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20 juillet 2025
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HISTOIRE DE L'AFRIQUE ET L'AFRIQUE DANS L'HISTOIRE
Ibrahima Thioub, recteur de l'université de Dakar, pose un regard critique sur les lectures africaines de l’esclavage et de la traite atlantique. Outre l’emploi des esclaves dans les activités économiques, il étudie leur rôle dans les relations sociales
Ibrahima Thioub est professeur d’histoire à l’Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) depuis 1990.
Spécialiste de l’esclavage, il a fondé à Dakar le Centre Africain de Recherches sur les Traites et l’Esclavage (CARTE) qu’il dirige.
Ibrahima Thioub a été professeur invité à l’EHESS et dans plusieurs universités aux États-Unis, en Europe, en Asie (Népal, Inde, Sri Lanka) et dans de nombreux pays africains (Gambie, Sierra Leone, Afrique du Sud). En 2008-2009 il a été chercheur-résident au Wissenschaftskolleg de Berlin et, depuis mars 2012, il est Docteur honoris causa de l’Université de Nantes. Il pose un regard critique sur les lectures africaines de l’esclavage et de la traite atlantique. Outre l’emploi des esclaves dans les activités économiques, il étudie leur rôle dans les relations sociales et leurs expressions juridiques dans les espaces privés et publics. Son étude s’inscrit dans une perspective historique en accordant une importance particulière aux mutations inscrites dans le temps de la ville et de son environnement.
Quelques verbatims extraits de l’entretien.
Sur l’esclavage et l’idéologie de domination
"La domination esclavagiste tente toujours d’expulser la relation de l’histoire pour l’inscrire dans la nature. Vous êtes esclave parce que vous êtes noir, c’est de l’idéologique. Même si tous les esclaves dans l’Atlantique sont des noirs, tous les noirs ne sont pas des esclaves en Atlantique. Mais, ça c’est le processus de production idéologique de la domination qui tente de racialiser la relation. Maintenant dans une relation entre populations de même origine ethnique, on va utiliser un autre facteur naturel : le sang. On va faire croire à l’esclave qu’il a un sang servile. Ce sont donc des outils de la domination. Des outils qui fabriquent l’hégémonie qui fabrique l’idéologie de la domination. Il faut dépouiller cette idéologie pour pouvoir atteindre la domination et retrouver son sens historique. C’est ce sens historique qui permet de fonder les luttes pour se sortir de l’esclavage. Tant que le dominé reste dans le mode « naturel », il est en train de reproduire le discours du maître, qui est la fabricant même de cette naturalisation."
Sur le rôle des universitaires
"Les universitaires ont pour mission de produire du savoir et de transmettre ce savoir. La question qui se pose est : quels savoirs doivent-ils produire ? Ils doivent produire tous les savoirs et tous les savoirs ont leur place à l’université. Mais il y a là quelque chose qui est spécifique à l’Afrique : Les derniers siècles ont mis les sociétés africaines sur une position subalterne dans les affaires du monde. Et cela interpelle les universitaires, dans toutes les disciplines.
Pour ce qui est de l’histoire, en tant que discipline universitaire, il faut nous émanciper de l’écriture de l’histoire faite sous la dictée du regard de l’autre, surtout quand l’autre est le colonisateur ou ancien colonisateur."
Sur la différence entre le libre et le libéré
"Dans la lutte pour la liberté, on ne fait pas face à l’autre. On fait face à soi-même. Ce qui distingue le libéré du libre, c’est que le libéré a toujours le maître dans sa tête. Le libre ne pense plus au maître. Il affronte les problèmes dans le contexte où il est, en tant que sujet autonome qui ne se définit plus en référence à l’autre. Le temps est venu de ne plus écrire en pensant à [l’autre]: en quoi sommes-nous comparables à qui que ce soit ? en quoi sommes-nous meilleurs, etc ? Cette mission a été très bien accomplie par les générations antérieures. Les générations actuelles doivent écrire une histoire qui se connecte au regard de soi à soi."
Sur la décolonisation inachevée
"Dans les années 1960, se pose la question de la décolonisation. L’Europe et, en particulier, les puissances colonisations considèrent que c’est l’Afrique qu’il faut décoloniser en oubliant que les métropoles étaient dans l’empire colonial et qu’il fallait également décoloniser les métropoles. La décolonisation a davantage porté sur un acte politique qui était dans l’intérêt des puissances coloniales. Les colonisés demandaient à être traités sur un pied d’égalité avec les métropolitains. L’empire ne pouvant pas satisfaire cette demande a eu une politique de retraite qui était tout à son avantage parce que la métropole conservait tous ses avantages géostratégiques et économiques sans avoir à prendre en charge la satisfaction des revendications des mouvements sociaux dans les colonies. Une fois l’indépendance acquise dans les colonies, il y a eu une mise en œuvre progressive d’une nouvelle politique scolaire, la construction d’une nouvelle conscience dans les anciennes colonies. Par contre, dans la métropole, l‘image qu’on avait des africains et de l’Afrique, c’est sclérosé. Parce que la métropole a gardé la même opinion, la même conscience généralement partagée des africains et de l’Afrique. Elle n’a pas décolonisé ni les livres, ni l’éducation, ni les médias, ni les consciences métropolitaines."
Sur les identités chromatiques
"La couleur de la peau a été un instrument pour construire l’idéologie de la domination, qui est de dire, principalement à l’opinion européenne (au sein de laquelle règnent la raison et l’humanisme), que si les africains sont réduits à l’esclavage c’est parce qu’ils sont noirs, et que les noirs sont par nature des esclaves. A partir de là se construisent les identités fondées sur la couleur de la peau."
Sur la relation Afrique – Europe
"Chaque fois que l’Europe a été en crise, l’Afrique a été une partie de la solution. Mais l’Afrique comme solution aux problèmes de l’Europe s’est toujours faite au désavantage et toujours de façon dramatique pour l’Afrique. Un tel processus deviendra de plus en plus difficile, du fait de la globalisation.
Il est important aujourd’hui de repenser la redistribution des richesses à l’échelle mondiale. Puisqu’il n’est pas de l’intérêt d’aucune des parties qu’on continue dans la voie suicidaire dans laquelle on va. La seule lutte efficace contre le radicalisme, c’est l’investissement dans l’éducation et le bien-être social des populations."
QUI ÉTAIT SIR DAWDA JAWARA, PREMIER PRÉSIDENT DE LA GAMBIE ?
Avec sa mort survenue le 27 août dans la commune gambienne à 95 ans, c'est tout un pan de l'histoire récente du pays qui disparaît. Une histoire intrinsèquement liée à celle du Sénégal, qui l'entoure entièrement
Le Point |
Marlène Panara |
Publication 31/08/2019
Premier président de la Gambie indépendante, Sir Dawda Kairaba Jawara a eu un destin qui s'est confondu avec celui de la lutte pour la souveraineté de son pays et de l'Afrique.
