L'AFRIQUE EN FIGURANTS
"Une Afrique subalterne, silencieuse, docile" : c'est ainsi que le sociologue Francis Akindès analyse la photographie officielle du 9 juillet dernier à la Maison-Blanche. Et s'ils avaient dit non ?, s'interroge l'universitaire

(SenePlus) - Une photographie prise le 9 juillet 2025 à la Maison-Blanche fait polémique et suscite une réflexion sur les rapports de force dans la diplomatie internationale. L'image montre Donald Trump, confortablement installé derrière le Resolute Desk du Bureau ovale, tandis que cinq chefs d'État africains se tiennent debout en arrière-plan, alignés comme des figurants.
Cette mise en scène protocolaire, captée en marge d'un dîner officiel, réunit le président américain avec ses homologues sénégalais Bassirou Diomaye Faye, mauritanien Mohamed Ould Ghazouani, gabonais Brice Clotaire Oligui Nguema, libérien Joseph Boakai et bissau-guinéen Umaro Sissoco Embaló. La configuration de cette photo officielle interpelle par son symbolisme : un seul homme assis au centre, les autres relégués à l'arrière-plan.
Pour le sociologue Francis Akindès, professeur à l'Université Alassane-Ouattara de Bouaké, cette photographie dépasse la simple maladresse protocolaire. Dans un éditorial publié par Jeune Afrique, l'universitaire ivoirien analyse ce cliché comme révélateur d'une "hiérarchie implicite et brutale, celle d'un monde où l'Afrique, toujours représentée mais rarement actrice, doit se conformer à la scénographie du dominant".
L'expert souligne que Trump "y trône avec cette morgue propre aux riches incultes, entouré de dirigeants qui cautionnent malgré eux, par leur présence figée, l'idée d'un ordre diplomatique déséquilibré". Cette analyse met en lumière les enjeux symboliques d'une rencontre qui aurait pu prendre une tout autre tournure protocolaire.
Akindès pousse la réflexion plus loin en questionnant : "Remplacez Trump par un président français, portugais ou britannique : aurait-on toléré pareille mise en scène en Afrique ?" Cette interrogation fait écho à l'humiliation subie par Volodymyr Zelensky, "pourtant chef d'un État européen en guerre", qui "avait provoqué la stupeur", alors qu'ici "la résignation semble devenue la norme".
Le sociologue développe un scénario alternatif qui aurait pu changer la donne diplomatique. "Imaginons un autre scénario si ces chefs d'État africains avaient décliné cette disposition... S'ils avaient simplement dit : asseyons-nous tous ?", interroge-t-il dans les colonnes de Jeune Afrique.
Selon l'universitaire, ce refus aurait eu plusieurs vertus. "Symboliquement, il aurait affirmé une souveraineté assumée, une dignité qui ne négocie pas sa posture. Cela aurait rompu avec cette mise en scène récurrente d'une Afrique toujours en attente, toujours reconnaissante. Une Afrique qui ne prend jamais l'initiative de son image."
L'analyse géopolitique d'Akindès révèle que "le contexte était propice" à une telle prise de position. "Trump avait déjà insulté le continent par ses propos méprisants. Une réaction coordonnée aurait provoqué un débat mondial sur la manière dont on regarde, reçoit et, parfois, humilie les dirigeants africains."
L'expert compare cette occasion manquée aux pratiques d'autres puissances émergentes : "Cela aurait été un geste fort, comparable à ceux que savent poser la Chine, l'Inde ou le Brésil, qui savent refuser ce qui offense." Cette référence illustre comment d'autres nations parviennent à imposer leur dignité dans les rapports internationaux.
Pour Akindès, l'impact politique d'un tel geste aurait été considérable : "Ce geste aurait été salué par des millions d'Africains fatigués des mises en scène humiliantes. Dans un monde où les symboles comptent, se lever pour exister n'a de valeur que si l'on choisit aussi quand se tenir debout ou assis."
Le sociologue insiste sur le fait que "poser pour une photo, ce n'est jamais neutre". Il estime que "ce jour-là, en s'alignant derrière un homme qui a publiquement rabaissé leur continent, ces dirigeants ont, à leurs corps défendant, contribué à valider un récit qui n'est pas le leur. Celui d'une Afrique subalterne, silencieuse, docile."
L'éditorial de Francis Akindès dans Jeune Afrique se conclut sur une note prospective. "Une autre histoire reste à écrire. Les photos peuvent être recadrées, les gestes réinventés. À condition que l'Afrique accepte enfin de poser, non pas au second plan mais bien au premier, et pourquoi pas debout, mais pour elle-même et parce qu'elle l'aura choisi."