale du PAIGC, la mort de l’étudiant Omar Blondin Diop, un patriote engagé etc….. Dans ce climat où le Sénégal est au bord de l’implosion, il apparut au président Senghor, comme dans l’opinion publique, que le système monocratique, fondé sur un présidentialisme fort et un parti-Etat, unique omniprésent, n’avait pas donné les résultats escomptés et qu’il fallait procéder d’urgence à une libéralisation du régime, lâcher du lest. Ainsi opéra-t-on une réforme constitutionnelle en 1967 qui entrainera la suppression du parrainage institué en 1963, le retour des droits de dissolution et de motion censure (ce qui est une hérésie pour un régime présidentiel) la compatibilité entre fonction de député et celle de ministre (autre hérésie) et qui plus permet au ministre révoqué de garder son poste de député, on allonge la durée du mandat présidentiel de 4 à 5 ans, etc.
Il va sans dire que cette réforme n’offre aucune avancée démocratique quant au fond, mais constitue un leurre pour renforcer le pouvoir exécutif et calmer les esprits ; il ne modifie guère la nature monocratique du régime. Quant à la réforme constitutionnelle de 1970 (référendum 26/02/1970), elle traduit encore d’avantage l’échec du présidentialisme…qu’un auteur comme Zuccarelli qualifie de « syncrétisme du régime présidentiel qui renforce l’exécutif et tout et de tout ce qui est le parlementarisme adapté et abaisse le législatif » ou de « semi dictature », selon Maurice Duverger. (5).
A la demande du président Senghor, en 1968, le BOM (Bureau Organisation et Méthode), fût chargé de réfléchir et d’analyser la fonction présidentielle. Ensuite ce fut autour du « Club Nation et Développement » de mener le même travail en 1969. Tous les deux (2) arrivèrent au même constat sur les effets négatifs de la concentration excessive du pouvoir entre les mains du président de la république et qui aboutissait au « Ponce-pilatisme ».
S’appuyant sur les conclusions des enquêtes et des travaux de ces deux entités, une commission de réforme constitutionnelle fût créee ; elle proposa la réforme de la Constitution et la création du poste de Premier ministre pour décharger le président de la République et rationnaliser l’administration. Cette réforme se voulait à la fois une décentralisation fonctionnelle de l’exécutif et une décentralisation de l’administrative de l’Etat (loi 72.25 du 25 Avril 1972 qui crée les communautés rurales).
Dans l’exposé des motifs, il était dit que « la concentration du pouvoir exécutif a eu pour résultat de fournir trop souvent un prétexte commode à tous les agents de l’Etat pour se décharger de leur responsabilité sur le président de la République. Cette situation avait finalement engendré un esprit général de « Pouce-pilatisme » néfaste au bon fonctionnement des services publics » (6). Les résultats attendus devaient donc être la rationalisation des méthodes de management gouvernemental pour plus d’efficacité et d’efficience.
Loin d’être un retour au bicéphalisme de 1960-1962, le Premier ministre (chef du gouvernement) est soumis à l’autorité du président de la République qui détermine la politique de la Nation (art.36). La révision réintroduit les droits de dissolution de l’Assemblée Nationale et de censure du gouvernement qui est responsable à la fois devant le Président de la République et devant l’Assemblée Nationales (art. 75, régime dualiste). Ceux sont les mêmes dispositions que l’on retrouve dans la Constitution de 2001, aujourd’hui décriées et à juste titre.
Il va sans dire que cette réforme constitutionnelle ne s’accompagne pas d’une extension des pouvoirs de l’Assemblée Nationale et ne renforce pas la démocratie en tant que tel car tous les pouvoirs du Premier ministre sont délégués, dans un contexte de parti-Etat et de pouvoir personnel.
Par ailleurs, le Pr Ibrahima Fall estimait à l’époque que « la création du poste de PM renforçait la position du président de la République car….le PM va exécuter toutes les mesures, y comprises les plus impopulaires et le président va lui-même rester à l’écart »(7). Cependant, il estimait que « le Sénégal avait franchi le premier pas vers la démocratie véritable, à condition que le pluralisme ait la possibilité de se développer « (8).