« C'est avec peine que j'ai appris la disparition de Sir Dawda Kairaba Jawara, premier président de la République de Gambie indépendante. Mes condoléances émues et celles de la nation à mon frère président Adama Barrow et au peuple frère de Gambie. » Si le président sénégalais Macky Sall s'adresse en ces termes à son voisin gambien, c'est que le pays vient de perdre l'un des symboles les plus forts du panafricanisme, l'ancien président Dawda Jawara, que l'on écrit plus souvent Daouda Diawara sur le continent. Avec sa mort survenue le 27 août dans la commune gambienne de Bakau alors qu'il avait atteint les 95 ans, c'est tout un pan de l'histoire récente du pays qui disparaît. Une histoire intrinsèquement liée à celle du Sénégal, qui l'entoure entièrement.
Un fort ancrage gambien, un destin lié au Sénégal
Le lien qui unit les deux pays ouest-africains a atteint son apogée institutionnel sous le pouvoir de Dawda Jawara, il y a quarante ans. Le 30 juillet 1981, une tentative de coup d'État est perpétrée à Banjul par, entre autres, des membres d'un Conseil dit de gauche révolutionnaire. Le président Jawara, en visite à Londres, demande de l'aide au voisin sénégalais. Le lendemain, 400 militaires de l'armée sont envoyés à Banjul. Le 6 août, ils sont plus de 2 700 à vaincre les forces rebelles. L'opération, baptisée « Fodé Kaba II », a été rendue possible par un traité de défense qui lie les deux pays depuis 1967. En cas d'attaque, le Sénégal se doit de protéger la Gambie enclavée. Un an après le putsch manqué, Dawda Jawara et Abdou Diouf vont plus loin, et créent la Confédération de Sénégambie.
L'objectif ? Promouvoir la coopération entre les deux pays, et parler d'une même voix à l'étranger. L'accord qui régit la Confédération prévoit alors un président sénégalais, un vice-président gambien, un gouvernement et même une Assemblée. « La vocation du Sénégal et de la Gambie est de former un seul État », déclare même Abdou Diouf en 1984. Mais très vite, l'union voulue par les deux hommes a du plomb dans l'aile. Des tensions autour de la question de la souveraineté des deux États surgissent. Les divergences d'ordre économique, elles, sont grandes et brouillent la fluidité des échanges. La Gambie, en plein essor économique, se heurte aux barrières tarifaires élevées du Sénégal et à son franc CFA. Sept ans après son entrée en vigueur, la Confédération sénégambienne est dissoute. L'aveu d'un échec pour Dawda Jawara.
Dawda Jawara, une voix respectée à l'international
Et pourtant, ce natif de Barajally, dans le centre du pays, a toujours joui d'une bonne image à l'international. Réputé pragmatique et modéré, il a très souvent siégé et usé de son influence à la tête d'institutions internationales. Au sein de l'Organisation de l'unité africaine, ancêtre de l'Union africaine, il dénonce les gouvernements despotiques et fait adopter la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples en juin 1981. À la tête de l'Organisation de la coopération islamique en 1984, il plaide pour un dialogue franc entre les pays de l'organisation. Entre 1989 et 1991, il préside la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Une omniprésence à l'extérieur qui agace en Gambie, où certains acteurs politiques lui reprochent de ne pas assez s'occuper du pays. Et pourtant, Dawda Jawara est, à son départ en exil en 1994, le plus ancien dirigeant d'Afrique. Depuis son accession à la tête du pays en 1965, il a toujours été réélu. Pendant près de 30 ans, la Gambie a même fait figure de modèle démocratique sur le continent. Le président autorise le multipartisme et se plie à des élections tous les cinq ans, qui se feront au suffrage universel après la réforme constitutionnelle de 1982. Son entrée sur la scène politique s'est faite avec la même facilité.
Un parcours militant de Londres à Banjul
En 1958, quatre ans après son retour de Londres, le Gambien, issu d'une famille mandingue musulmane, adhère au People Progressive Party, le Parti progressiste du peuple (PPP). De simple membre il passe rapidement président du parti en 1960, poussé par les anciens qui pressentent l'influence et l'espoir que représente cet officier vétérinaire pour le pays. Son statut de fonctionnaire lui vaut le respect des autorités du protectorat, pensent-ils. Et ils ont vu juste. D'abord chargé de l'Éducation dans le gouvernement, puis Premier ministre, Dawda Jawara fait gagner le PPP – un parti qui s'impose comme le représentant des populations autochtones et de la majorité mandingue – aux élections de 1962. Trois ans plus tard, après des négociations menées avec les autorités britanniques, la Gambie est indépendante. D'abord royaume du Commonwealth avec comme chef d'État la reine Elizabeth II, ce qui vaut à Dawda Jawara d'être anobli et d'être Sir, la Gambie se transforme en république en 1970 tout en restant membre de la grande famille du Commonwealth au sein du Commonwealth.
Le coup d'arrêt de 1994 et la retraite politique
Une longue carrière à la tête de la Gambie, donc, qui prendra fin brutalement le 22 juillet 1994. Ce jour-là, un putsch, mené par de jeunes officiers dirigés par Yahya Jammeh, 29 ans, le force à quitter la présidence. Dawda Jawara embarque à bord d'un navire américain, direction le Sénégal. Là-bas, il tente de convaincre Abdou Diouf d'empêcher le coup d'État en envoyant son armée, pour la seconde fois. Mais le président sénégalais refuse. Dawda Jawara part alors en exil dans le Sussex, au Royaume-Uni. En 1997, il est reconnu coupable de corruption par la Commission chargée de recouvrement des biens publics et a interdiction de siéger à un poste gouvernemental.
Quatre ans plus tard, Yahya Jammeh amnistie l'ancien leader du PPP et lui restitue ses biens. En 2002, Dawda Jawara rentre en Gambie et s'installe dans sa résidence de Fajara, un quartier chic près de Banjul. S'il accepte de ne pas revenir en politique dans son pays, le père de l'indépendance gambienne reste toujours sollicité ailleurs. Sa modération et son expérience sont, par exemple, mises au service des élections présidentielles et législatives au Nigeria, qu'il suit en tant que conseiller de la mission d'observation de la Cedeao. Le 18 février 2017 est une date importante : il assiste, à 93 ans, à l'investiture du nouveau président Adama Barrow qui a défait dans les urnes Yahya Jammeh. Il marquera de sa présence les cérémonies marquant l'anniversaire d'une indépendance dont il avait été l'un des artisans les plus emblématiques. Avec sa disparition, c'est une page importante de l'histoire de la Gambie et de l'Afrique qui se tourne.
