MUHAMMADU BUHARI LAISSE DERRIÈRE LUI UN HÉRITAGE MITIGE
Buhari a été chef d'État militaire du Nigeria du 31 décembre 1983 au 27 août 1985, puis président de 2015 à 2023. L'autre homme politique nigérian ayant connu ce double parcours est l'ancien président Olusegun Obasanjo

L'ancien président du Nigeria, Muhammadu Buhari, décédé à Londres le 13 juillet à l'âge de 82 ans, était l'un des deux anciens chefs d'État militaires à avoir été élus présidents en tant que civils. Buhari a été chef d'État militaire du Nigeria du 31 décembre 1983 au 27 août 1985, puis président de 2015 à 2023. L'autre homme politique nigérian ayant connu ce double parcours est l'ancien président Olusegun Obasanjo. Il a été dirigeant militaire entre 1976 et 1979, avant d'être élu président entre 1999 et 2007. Buhari a dirigé le Nigeria pendant près d'une décennie. Son mandat à la tête de l'État militaire a été marqué par la lutte contre la corruption, mais il n'a pas pu faire autant pendant son mandat présidentiel sous un régime démocratique. En tant que politologue ayant servi dans l'armée nigériane, je pense que la guerre contre le terrorisme menée par le gouvernement de l'ancien président Buhari a été largement décevante, malgré les promesses et quelques succès initiaux. Une fois élu, Buhari a mené une vie personnelle modeste et a respecté les transitions électorales. Néanmoins, sa présidence a été entachée par une mauvaise gestion économique, l'incapacité à mettre en œuvre des réformes structurelles audacieuses, le favoritisme ethnique et des promesses de changement non tenues. Il a toutefois laissé des réalisations concrètes en matière d'infrastructures, mis l'accent sur l'agriculture et jeté les bases d'une gouvernance marquée par la transparence et la lutte contre la corruption. Son empreinte sur le développement du Nigeria est donc mitigée.
Les premières années
Buhari est né le 17 décembre 1942 à Daura, dans l'État de Katsina, dans le nord-ouest du Nigeria, de parents nommés Adamu et Zulaiha Buhari. Il avait quatre ans lorsque son père est décédé. Il a fréquenté une école coranique à Katsina. Il était Fulani, l'une des principales ethnies du Nigeria. Après avoir terminé ses études, Buhari s'est engagé dans l'armée en 1961. Il a suivi une formation militaire au Royaume-Uni, en Inde et aux États-Unis, ainsi qu'au Nigeria. En 1975, il a été nommé gouverneur militaire de l'État du Nord-Est (aujourd'hui État de Borno), après avoir participé au renversement Yakubu Gowon lors d'un coup d'État la même année. Il a occupé ce poste pendant un an. Buhari est ensuite devenu commissaire fédéral aux ressources pétrolières, supervisant l'industrie pétrolière nigériane sous Obasanjo. Ce dernier était devenu chef de l'État en 1976 lorsque le successeur de Gowon, Murtala Muhammed, a été assassiné lors d'un coup d'État manqué cette même année. En septembre 1979, il reprit ses fonctions dans l'armée régulière et prit le commandement de la 3e division blindée basée à Jos, dans l'État du Plateau, au centre-nord du pays. Cette année-là marque le début de la deuxième République du Nigéria avec l'élection de Shehu Shagari à la présidence. Mais le 31 décembre 1983, un coup d’État mit fin au régime civil de Shagari. Buhari devint alors chef de l’État militaire du Nigeria.
Les années de la junte de Buhari
Buhari a dirigé le gouvernement militaire pendant un peu moins de deux ans. Il a été renversé lors d'un autre coup d'État le 27 août 1985. Pendant son mandat, il promit que le gouvernement ne tolérerait ni les pots-de-vin, ni les surfacturations dans les contrats publics et les importations. Il ne tolérerait pas non plus la falsification, la fraude, le détournement de fonds, l'abus et le détournement de pouvoir, les transactions illégales en devises étrangères et la contrebande. Dix-huit gouverneurs d'État ont été jugés par des tribunaux militaires. Certains des accusés ont été condamnés à de longues peines de prison, tandis que d'autres ont été acquittés ou ont vu leur peine commuée. Son gouvernement a également promulgué le tristement célèbre décret n° 4, en vertu duquel deux journalistes, Nduka Irabor et Dele Thompson, ont été emprisonnés. Les accusations portaient sur trois articles publiés au sujet de la réorganisation du service diplomatique nigérian. Buhari a également instauré des mesures d'austérité et lancé une « guerre contre l'indiscipline » visant à promouvoir des valeurs positives dans le pays. Des méthodes autoritaires ont parfois été utilisées pour la mettre en œuvre. Des soldats ont forcé les Nigérians à faire la queue, à être ponctuels et à respecter le code de la route. Il a également instauré des restrictions à la liberté de la presse et à la liberté politique. Les syndicats n'ont pas été épargnés non plus. Des licenciements massifs de Nigérians dans la fonction publique ont été effectués en toute impunité. Si les citoyens ont initialement salué certaines de ces mesures, le mécontentement croissant sur le plan économique a rendu la tâche plus difficile pour le régime.