Toujours dans l’exposé des motifs, le président Senghor estimait que la révision n’était pas une affaire politique mais était un problème de développement. On cherchait également à « parvenir à une collaboration étroite et fructueuse entre le présidentde la République, le gouvernement et le Parlement »(9).
Néanmoins, on ne peut pas s’empêcher de penser que derrière cette modification se cachaient des arrière-pensées politiques, à savoir une volonté de régler la succession à la tête de l’Etat en institutionnalisant le dauphinat.
A ce propos, on peut convenir dans ce contexte d’alors avec des observateurs et des analystes politiques comme Ajami qui disait « Ainsi donc le bicéphalisme ou la déconcentration de l’exécutif n’ont aucune signification pratique tant en Tunisie qu’au Sénégal ; ce ne sont à notre avis que des étapes transitoires, destinés à préparer dans l’un et l’autre pays, la succession du président en fonction » (10). Il faut noter que cela a réussi au Sénégal et pas en Tunisie car le PM Hedi Nouiria décèdera avant et l’armée prendra le pouvoir plus tard. Le projet de loi constitutionnelle de 1970 sera approuvé par référendum (n°70- 25 du 26 février 1970).
Dans le prolongement et la continuité de 1970, le président Senghor toujours de manière unilatérale procèdera à une nouvelle révision de la Constitution en 1976. Entre autres modifications, il s’agissait de faire du PM le dauphin du président de la République, comme un prince héritier au détriment du président de l’Assemblée Nationale (fonction occupée à cette époque par Amadou Cissé Dia, un des barons du régime).
En effet l’article 35 de cette Constitution dispose : « en cas de décès ou de démission du président de la République ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par la Cour suprême, le PM exerce les fonction du président de la République jusqu’à l’expiration normale de son mandat en cours. Il nomme un nouveau Premier ministre et un nouveau gouvernement dans les conditions fixées par l’article 43 » (11)
Outre était abrogée la disposition introduite en 1970, qui limitait le nombre de mandat présidentiel à deux (2) pour le rendre illimité. Il faut noter aussi que ces dispositions majeures ont été adoptées sans débat et à l’unanimité par l’Assemblée Nationale suite, en plus le comble, par une proposition de loi introduite par sept (7) députés.
Ainsi, les députés venaient-ils de se faire hara-kiri et d’entériner l’abaissement de leur institution, l’Assemblée Nationale, dont le président était le successeur désigné du président de la République en cas de vacance du pouvoir. C’était une première au Sénégal. On peut supposer là aussi que le président Senghor misait sans doute sur le rajeunissement des dirigeants politiques, pendant que l’UPS devait PS suite à son adhésion à l’Internationale Socialiste.
Le PDS qualifia de « manœuvres inadmissibles », ces modifications en en 1978, de « coup d’Etat constitutionnel » par l’opposition d’alors. Un journal d’un parti de l’opposition, And Jeff, titrait dans son journal, après l’intronisation du PM, Abdou Diouf suite à la démission du président Senghor, « un homme seul choisi par un seul homme » en 1980.
Il apparait donc clair que les neuf (9) révisions constitutionnelles opérées par le président Senghor sur les Constitution de 1963 l’ont été selon son bon vouloir, avec des institutions acquises à sa cause pour renforcer le pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif.
NB : Lois constitutionnelles portant révision de la Constitution de 1962. (11)
Loi constitutionnelle du 18/12/1962 et de Constitution de 1963
Loi n°67-32 du 20 juin 1967
Loi n° 68-02 du 14 mars 1968
Loi n° 70-15 du 26 février 1970
Loi n° 76-01 du 19 mars 1976
Loi 76-27 du 6 avril 1976
Loi ………………………1978
Quant au président Abdou Diouf, en janvier 1981, il nommait Habib Thiam PM, après son intronisation, grâce à l’article 35 de la Constitution, Ironie de l’histoire, Habib Thiam en tant que président du groupe parlementaire du PS, avait défendu le projet de loi constitutionnelle (art. 35 de la Constitution) qui faisait désormais du PM le « prince héritier » du président de la République en cas de vacance du pouvoir, laquelle réforme selon lui se faisait au détriment du président de l’assemblée Nationale (12). Aveux de taille sur la soumission de l’Assemblée Nationale qui accepte de se voir dépouiller de ses pouvoirs.