NON, CES PHOTOS NE SONT PAS CELLES DES DÉTENUS SÉNÉGALAIS
Au lendemain du décès de deux détenus au sein de la prison de Rebeuss, le 27 août 2019, une publication sur Facebook montre deux photos de personnes présentées comme des détenus sénégalais - Explications !
Africa Check |
Azil Momar Lô |
Publication 31/08/2019
Au lendemain du décès de deux détenus au sein de la prison centrale de Rebeuss à Dakar, le 27 août 2019, une publication sur Facebook montre deux photos de personnes présentées comme des détenus sénégalais.
« (…) C’est très triste et déplorable d’imaginer les conditions lamentables auxquelles sont confrontés les détenus sénégalais (…) Comment peut-on imaginer avec cette chaleur mettre des gens les uns sur les autres, parfois torse nu ? », lit-on sur la publication qui date du 28 août 2019.
Elle est tirée d’une série de photographies relatant des événements liés à la crise post-électorale ivoirienne de 2011 et a été présentée au séminaire sur le photojournalisme d’Atlanta qui promeut les normes les plus élevées en matière de photojournalisme par le biais d’une conférence éducative annuelle et d’un concours de photographie jugés par des photographes et des rédacteurs en exercice.
La photo est légendée comme suit : « Des hommes détenus pour des raisons inconnues par des soldats fidèles à Alassane Ouattara réagissent alors qu’ils sont assis dans une station d’essence en attendant d’être interrogés, dans une base d’opérations des forces républicaines, à la périphérie d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, le samedi 9 avril 2011 ».
La seconde photo a été prise au Malawi
Elle a été prise, en juin 2005, par le photojournaliste sud-africain João Silva, pour le New York Times, dans le cadre d’une série de reportages sur les prisons au Malawi. Elle a été faite à la prison de Maula, à Blantyre une ville du sud du Malawi.
Dans un entretien accordé à l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, João Silva, qui est photographe de guerre, raconte qu’il a pris cette photo lors d’une visite de deux jours dans cette prison où, explique-t-il, « les détenus passent 14 heures chaque jour dans des cellules pouvant contenir 100 à 150 personnes ».
Victimes de ponctions qui peuvent aller jusqu’à plus de 200mille francs sur leurs salaires, les médecins, pharmaciens et chirurgiens dentaires menacent d’aller en guerre, si l’Etat ne revient pas sur ce qu’ils considèrent comme une “forfaiture’’
Victimes de ponctions qui peuvent aller jusqu’à plus de 200mille francs sur leurs salaires, les médecins, pharmaciens et chirurgiens dentaires se retroussent les manches pour aller en guerre, si l’Etat ne revient pas sur ce qu’ils considèrent comme une “forfaiture’’.
Choqués. Interloqués. Abasourdis. Les médecins, pharmaciens et chirurgiens ont de peu manqué de s’évanouir, en cette fin du mois d’août. Dans leurs banques pour retirer leurs salaires, certains ont constaté des ponctions pouvant aller jusqu’à plus de 200 mille francs Cfa.
Le pire, ils ne savent même pas quelle en est la raison. Joint par téléphone pour des besoins de vérifications, le secrétaire général du Syndicat autonome des médecins du Sénégal confirme : “Nous sommes dans le flou total. D’abord, c’est des camarades qui nous ont saisis pour se plaindre. Par la suite, on l’a constaté nous-mêmes.
Le dernier camarade qui m’a appelé m’a d’ailleurs dit qu’on lui a ôté 232 mille francs de son salaire.’’ La pilule s’avère ainsi très amère et difficile à avaler pour les “victimes’’. D’ores et déjà, le syndicat se retrousse les manches, prêt à en découdre avec l’Etat coupable, à leurs yeux, de forfaiture. “Ça ne peut pas passer comme lettre à la poste’’, prévient le docteur Yéri Camara. Très en colère, le ton haut, il fulmine : “Nous allons réagir face à cette forfaiture. Là, nous sommes juste en train d’attendre les explications du ministère en charge des Finances. Ce que je peux vous assurer, c’est que nous allons nous faire entendre. Et d’ores et déjà, nous en sommes à la préparation de notre plan d’action. Nous allons avoir une réaction vigoureuse et appropriée.’’ Il faut dire que ces ponctions sont vraiment mal tombées pour ces fonctionnaires qui viennent juste de sortir de la fête coûteuse de Tabaski.
Interpellé sur les motivations de ces ponctions, le syndicaliste dit en être aussi ignorant que le commun des Sénégalais. Tout au plus, il a ouïe dire : des “mesures fiscales’’ par-ci, des “prélèvements pour l’ordre des médecins’’ par-là… Ce qui est sûr, c’est que tout cela ne procède que de la rumeur et que, par conséquent, en tant que syndicat responsable, le Sames attend impatiemment les justifications officielles. “C’est très difficile, pour un chef de famille, de constater de telles ponctions sur son salaire de manière indue. Mais nous ne voulons pas verser dans le sentimentalisme. Nous nous sommes rapprochés des services du ministère des Finances, mais aucune explication ne nous a été donnée de manière claire. Certains ont eu à accuser l’ordre des médecins, mais celui-ci a réfuté catégoriquement les informations. Nous attendons donc le retour du ministre pour nous entretenir avec lui et avoir la bonne version’’.
Pendant ce temps, les agents ruminent encore leur colère. “C’est très difficile. Aucun travailleur ne souhaiterait constater de telles ponctions sur son salaire de manière indue. Mais nous ne voulons pas verser dans le sentimentalisme’’, affirme Dr Camara. Il faut rappeler que cette mesure est d’autant plus incompréhensible que le Sames n’est pas allé en grève depuis belle lurette. “EnQuête’’ a attendu jusqu’à l’heure du bouclage la réaction des services du ministère en charge des Finances qui lui était promise, mais en vain.
par Nioxor Tine
QUI SAUVERA LE SÉNÉGAL ?
Comment comprendre qu’un citoyen arrêté pour défaut de papier d’identité puisse mourir électrocuté comme un tueur en série condamné à la chaise électrique ? A mesure que le temps avance, l’opinion se convainc de l’incompétence du régime de BBY
Jamais, les Sénégalais n’auront été aussi inquiets pour l’avenir de leur pays !
Le régime du Yakaar déçu, qui a pris le parti d’une gestion opaque, est sur la défensive, passant le plus clair de son temps à mentir sur ses pseudo-réalisations, ou à démentir les accusations portées contre sa gestion nébuleuse.
Tout se passe, comme si le pays n’était pas gouverné, d’autant plus que le chef d’un Exécutif, devenu entretemps monocéphale, passe le plus clair de son temps à courir par monts et par vaux et à se faire photographier avec les puissants de ce monde.