Buhari, le démocrate
L'héritage qu'il laisse est mitigé. Buhari a tenté de revenir au pouvoir par les urnes. Il a échoué en 2003, 2007 et 2011. Mais il n'a pas abandonné. En 2015, une coalition de partis d’opposition a réussi à le faire élire. Le gouvernement de Buhari a accentué les divisions nationales. Ses nominations, souvent biaisées en faveur de la région nord et de ses compatriotes fulani, ont alimenté les accusations de tribalisme et de marginalisation. Son affinité perçue avec les éleveurs peuls, malgré les violences généralisées liées à certains d'entre eux, a encore érodé la confiance du public en son leadership. Son discours anti-corruption n'a pas vraiment porté ses fruits. Si quelques saisies très médiatisées ont été effectuées, ses détracteurs affirment que sa lutte contre la corruption était sélective et fortement politisée. Son ex-gouverneur de la Banque centrale est aujourd’hui jugé pour corruption. Les résultats économiques ont également été médiocres sous son mandat. Tous ces problèmes ne peuvent lui être imputés. Néanmoins, son incapacité à s'attaquer aux problèmes sous-jacents du pays, tels que l'insécurité, l'inflation et la hausse du chômage, a contribué à cette situation. Son mandat a connu deux récessions, une hausse du chômage, l'inflation et l'affaiblissement du naira. Il a toutefois remporté quelques succès. Il s'est attaqué aux infrastructures. La construction de la grande autoroute Lagos-Ibadan était presque terminée et il a remis en service les chemins de fer, achevant les lignes Abuja-Kaduna et Lagos-Ibadan. Il a également finalisé la construction du Second Niger Bridge. Un programme de revitalisation des aéroports a permis d'améliorer les aéroports de Lagos, Abuja et Port Harcourt. Buhari a signé la loi sur l'industrie pétrolière après près de 20 ans de retard. Cela attire désormais davantage d'investissements dans l'industrie pétrolière. Il a également lancé plusieurs programmes d'investissement social tels que N-Power, N-Teach et un programme d'alimentation scolaire. Ces programmes ont permis de créer des emplois temporaires pour certains et d'augmenter le revenu de nombreuses personnes défavorisées. N-Power est un programme d'autonomisation des jeunes destiné à lutter contre le chômage, à améliorer le développement social et à fournir aux gens des compétences pertinentes. Ces programmes ont ensuite été entachés de corruption, révélée après son départ du pouvoir. Il existait également un programme de prêts aux agriculteurs visant à rendre le pays plus autonome en matière de production de riz. Une fois encore, ce programme a été entaché de corruption et certains de ses responsables sont actuellement jugés. Dans la lutte contre la corruption, le gouvernement Buhari a réalisé certains progrès grâce au compte unique du Trésor, qui a amélioré la transparence financière des institutions publiques. La politique de dénonciation a également permis de récupérer des fonds détournés.
Défaillances en matière de sécurité
Sous la présidence de Buhari, la situation sécuritaire s'est détériorée au Nigeria. Le banditisme, les affrontements entre agriculteurs et éleveurs, les enlèvements et les agitations séparatistes se sont intensifiés. En 2015, Buhari a fait campagne en promettant de vaincre Boko Haram et de rétablir l'intégrité territoriale dans le nord-est du pays. Au départ, son administration a réalisé certains progrès. Boko Haram a été chassé de plusieurs zones administratives locales qu'il contrôlait auparavant, et d'importantes opérations militaires telles que l'opération Lafiya Dole ont été lancées pour reconquérir le territoire. Cependant, ces premiers succès n'ont pas été durables. Boko Haram s'est scindé en plusieurs factions telles que la Province d'État islamique en Afrique de l'Ouest. Ce groupe a continué à lancer des attaques meurtrières. La stratégie antiterroriste de Buhari était souvent réactive et manquait d'une doctrine claire à long terme. L'armée était surchargée et sous-équipée. Des problèmes de moral et des allégations de corruption dans le secteur de la défense ont compromis les opérations. Il y avait une mauvaise coordination entre les services de renseignement. Les relations entre l’armée et les civils se sont dégradées à cause de fréquentes violations des droits humains commises par les forces de sécurité. Peu à peu, la population a perdu confiance en la capacité de l’État à assurer sa sécurité. Le retour de Buhari au pouvoir avait suscité beaucoup d’espoir. Mais sur ce point aussi, il n’a pas été à la hauteur.