Pour la formation du gouvernement, contrairement aux prescriptions constitutionnelles, le président de la République remet au PM « la liste des personnes qu’il souhaitait voir dans son gouvernement, en même temps que leurs postes respectifs ».(Alors que selon la Constitution, le PR nomme les ministres sur propositions du PM. (13).
Ces deux faits combinés traduisent une situation, une réalité « tragi-comique » quant à l’exercice du pouvoir présidentiel à la fois vis-à-vis de l’Assemblée Nationale, du PM. On convient donc avec le président Senghor lorsqu’il disait que « la politique n’est pas le règne de la justice »(14). Cela donne un éclairage sur le statut réel du PM et confirmation en sera donnée encore en 1983.
En effet, début avril 1983, le président de la République convoque son PM (Habib Thiam) pour lui signifier la suppression de son poste en lui disant : « voilà le système actuel, avec un président de la République et un PM n’est pas valable. Moi-même dans le passé j’en ai souffert… Et un jeune président de République n’as pas besoin d’un Premier ministre….. Je vais donc proposer une réforme constitutionnelle, supprimant le poste de PM et renforcer les pouvoirs de l’Assemblée Nationale dont tu vas devenir le président, et ainsi, tu seras le deuxième (2e) personnage de l’Etat ». (15). Ainsi dit, ainsi fait, après le message à la Nation. Lors de son message à la Nation du 30/04/1983, le président Abdou Diouf annonce, à la surprise générale la suppression du poste de Premier ministre et du gouvernement en tant qu’institution, en évoquant « la nécessité pour le gouvernement de plus d’efficacité, de rapidité et de simplicité », d’où la loi 83-55 du 01/05/ 1983 portant révision de la Constitution). Seront supprimés aussi les droits de dissolution et de motion de censure (16). Le plus cocasse est que, pour la suppression du poste de PM, un PM éphémère de transition fût nommé en la personne de Moustapha Niasse le 03/04/1983 pour solder les comptes de la primature. Il perdit son poste de PM le 10/05/1983 en se faisant hara-kiri. (le président Macky Sall fera la même chose avec Boune Abdalah Dione en 2019). Comme pour la formation du gouvernement en 1981 en faisant une entorse à la Constitution, le président Abdou Diouf nomme Habib Thiam président de l’Assemblée Nationale et lui donne les noms des autres membres du bureau ce celle-ci sans le consulter, lesquels membres étant désignés avant leur « élection » le lendemain.)(17). Ceci amena Habib Thiam à se dire ; « je me retire de la politique qui ne m’inspire que mépris et dégout ».
Peu de temps après le PR demande au président de l’AN, et ancien PM, son « avis » sur une prochaine révision constitutionnelle pour réintroduire les droits de dissolution et motion de censure, tout autant que le PM de transition, Moustapha Niasse. Sous forme de proposition de loi,.. ». (18). Ainsi demandait-on au président de l’AN et aux parlementaires de se faire hara-kiri ». (19). Macky Sall demandera et obtiendra le même hara-kiri aux sénateurs lors de la suppression du Sénat avec la loi constitutionnelle n° 2012- 16 du 28/092012.
Le vote de cette loi sera la goutte qui fait déborder le vase trop plein du président de l’AN (Habib Thiam) qui dira : « en réduisant mon mandat de cinq (5) à un (1) an, on voulait me rendre plus souple et m’humilier en même temps. …. Je ne pouvais accepter une loi violant le principe sacré de la non rétroactivité ni d’ailleurs une loi de circonstance élaborée uniquement dans l’intention de détruire un ennemi » (21).
L’histoire se répètera avec Me Wade pour éliminer Macky Sall, alors président de l’AN, par la loi Sada Ndiaye et Macky démissionnera du PDS ainsi que de toutes ses fonctions dans le cadre de ce parti. Mais paradoxalement, il maintiendra cette disposition vis-à-vis de Moustapha Niasse, président de l’AN.