UN ÉTAT DÉLIQUESCENT
Et pourtant, nous sommes dans un contexte, où l’État-Nation est en pleine déliquescence, ce qui n’est point surprenant pour un régime en perte de légitimité, qui ne se maintient au pouvoir, que par la force ou la ruse ou les combines. La cohésion nationale est mise à mal par de forts relents ethnocentristes ou confrériques (manifestation contre les ”crimes de lèse-marabouts”). Quant à la République bananière, tant encensée, qu’auraient contribué à édifier des hommes d’État auto-proclamés, très discrets (sur les dossiers compromettants de la Françafrique), elle s’est affalée de tout son long.
Il faut dire que même si le mal est aussi vieux que notre accession formelle à la souveraineté nationale, il s’est aggravé, après l’alternance de 2000. Cette dernière avait été caractérisée par le refus du président Wade de mettre en œuvre des réformes démocratiques et institutionnelles venues à maturité, préférant plutôt s’engager dans une entreprise de déconstruction systématique des fondamentaux de notre République, qui se poursuit, aujourd’hui encore.
La deuxième alternance aura certes eu, quant à elle, le mérite de donner un coup d’arrêt aux projets burlesques de Wade, relatifs à un troisième mandat anticonstitutionnel et à la dévolution monarchique du pouvoir. Néanmoins, le président Macky, sorti vainqueur de la rivalité oiseuse entre le fils biologique et les fils d’emprunt, s’est refusé, lui aussi, à rétablir et consolider les normes républicaines mises à mal, par les douze années du règne chaotique de son mentor, un président vraiment spécial, à tous égards.
C’est ainsi, que le leader de la coalition Benno Bokk Yakar va se débarrasser, avec la complicité ”d’anciens combattants” de la gauche, des conclusions des Assises Nationales censées conduire à la refondation institutionnelle, à l’approfondissement de la démocratie par l’émergence citoyenne et à la souveraineté économique.
Résultat des courses : après un septennat marqué par un leadership despotique et une gouvernance calamiteuse, ponctuée de multiples scandales, le régime de Benno Bokk Yakaar a usé de tous les moyens légaux et illégaux pour rempiler.
Aujourd’hui, après tous les mensonges et délits politiques commis durant le premier mandat, le régime de Macky semble être rattrapé par l’Histoire.
LA FAILLITE DE LA JUSTICE ET DES AUTRES SERVICES PUBLICS
Aux tensions de trésorerie déjà perceptibles, depuis la période pré-électorale, viennent s’ajouter des signes inquiétants de faillite retentissante de nos services publics, faisant de notre chère pirogue sunugalienne, un endroit dangereux, un quasi-enfer sur terre, symbolisé, à souhait, par ces jeunes adolescents électrocutés à Rebeuss. Comment comprendre qu’un citoyen arrêté pour défaut de papier d’identité puisse mourir électrocuté comme un tueur en série condamné à la chaise électrique ? Ce scandale, qui traduit les lamentables conditions de détention dans nos prisons, s’est passé, après l’abus de pouvoir supposé d’un commissaire de police à une pharmacie de la Patte d’oie et les accusations d’homicide d’un apprenti boulanger, à Thiès, par un personnage haut en couleurs, qui serait, lui aussi, membre de la Police nationale.
Ce sont là autant de symptômes des multiples dysfonctionnements de notre Justice, qui n’inspire plus confiance et fait peur aux honnêtes gens, tout en se révélant inéquitable. En effet, pendant que nos prisons infernales regorgent de milliers de fils du peuple innocents, en attente de jugement, des dossiers compromettants de certains pontes du régime, accusés de tous les péchés d’Israël, seraient en train de dormir, avec le Procureur, au palais de justice.
On peut également évoquer, dans le secteur éducatif, les résultats catastrophiques du baccalauréat, l’incapacité de l’État à honorer les factures des établissements d’enseignement supérieur privé, empêchant ainsi de jeunes sénégalais issus de milieux modestes, de poursuivre leurs études.
Il y a aussi un système sanitaire défaillant avec une faiblesse des plateaux techniques, à l’origine du retard de prise en charge des accidentés de la route et d’autres urgences médico-chirurgicales, sans oublier les évacuations sanitaires onéreuses, dont ne profite qu’une minorité de privilégiés.
Même la fourniture régulière d’électricité, qu’on nous avait présentée, triomphalement, comme un acquis du Plan Sénégal Émergent, semble menacée par la dette colossale due par l’État et la SENELEC à la SAR, qui avoisinerait les 300 milliards, selon certains syndicalistes.
Enfin, sur le plan de l’hygiène et de l’assainissement, les inondations ont repris de plus belle, posant avec acuité le problème de la pertinence et de l’efficience des centaines de milliards investis par les régimes successifs de Wade et de Macky.
Tous ces faits, en plus du renchérissement croissant du coût de la vie, irritent au plus haut point, les travailleurs, que les leaders syndicaux ont de plus en plus du mal à amadouer.
UN RÉGIME INCOMPÉTENT, AUTORITAIRE ET SOLITAIRE
A mesure que le temps avance, l’opinion se convainc de l’incompétence du régime de BBY à faire face à la situation, qui traduit les limites de la gestion solitaire du pouvoir par une constellation éparse mais unanimiste d’appareils politiques instrumentalisés, lobbies et autres groupes de pression.
Malheureusement, ce conglomérat de criminels en col blanc ne réussit pas non plus à initier un dialogue entre les forces vives de la Nation, pour alléger les souffrances que vivent actuellement les citoyens sénégalais. Ils vivent l’enfer, victimes d’une recrudescence d’agressions criminelles, d’accidents de la circulation, d’inondations, d’une mauvaise prise en charge socio-sanitaire, humiliés, parfois tués volontairement ou non par la Justice et ses auxiliaires et dont les enfants ne bénéficient ni d’une éducation acceptable ni d’emplois décents.
Pendant ce temps, le chef de la Coalition présidentielle, persiste à poser des actes, qui loin de décrisper l’atmosphère politique, contribuent plutôt à torpiller le véritable dialogue que toute la classe politique appelle de ses vœux.
Je veux, ici parler du manque de transparence des affaires publiques doublée d’une impunité flagrante pour les membres du clan présidentiel. Il y a aussi, cet entêtement difficilement compréhensible, de la part, d’un président, qui en est à son second mandat, à refuser toutes les initiatives consensuelles pour fiabiliser le processus électoral (suppression du parrainage, bulletin unique).
Il y a enfin, ce style de gestion autocratique du pouvoir, consistant à persécuter les adversaires politiques, à brimer les libertés publiques qui, ajouté à la crise sociopolitique ambiante, pourrait faire le lit d’une déflagration sociale incontrôlée.
Par Ousmane BADIANE
COMME DES TRACES LUMINEUSES …
En choisissant de son vivant d’être enterré dans la vieille ville de Saint-Louis qui fut le berceau de son engagement syndical et politique, Dansokho nous a administré, la preuve de son attachement sincère à l’amitié et au respect de la parole donnée
Comment parler de cet homme exceptionnel qui, toute sa vie durant, n’a jamais dévié de la trajectoire qu’il s’était lui- même tracée, et qui consistait à être continuellement et inlassablement au service de son peuple, en tout temps, en tout lieu et en toutes circonstances ?
