LE PRIX D’UNE VRAIE RUPTURE
Reconstruire l’autorité n’est pas gouverner par la peur ou la force, mais restaurer la confiance en montrant que l’État peut, et doit, être un levier d’émancipation

Avant que la tutelle ne vienne mettre un holà face à l’indignation grandissante qui provenait d’un peu partout, le dérisoire, l’accessoire en note de service avait pris ses quartiers, comme s’il n’y avait pas d’autres urgences. Voilà que le directeur du Grand Théâtre faisait savoir qu’« il est porté à la connaissance de l’ensemble du personnel que le port de greffages, de perruques et la pratique de la dépigmentation sont formellement interdites au sein de l’administration ».
Et curieusement, cela était devenu quelque chose qui « vise à préserver l’image de l’institution, laquelle se doit de promouvoir les valeurs panafricaines, conformément à l’une de ses missions ». Et lui donc ! Sa veste européenne cintrée, son nœud papillon d’un autre âge, ses chaussures de ville bien cirées, sa grosse montre bien mise en exergue ?
A croire que peu lui importe de savoir ce qui doit se produire dans un lieu de création plutôt réduite à ressembler à une grande salle de spectacles. Cette sortie du Directeur général est symptomatique de ces nominations fantaisistes qui répondent à des critères autres que ceux de la compétence et de l’expertise. La rupture tant chantée est encore une fois de plus absente car manifestement ce monsieur ne semble pas savoir ce qui attendu de lui.
Et pourtant, au XVIIIe siècle déjà, Souleymane Baal, figure emblématique de la révolution torodo au Fouta Toro, insistait sur l’importance de choisir des dirigeants compétents, de consulter les sages, et de rejeter les préférences ethniques voire partisanes pourrait-on ajouter . C’est ainsi qu’il dénonçait l’hypertrophie de l’ego qui fait croire à certains qu’ils sont l’alpha et l’oméga de toute chose. Il appelait au contraire à l’humilité, clé de l’écoute, de la concertation, de la justice. Et tout cela adossé à des règles claires : l’égalité devant la loi, la séparation des pouvoirs, l’existence de contre-pouvoirs, et la reddition des comptes.
Loin de cette direction, il nous est au contraire servi des tirades relatives au distinguo opéré entre un Sénégal qui « n’est pas en crise » mais plutôt « en manque d’autorité ».
A l’évidence, la crise est bien là et l’une de ses facettes les plus dramatiques est repérable dans ce désespoir bavard qui s’exprime par des prises de risques dans ces pirogues qui quittent nos côtes, chargées de jeunes en quête d’un avenir qu’ils désespèrent de trouver sur place. Ils fuient non seulement la pauvreté, mais l’absence d’horizon, le chômage endémique, les injustices sociales.
Aussi importe-t-il de rappeler que marquer son autorité pour l’Etat, c‘est apporter des réponses aux problèmes qui taraudent les citoyens relativement à la santé, à l’emploi, à la nourriture, à l’éducation. C’est aussi, et surtout, promouvoir des valeurs de travail, d’équité d’honnêteté.
Tout comme, pour un père ou une mère de famille qui n’assume pas son rôle vis-à-vis de ses enfants, point d’autorité pour un Etat qui n’assume pas le sien. Il importe toutefois de ne point succomber au pessimisme ambiant mais de reconvoquer certaines figures contemporaines emblématiques. A l’image de Youssou Ndour qui, à force de travail, d’abnégation, de foi en soi, à son pays et à son continent, a réussi à se positionner au plan national et international sans avoir à s’exiler. Un autre exemple de courage et de détermination qui s’est imposé à nous ces derniers jours se donne dans la trajectoire bouleversante et lumineuse de Pape Nantango Mbaye (voir L’Observateur du 10 juillet 2025). Ce dernier nous rappelle une vérité essentielle selon laquelle, le possible est au cœur de l’expérience humaine. Né avec un lourd handicap qui le prive de l’usage de ses bras, il a refusé la fatalité. Soutenu par une chaîne silencieuse de générosité nourrie par de bonnes personnes, sa maîtresse Louise Thiam Cissé, sa professeure d’anglais Fatou Touré Dieng , le médecin généraliste Mamadou Maguette Dieng, ses camarades de classe, il a conquis ce que beaucoup auraient jugé inaccessible pour lui : un bac scientifique, série S2, mention bien.
Le courage de Pape Nantango Mbaye, son obstination, sa dignité, doivent à coup sûr inspirer nos politiques publiques. En ce sens qu’elles doivent garder à l’esprit qu’il appartient désormais à l’État de comprendre que les grandes ruptures politiques ne se mesurent ni à l’aune des discours, ni des slogans, ni des notes de service, mais à leur capacité à transformer concrètement le quotidien des citoyens. Une manière de signifier que la République ne se juge pas à l'affichage des principes, mais à leur incarnation dans les faits. Et c’est en cela que son autorité va s’affirmer.
A l’évidence, un État démocratique ne saurait être le prolongement d’un ego surdimensionné. Il se définit bien au contraire par son impartialité, la promotion du mérite, la neutralité des institutions. Les responsables publics, hauts fonctionnaires, directeurs d’entreprises nationales, magistrats, doivent être nommés pour leurs compétences, non pour leur loyauté clanique.
Reconstruire l’autorité n’est pas gouverner par la peur ou la force, mais restaurer la confiance en montrant que l’État peut, et doit, être un levier d’émancipation. Ce qui est alors attendu, c’est de transformer le quotidien des populations, donner un espoir, tracer un horizon. Il en va de la crédibilité de l’Etat et de ses dirigeants.