En janvier 1991, le président A. Diouf reçoit son ami Habib Thiam pour lui dire « la suppression du poste de PM en 1983 était une erreur et qu’il envisageait son rétablissement » (à noter 10 ans plus tard), ce qui supposait une modification de la Constitution , à condition que tu acceptes la responsabilisation du poste de PM rétabli et Habib Thiam sera nommé le 07/04/1991, chef de gouvernement pour la deuxième fois sous Diouf, gouvernement de majorité présidentielle élargie (composé du PS, du PDS et du PIT).
En 1993, année électorale pour la présidentielle, pour maintenir la cohésion gouvernementale « Abdou Diouf pensa avoir trouvé la solution en proposant à Abdoulaye une réforme des institutions avec la création d’un poste de Vice-président de République, tout en maintenant celui de PM. Famara Ibrahima Sagna fût utilisé pour accomplir cette tâche.Une telle construction était un monstre juridique, qui accoucherait de conflits au sein de l’exécutif, au détriment de l’efficacité gouvernemental », selon Habib Thiam. La sortie d’Abdoulaye Wade du gouvernement mit un terme à ce projet.
Abdoulaye Wade, devenu président de la république voulut instituer ce même « monstre juridique » en 2011, avalera son régime grâce à la mobilisation par des forces vives de la nation (M23).
Concernant A. Wade, il s’inscrira dans sa pratique sur la même logique que ces prédécesseurs, qui avaient à plusieurs reprises, selon les circonstances et leurs intérêts personnels changé la nature du régime. Le régime bicaméral de Diouf disparaîtra la Constitution du 22/01/2001 pour réapparaître en 2007(loi constitutionnelle no 2007-06 du 12/02/2007) et qui fera du président du Sénat le second personnage de l’état, devant suppléer le président de la république en cas de vacance du pouvoir. Un sénat à la napoléonienne.
Il exprime dans la constitution presque consensuelle du 22/01/2001, en dépit de son caractère quasi monarchique, son intention d’instaurer un « régime parlementaire rationalisé (mais en réalité ce sera un régime hyper-présidentiel, voire autocratique) fondé sur l’équilibre, la collaboration et l’existence de moyens d’actions réciproques entre les pouvoirs…avec un rééquilibrage au sein de l’exécutif par le renforcement des pouvoirs du Premier ministre. » (27). Cependant, il apparaît clair que, hier comme aujourd’hui, les pouvoirs du Premier ministre demeurent des pouvoirs délégués tributaires du bon vouloir du prince, dans un régime dualiste. On note que la plupart des modifications constitutionnelles intervenues au Sénégal depuis1963, ont eu pour objet de changer l’équilibre des pouvoirs en faveur de l’exécutif et /ou de changer de régime politique.
La suppression du Conseil de la république pour les affaires économiques et sociales (CRAES) (loi constitutionnelle no 2008-31 du 07/08/2008 immédiatement remplacé par le Conseil économique (loi constitutionnelle no 2008-32 du 07/08/2008), tendait à déchoir le président de cette institution (feu Mbaye Jaques Diop). Me Wade « lui demandera de lui rendre ce qu’il lui avait donné ». Il en fut de même avec Macky Sall en 2009 avec le raccourcissement de son mandat de président de l’Assemblée nationale pour régler des comptes politiques. Me Wade lui dira « Tu dois me rendre ce que je t’ai donné ! je ne te fais plus confiance « (28)
Le processus du projet de dévolution monarchique du pouvoir a débuté en réalité en 2006 avec la suppression du quart (1/4) bloquant. En effet, l’art 33 (ancien) de la constitution du22/01/ 2001 disposait «….Nul n’est élu au premier tour s’il n’a pas obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés représentant au moins le quart (1/4) des électeurs inscrits ». Or, la loi constitutionnelle no 2006-37 du 15/11/2006 modifiant l’art 33 (ancien) disposera que « …Nul n’est élu au premier tour s’il n’a obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés ». Cette disposition est toujours en vigueur. Ainsi disparaît l’exigence de la double légitimité, en double majorité pour élire le président de la république : une majorité absolue portant sur les suffrages exprimés et une majorité relative portant sur le quart (1/4) des électeurs inscrits.