On a beaucoup dit, beaucoup écrit et porter de nombreux témoignages sur la vie et l’action de ce baobab politique, mais et au fur et à mesure que les témoignages s’épaississent et s’amplifient, j’ai le sentiment que ce que nous savons de lui ne constitue que la pointe de l’iceberg de cet homme multidimensionnel de vérité.
En choisissant de son vivant d’être enterré dans la vieille ville de Saint -Louis qui fut le berceau de son engagement syndical et politique et le lieu où il a vécu ses premières humanités et tissé ses plus grandes et durables amitiés, Dansokho nous a administré une fois de plus, la preuve de son attachement sincère à l’amitié et au respect de la parole donnée.
Né le 13 janvier 1937 à Kédougou dont il a été le député- maire sous le régime de Abdoulaye Wade, Dansokho était acteur et témoin de la vie politique nationale. On peut même affirmer sans risque de se tromper, qu’il fut un des hommes politiques qui a le plus marqué l’histoire politique du Sénégal. Son engagement à être constamment du côté des opprimés, de tous ceux qui sont assoiffés de liberté d’opinion et de progrès social, faisait qu’il était perçu, d’abord et avant tout, comme l’étendard et le symbole vivant de plusieurs générations de combattants qui se sont succédé dans la lutte, pour l’avènement d’une société de démocratie véritable, de paix et de justice sociale. Il a été de tous les combats dans notre pays et en Afrique, pour la décolonisation et les alternances, pour hâter et parachever la libération nationale et sociale.
Amath, comme on l’appelait familièrement, a traversé les époques, conduit avec un courage sans failles et une détermination à nulle autre pareille, les luttes politiques qui ont jalonné et rythmé la marche de notre peuple vers l’indépendance. Depuis quelques années, il s’était retiré de la vie politique pour des raisons de santé, mais son ombre tutélaire était toujours présente. Il était l’absent le plus présent, car même sur son lit de malade, il était très souvent consulté sur divers sujets qui agitaient le landerneau politique et sa voix était de celle qui comptaient.
Révolutionnaire jusqu’à la moelle des os, Dansokho avait un tempérament d’insoumis qui finira d’ailleurs par déteindre sur ses relations avec les candidats qu’il a eus à soutenir, puis avec qui il s’est séparés à cause de divergences profondes sur leur mode de gouvernance. D’abord le Président Abdou Diouf (1981-2000), puis Maître Abdoulaye Wade (2000- 2012) qui, ne pouvant supporter ses critiques contre leur gestion, ont préféré se séparer de lui. Ses principes inaliénables de défenseur absolu des intérêts du peuple, faisaient que Amath était un homme toujours d’attaque, prêt à porter haut le flambeau des causes sociales.
Peu importe le prix à payer car cet engagement infaillible faisait partie intégrante de son ADN marqué par les péripéties de son militantisme politique. Amath Dansokho a toujours été un homme généreux dans ses choix de lutte ou de combat. Son pouls a toujours vibré pour le Sénégal. Il aimait surtout les débats d’idées qui faisaient avancer la société et non les débats crypto personnels. Il a tenu à faire triompher ses convictions premières qu’il a conservées jusqu’à sa mort. Malgré son état de santé fragile, il n’a jamais raté les manifestations de l’opposition. Combattant de toutes les causes justes, Dansokho a mené plusieurs décennies de lutte dans la clandestinité pour l’avènement au Sénégal et en Afrique d’une démocratie qui donne sens à l’humain et aux couches laborieuses. C’est cela qui donne tout son sens à la confidence qu’il avait faite en 2010, à Walf Grand Place en disant qu’à sa mort, il ne voudrait point d’hommage folklorique.
En visionnaire sincère pétri d’une générosité sans limite, il disait : « Je ne voudrais pas d’hommage folklorique, l’estime du peuple me suffit. Je regrette simplement le fait que l’estime dont je bénéficie de la part des couches populaires ne se traduise pas dans l’urne. » ! Terrible interpellation à toute la Gauche sénégalaise en particulier et africaine en général. Comme chacun le sait, les partis de gauche ont des capacités d’élaboration des tactiques et des stratégies politiques, mais lors des consultations électorales leurs scores sont relativement faibles. La classe politique sénégalaise doit beaucoup à Dansokho qui s’est toujours investi activement dans la politique des alliances et dans la recherche de l’unité d’action des forces patriotiques et démocratiques. C’est ainsi que sa main est tout à fait visible dans la mise en place de plusieurs cadres de lutte unitaires de l’opposition depuis plus de trois décennies dans notre pays.
A titre d’exemple, on peut citer, entre autres cadres : la Coordination de l’Opposition Sénégalaise Unie (COSU) (1978), le Front du Refus ou « Cadre des 11 » (1983), l’Alliance Sopi (1985), la Conférence Nationale des Chefs de Partis de l’Opposition (CONACPO) (1990), le Gouvernement de Majorité Présidentielle Elargie (GMPE) (1993), la Coalition Alternative 2000 (CA 2000) (1999), le Front pour la Régularité et la Transparence des Elections (FRTE) (2000), le Pôle de Gauche (2000), le Front pour l’Alternance (FAL) (2000) , le Cadre Permanent de Concertation de l’Opposition (CPC) (2004), la Coordination de Lutte et d’Action pour la Transparence des Elections (Clarté/ Naa Leer) (2005), la Coalition Populaire pour l’Alternative (CPA) (2006) , la CA 2007, le Front Siggil Sénégal (FSS) (2007), les Assises Nationales (2008), la Coalition Bennoo Siggil Sénégal (BSS)( 2009), Clarté / Dey Leer (2012), jusqu’à l’actuelle coalition Bennoo Bokk Yaakaar (BBY) (2012).
Le mérite de l’ex secrétaire général du PIT est d’autant plus important, que durant ces 20 dernières années, la plupart des réunions de l’opposition se tenaient dans sa résidence à fenêtre Mermoz. Son salon servait de Quartier Général où se tenaient les réunions des forces démocratiques et politiques. Les secteurs sociaux en lutte qui voulaient rencontrer les leaders de l’opposition pour obtenir leur soutien, programmer les rencontres chez Dansokho. Ce formidable consensus autour du leader du PIT était surtout dû à son tempérament de rassembleur, à son esprit d’ouverture, à sa riche expérience politique, à la confiance qu’il inspirait à tous les acteurs politiques et sociaux. Pour avoir tenu le cahier de PV des réunions des coalitions politiques chez Amath pendant plus de deux décennies, je mesure à quel point l’homme était foncièrement généreux. D’abord, à chaque rencontre c’est le café ou le thé qui accueille le visiteur, à tout moment. Même les murs du salon respirent la générosité et la gentillesse, tant tout le monde se sentait à l’aise chez lui.
Le salon de Dansokho peut être comparé à un livre ouvert, où chaque page renferme un chapitre des péripéties, des convulsions et pulsions de l’histoire politique du Sénégal. Je demeure convaincu que les chercheurs et historiens ne manquerons pas un jour de venir décrypter le message politique que renferme tous les objets qui se trouvent dans ce salon mythique. Mais, plus qu’un simple espace de réunion, ce salon servait de ciment puissant pour rassembler les leaders politiques, malgré l’adversité ou la méfiance des uns à l’égard des autres. C’est tout à l’honneur de ce combattant qui avait en bandoulière sa foi en la paix, en la démocratie et en la liberté et qui fut un des principaux animateurs des nombreuses coalitions politiques de l’opposition dans notre pays. Mais Amath n’était pas que cela. Plus que tout autre facteur qui irriguait sa forte personnalité, c’était sa sensibilité. Il est généralement admis que tous les grands révolutionnaires dans tous les pays du monde, ont pour trait commun la sensibilité : sensibilité devant la misère des populations, sensibilité devant l’oppression, sensibilité devant l’exploitation de l’homme par l’homme, sensibilité devant la souffrance et la détresse humaine.
C’est là tout le sens de sa déclaration qui résume parfaitement ses convictions militantes : « Je ne suis pas un révolutionnaire d’occasion. Mes convictions, je les ai construites patiemment ». C’est à juste raison que Samba SY, l’actuel Secrétaire général du Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT), dira de Amath que c’est un homme de « cœur » dont « la sensibilité est à fleur de peau ».
Dans une interview faite à la Radio SudFM avant la première alternance politique en l’an 2000, ITINERANCE, et dans une émission plus récente, en 2012, à Radio France- International (RFI), la MARCHE DU MONDE, Dansokho retrace les péripéties de sa vie de militant révolutionnaire pendant la période de clandestinité. Il évoque ses nombreux séjours en prison et sa vie en exil dans les pays africains et dans les pays de l’ex. Bloc de l’Est. Il évoque les entretiens qu’il a eus avec d’éminentes personnalités du monde politique, de la culture et des mouvements de libération nationale (Fidel Castro, Ché Guévara, Kwamé Nkrumah, Ben Bella, Amilcar Cabral, Frantz Fanon, etc.) C’est cet homme de vérité, ce monument politique incontestable et ce combattant authentique qui ne variait jamais dans ses convictions militantes et républicaines, que notre pays vient de perdre. Son itinéraire fabuleux est jalonné de traits de lumière qui éclairent le chemin de l’action de notre jeunesse en quête de repères. Que la terre de Saint- Louis lui soit légère et que le Tout Puissant l’accueille dans son Paradis Eternel pour qu’il se repose en paix.
Ousmane BADIANE
Membre de la Ligue Démocratique (LD)
PAR Maître Abdou Dialy KANE
LETTRE À KHALIFA SALL
Si la justice pénale peut régir la liberté d’un homme, elle ne parviendra jamais à régenter sa conscience - Si la liberté ne vous est pas donnée par cette grâce suspendue à un désir aux allures narcissiques, elle vous sera donnée, à coup sûr, par le temps
A l’instar de tant de Sénégalais épris de liberté, nous avons le cœur navré et résigné quand nous avons constaté que vous n’avez pas été admis au bénéfice de la grâce présidentielle. Cela nous désole fort bien.
D’aucuns nous diront que la grâce est une prérogative constitutionnelle relevant exclusivement du pouvoir discrétionnaire du chef de l’Etat.
Une telle vision est réductrice et relève d’un certain sophisme.
C’est pourquoi, il est à propos de relever que la Constitution fut-elle la clé de voute de notre ordonnancement juridique interne, elle n’épuise pas la République qui reste et demeure aussi un esprit, un souffle, des attitudes.
En prime, il ne faut pas perdre de vue que le pouvoir de grâce s’exerce aussi au nom du peuple.
Or, le gros du peuple souhaite, voire exige votre libération, parce que le gros du peuple n’accepte pas le procès qui vous a été fait. Parce qu’il n’est ni juste ni équitable.
Ce procès fait partie de ceux qui risquent, si l’on n’y prend garde, au-delà du massacre du droit, de saper l’esprit démocratique de notre nation. En effet, pour avoir participé à votre “procès”, nous savons que vous êtes en peine, non pas parce que vous êtes coupable, mais bien parce que la loi n’a pas été célébrée pour des raisons tenant aux complications politiques que votre libération aurait engendrées.
Quand l’échafaud politique a commencé par vous placer dans l’œil du cyclone, l’échafaud judiciaire, lui, a fait le reste.
A la vérité, aucune liberté ne peut résister face à la coalition fatale entre l’échafaud politique et l’échafaud judiciaire. Sous ce rapport, tout était perdu d’avance, dans la mesure où vous avez été mis hors de combat avant même le combat.
Toutefois, nous croyons et nous continuons de croire que si la justice pénale peut régir ou régenter la liberté d’un homme, elle ne parviendra jamais à régenter sa conscience.
Souvent, nous vous avons dit que nous ne supportons pas de vous voir dans cette maudite prison, dans cet enclos que nous détestons tant. Il nous est insupportable, au point que nous avons envie de “brûler l’enclos” pour parler comme Renechard.
N’est–il pas, cet enclos, une sorte de “lieu géométrique du malheur humain” pour parodier notre confrère Badenter. Malgré tout, vous n’avez de cesse de nous étonner.
En effet, à chaque fois que nos regards se sont croisés dans ces lieux lugubres, nous avons aperçu dans vos yeux souverains quelque chose d’essentiel : la vertu, grâce à laquelle les souffrances injustes que l’on vous a infligées ne seront finalement que de l’écume au sommet de la vague.
Nous plaignons donc ces vainqueurs sans gloire qui s’attendaient à trouver un homme désarmé et qui, par une sorte de surenchère du désespoir, allait vendre son âme au diable pour sortir de l’enclos. C’était une illusion d’optique dont la preuve la plus éclatante réside dans le choix que vous avez fait, de bonne heure, de donner toute la mesure de votre dignité et de votre courage.
Vous avez compris comme Talleyrand que quand tout est perdu c’est l’heure des grandes âmes.
Oui ! Votre attitude faite de dignité absolue face à l’épreuve est symptomatique de la grandeur de votre âme. Si la liberté ne vous est pas donnée par cette grâce suspendue à un désir aux allures narcissiques, elle vous sera donnée, à coup sûr, par le temps qui passe. Neuf cent jours déjà !
Demain n’est donc pas loin et dites vous bien, demain il fera jour. Nous ne savons quel penseur a dit “c’est du chaos que naissent les étoiles.”