Ensuite vint la loi constitutionnelle no2009-22 du 19/06/2009 qui institua la vice-présidence, avec maintien du poste de premier ministre.
La combinaison de ces deux (2) modifications constitutionnelles fera l’objet du projet de constitutionnel du 22/06/201I instituant le ticket « président/vice-président qui devra être élu au premier tour par seulement 25% (1/4) des suffrages exprimés.
Jusqu’au départ de Me Wade, on était en présence d’un exécutif « tricéphale » (avec un président, un vice-président (en attente), un premier ministre avec un parlement bicaméral.
L’ère du président Macky Sall sera marquée par la même maladie chronique de renforcement à outrance du pouvoir personnel du président de la république et de l’exécutif, sur fond d’obsession d’un second mandat
Ainsi verra-t-on : Suppression du Sénat, de la Vice-présidence, du Conseil économique et social, remplacé par le Conseil économique social et environnemental (loi constitutionnelle no 2012-16 du 28/09/2012, le Wax Waxeet relatif à la réduction de la durée du mandat du président, le référendum calamiteux du 26/03/2016, des élections législatives chaotiques en juillet en 2017 pour s’adjuger une majorité mécanique, un parrainage scélérate pour se choisir ses adversaires, rompant avec le consensus d’antan, une élection présidentielle contestable et contestée avec une utilisation à outrance et abusive des moyens de l’état pour battre campagne.
Il y a lieu de rappeler que sous l’ère Macky Sall, la constitution de 2001 est modifiée à hauteur de 84% avec la suppression du poste de Premier ministre (loi constitutionnelle no2019-1 du 14/05/2019). Ceci est en porte-à-faux avec les déclarions officielles pour justifier le référendum et autres en disant « qu’il s’agit de changer la constitution sans changer de constitution. »
Les argumentaires développés par des figures de proue du pouvoir sont assez éloquents, lors de ce référendum.
D’abord le premier ministre Boune Abdallah qui déclare « Il ne faut pas oublier que Hitler a été démocratiquement élu chancelier de l’Allemagne le 30/01/1933 avant d’être plébiscité chef de l’Etat, Führer du Reich, guide et Chancelier en même temps en Août 1934, toujours démocratiquement » (32). On anticipe ici sans doute la suppression du poste de Premier ministre.
Ensuite, le Pr Ismaïla Madior Fall (alors conseiller juridique de Macky Sall) qui déclare « le peuple est souverain dans le respect de la loi fondamentale ». En outre, le président Macky Sall n’a pas utilisé l’art 103 de la constitution, car ce serait le risque, en complicité avec le peuple, violer la constitution » (34). Donc, pour lui la Constitution est au dessus du peuple souverain.
Parlant de son statut de Premier ministre, il dira « mon rôle est de servir de de bouclier au président, d’encaisser les coups à sa place et si nécessaire d’être le fusible qui sautera pour le préserver. C’est une question d’éthique. » (36)
La vie de PM se partage entre la satisfaction de voir les dossiers avancer et le découragement devant le trop de travail nécessaire pour cela » (37) (P.67) « Le Sénégal au cœur ». Comment comprendre alors au regard de tout ceci, que le PM soit submergé par le travail lié à sa charge pour seconder le PR et que ce dernier supprime son poste pour cumuler les fonctions de gouvernement et de PM ? Cela heurte le bon sens. En tout état de cause
La priorité des priorités aujourd’hui c’est d’une part d’appliquer les conclusions des Assises Nationales en les améliorant sans doute et la mise en œuvre des recommandations de la CNRI d’autre part, afin d’avoir des institutions, et au premier chef une Constitution, sécurisés durables, stables viables à l’abri des incertitudes, de la mégalomanie et de la dictature tyrannique des aventuriers de tout bord.
Il faut souligner pour le regretter, que le président Macky Sall sera celui qui aura ouvert et inauguré l’ère de la vengeance politique et des règlements de compte personnels au Sénégal.
Notes
« Histoire politique du Sénégal » par Gerti Hesseling