A son tour, dans les travailleurs de la mer, un autre penseur, certainement le plus grand de tous les temps, a écrit : “De la chute sort l’ascension. Les médiocres se laissent déconseiller par l’obstacle spécieux, les forts, non, périr est leur peut-être, conquérir est leur certitude.” Hier, quand on vous a enlevé votre liberté, vous êtes resté debout. Aujourd’hui, quand on vous a enlevé vos fonctions de Maire, vous êtes encore resté debout.
Demain, on vous enlèvera peut-être autre chose, vous resterez toujours debout.
Alors, mon cher Khalifa Ababacar, “perseverando”
Et puisque, nous refusons de vous voir dans ces lieux lugubres, disions-nous, à travers cette relation épistolaire, nous vous envoyons notre plus cordial et énergique serrement de mains et vous prions d’agréer, l’hommage de notre profond respect.
Abdou Dialy Kane est avocat à la cour.
«C’EST LE SYSTEME JUDICIAIRE SENEGALAIS QUI POSE PROBLEME»
Le président de la Ligue sénégalaise des droits humains (Lsdh), Assane Dioma Ndiaye, pense que le fait que les enquêtes sur les morts en détention qui n’aboutissent pas, est à voir avec des manquements dans le système judiciaire.
En effet, estime-t-il, il est difficile d’avoir une objectivité, surtout que très souvent les enquêteurs sont des éléments des corps concernés par le dossier.
«Souvent, c’est des enquêtes très compliquées parce que ce sont les enquêteurs de l’Administration pénitentiaire qui sont habilités à faire les premières enquêtes (constats). Maintenant, à partir de ces premières constatations, il est difficile d’avoir une objectivité car, le corps impliqué est luimême auteur ou acteur principal de cette enquête. Ce qui peut créer un bonus, ce sont les témoignages des détenus qui sont présents au moment des faits. Là aussi, il faut avoir la chance d’avoir des détenus qui sont dehors et qui acceptent de témoigner. Mais c’est rare quand-même qu’on puisse avoir des éléments objectifs qui permettent de jauger de l’objectivité des enquêtes puisqu’à chaque fois c’est le corps luimême qui fait l’enquête. Il y a des suspicions légitimes de la part des victimes. Par exemple, dans l’affaire Ibrahima Mbow, on pouvait savoir, a priori, parmi les éléments qui étaient là, qui avaient des balles manquantes. Ça aurait permis de faire avancer l’enquête.
Evidemment, c’est un vrai problème qui fait que souvent c’est des dossiers qui peinent à connaitre des issues. De façon générale, c’est le système judiciaire sénégalais qui pose problème. Donc, il n’y a pas suffisamment de garde-fous ou de bonnes pratiques qui permettent d’avoir une justice efficiente. On a une justice très archaïque et on n’essaie pas de faire des plus-values. On s’accroche à des pratiques surannées, dépassées, anachroniques. On n’ouvre une enquête, mais on ne se soucie pas de l’essentiel. Il ne suffit pas d’ouvrir une enquête mais, il faut que l’enquête soit indépendante et impartiale.
L’enquête en soi, n’est pas quelque chose d’extraordinaire dans un état de droit ou dans un état organisé. Mais le plus important, c’est vraiment qu’on respecte les standards internationaux. C’est-à-dire qu’on essaie de faire autant que possible pour que la lumière éclate. Souvent, on cherche à amuser la galerie. Mais, en réalité, on n’est pas disposé à avoir une justice qui puisse apaiser les citoyens. Le plus important dans la justice, ce n’est pas que les citoyens aient gain de cause, mais au moins que les citoyens croient en leur justice. Pour cela, il faut les convaincre. Et pour les convaincre, il faut donner des gages d’un procès juste et équitable. Malheureusement, on n’arrive pas à faire de pas supplémentaires. On est toujours à l’étape grégaire et c’est extrêmement préoccupant.».
QUAND LA VERITE TARDE A ECLATER
La mort des détenus Cheikh Ndiaye et Babacar Mané à la Maison d’arrêt de Rebeuss (Mar) dans la soirée du mardi 27 août, remet sur la table les décès en détention dont les résultats des enquêtes ne sont toujours pas connus.
La mort des détenus Cheikh Ndiaye et Babacar Mané à la Maison d’arrêt de Rebeuss (Mar) dans la soirée du mardi 27 août, remet sur la table les décès en détention dont les résultats des enquêtes ne sont toujours pas connus. Le cas d’Ibrahima Mbow, mort lors de la mutinerie de Rebeuss, en septembre 2016, en est un exemple.
Dans la nuit du mardi 27 août, Cheikh Ndiaye et Babacar Mané ont perdu la vie dans la chambre 11 de la Maison d’arrêt de Rebeuss (Mar). Le communiqué de l’Administration pénitentiaire, envoyé aux medias à la suite de leur décès, faisait état d’un mouvement de foule suite à des étincelles qui s’échappaient d’un ventilateur.
Pour le moment, le Certificat de genre de mort délivré par les médecins légistes de l’hôpital Aristide Le Dantec, établit «une légion de brulure électrique au cerveau et à l’épaule droite, congestion généralisée et intense des visières secondaires et une défaillance cricuhetone brute». Il reste maintenant à savoir si l’enquête annoncée par l’Administration pénitentiaire après livrera ses conclusions. En effet, il est très fréquent qu’après des évènements malheureux dans des lieux de détentions, que des enquêtes soient annoncées sans qu’elles n’aboutissent aux effets escomptés. Ce fut le cas dans l’affaire Elimane Touré, du nom de ce transitaire mort dans les locaux du Commissariat spécial du port, le mardi 20 février 2017. A l’époque, la version donnée par la Police était un suicide à l’aide d’un drap. Pourtant, le médecin légiste avait conclu à une asphyxie mécanique due à une pendaison. La famille de la victime a toujours réfuté ces deux thèses, continuant de réclamer justice. Dans ce dossier, le Procureur de la République avait saisi la Brigade prévôtale pour enquête, mais jusqu’à présent les résultats ne sont pas connus.
LES CONDITIONS DE DECES D’IBRAHIMA MBOW TOUJOURS PAS CONNUES
Des morts en détention sans une réelle connaissance des causes, des organisations de défense des droits l’homme en ont déploré. Dans son rapport 2016-2017, Amnesty International décompte au moins 6 morts dues à un recours excessif de la force. Les Etats-Unis ont produit aussi un rapport qui accable le Sénégal sur le respect des droits humains. Dans le rapport du département d’Etat américain couvrant les années 2012 et 2013 publié en 2014, il était dénoncé les nombreuses pertes en vies humaines dans les prisons, sans que les conclusions nécessaires ne soient tirées. Le cas le plus illustratif des dossiers en attente d’être élucidés est celui d’Ibrahima Mbow, mort lors de la minuterie de Rebeuss, le 20 septembre 2016.
En conférence de presse, dans la journée du 3 septembre 2017, le Procureur de la République, Serigne Bassirou Gueye, annonçait que l’auteur du tir fatal n’est toujours pas connu. «Nous avions été instruits de procéder à une enquête urgente et indépendante pour faire toute la lumière. La Division des investigations criminelles (Dic) en a été chargée et l’enquête suit son cours. En toute responsabilité, à ce stade de l’enquête, l’auteur des faits n’a toujours pas été identifié. L’enquête se poursuit, toute personne pouvant contribuer à la manifestation de la vérité sera la bienvenue. Je comprends parfaitement car quand on perd un parent proche, le seul souci qu’on a, c’est que justice soit faite. Mais, il s’est agi, comme dans la plupart des cas, d’un mouvement de masses, il n’est pas toujours évident de connaître l’auteur des faits», avait dit Serigne Bassirou Gueye. Quelques jours après, il a été annoncé que le chef du parquet a transmis le dossier au Doyen des juges d’instruction. Jusqu’à présent, la famille du défunt n’a toujours pas obtenu la justice qu’elle a tant réclamée.
«SONKO DOIT TROUVER LE JUSTE MILIEU ENTRE DENONCIATION, DECONSTRUCTION ET SURTOUT PROPOSITION»
De l’avis du Docteur en Communication et Marketing politique, Momar Thiam, le député de Pastef dans la vague médiatique, devrait revoir sa copie.
Considéré avant la présidentielle de 2019 comme «la nouvelle figure d’une opposition naissante» de par sa démarche qui allie déconstruction du système et proposition de solutions consignées dans un livre programme, le leader de Pastef, Ousmane Sonko est en passe de retomber dans sa démarche première. De l’avis du Docteur en Communication et Marketing politique, Momar Thiam, le député de Pastef dans la vague médiatique, devrait revoir sa copie. Il conseille ainsi le candidat malheureux à la présidentielle dernière de faire bon dosage entre dénonciation, déconstruction et surtout proposition, d’autant plus qu’il a déjà un livre “Solution“.
Comment appréhendez-vous la communication du leader de Pastef, Ousmane Sonko ?
Il faut préciser qu’Ousmane Sonko est, un tout petit peu, la nouvelle figure d’une opposition naissante au Sénégal. Jusque-là, l’opposition aux régimes politiques en place était l’apanage de partis politiques avec des leaders qui étaient à la tête. Je veux parler du temps où on avait le Ps, le Pds, le Pit, Ld, Afp, etc. L’opposition était plus l’affaire de partis normalement constitués et à sa tête un leader politique et pas des moindres. Les leaders étaient dans une opposition systématique, mais étaient-en mal de propositions. La donne a changé avec l’entrée en politique d’Ousmane Sonko, qui a une particularité. C’est un Inspecteur des Impôts qui connait très bien les rouages de l‘administration et qui a apporté une autre manière de faire la politique, ne serait-ce que dans la démarche d’opposition. Il était dans une opposition de déconstruction et de dénonciation. En s’approchant de l’élection présidentielle, il a estimé devoir sortir un livre programme, “Solution“, et de faire part de ses propositions. Il était dans la seconde démarche de l’opposition qui était «opposition et proposition», la première étant de déconstruction et de dénonciation. Ce que j’estime être une approche assez nouvelle.
N’avez-vous pas le sentiment que le leader de Pastef est toujours dans la première phase, notamment celle de dénonciation et de déconstruction, depuis qu’on est sorti de la présidentielle ?
Il se trouve que la présidentielle est passée et qu’il retombe encore dans cette espèce de déconstruction et de critiques. Mais, une critique peut être constructive. C’est-à-dire, on critique et on propose des débuts de solutions, on apporte une réflexion nouvelle par rapport à cette critique-là de sorte que même les tenants du pouvoir pourront s’accaparer de cela comme étant quelque chose de productif. Seulement, il se trouve que l’actualité est dominée par ce qui concerne les nouvelles matières premières, à savoir le pétrole, le gaz, le fer, etc., et qu’à partir de ce moment, Ousmane Sonko, sachant pertinemment que quand on fait de l’opposition, il faut savoir saisir les éléments de l’actualité, il joue un peu sur cela. Quelque fois, c’est aussi le problème des médias. Parce que les médias font un peu l’opinion et ils saisissent ce qu’il y a de plus croustillant dans l’information.
Justement. N’y-a-t-il pas de risques à ce niveau ?
Effectivement, si vous tombez dans le travers des médias et que vous passez votre temps à déconstruire, critiquer le pouvoir autour de ce que les médias disent, vous risquez d’être écouté sans être entendu, d’être regardé sans être vu. L’autre risque, il peut y avoir ce qu’on appelle l’effet d’agenda. L’effet d’agenda en communication, c’est quand un événement survient et qu’un autre arrive, il se trouve qu’on risque de reléguer aux oubliettes cet événement. C’est-à-dire qu’il (Ousmane Sonko) va parler du gaz et du pétrole et dès qu’on va commencer à parler du fer de la Falémé et qu’il rebondit là-dessus, on va oublier ce qu’il avait dit sur le pétrole et le gaz. Cela est contreproductif.
A votre avis, que doit faire le député Ousmane Sonko ?
Il faut que Sonko trouve le juste milieu entre : dénonciation, déconstruction et surtout proposition. Surtout dans son cas, il a un livre-programme qui n’est pas connu de tous car, le niveau de lecture est en baisse chez nous. Il faut qu’il trouve le bon dosage et de poser des actes qui vont à l’encontre de ces propositions qui sont contenues dans son livre et même au-delà puisque forcément, il va murir sa réflexion compte tenu de la nouvelle donne. C’est l’occasion rêvée d’en faire part. Il faudrait qu’il communique beaucoup sur les solutions parce que ce qui va se passer c’est que si vous n’essayez pas d’être un moteur de croissance en termes de propositions, vous risquez d’être écouté par ceux qui sont férocement opposés au pouvoir, et non par ceux qui le subissent réellement, c’est-à-dire les populations. C’est bien d’être un éveilleur de conscience, c’est bien de dénoncer, de montrer la face cachée de certaines choses politiques. Ce qu’on appelle les contours souterrains en termes de discours, mais c’est bien aussi de proposer. Sonko, qui est un leader en herbe, qui n’a plus rien à démontrer, puisqu’il est arrivé 3ème à la présidentielle, a une responsabilité de proposition auprès de l’opinion. J’ai l’habitude de dire que le mal de nos hommes politiques c’est deux choses. Nous avons, parmi nos leaders politiques, certains qui n’ont ni le sens de la chose publique, ni le sens de la mission de service public. Parce que, si on a les deux, on sait pertinemment que tout ce qu’on fait, c’est parce qu’on est en mission au service de la collectivité.