LE PROCÈS QUI A FAIT ENTRER SERIGNE TOUBA AU PANTHEON DE LA RESISTANCE COLONIALE
Le 5 septembre 1895, Cheikh Ahmadou Bamba, par de hauts faits d’armes, écrivit l’histoire dans le bureau du gouverneur l’AOF - Deux spécialistes reviennent à travers leurs études, sur les causes et les conséquences de ce jour

Aujourd’hui est célébrée la prière des deux Rakkas de Saint Louis, évènement marquant de la confrérie mouride qui rend hommage au fondateur du mouridisme pour avoir résisté aux colons dans le bureau du gouverneur de l’AOF à l’époque. Cet acte héroïque du 5 septembre 1895 aura pour conséquence la déportation de Cheikh Ahmadou Bamba au Gabon pendant plus de 7 ans. Son héroïsme et sa résistance pacifique lui ont ouvert les portes de l’éternité à son retour en 1902 et renforcé son aura au Sénégal et dans le monde. Deux spécialistes du mouridisme reviennent, à travers leurs études, sur les causes et les conséquences du 5 septembre 1895, jour qui a jeté les bases du rayonnement du mouridisme.
Le 5 septembre 1895, Cheikh Ahmadou Bamba, par de hauts faits d’armes, écrivit l’histoire dans le bureau du gouverneur l’AOF. En effet, le Gouvernement français qui avait constaté l’influence grandissante de Cheikh Ahmadou Bamba convoqua ce dernier le 5 septembre 1895 dans le bureau du gouverneur Mout pour y subir un procès. Avec à la clé plusieurs chefs d’inculpation : prédicateur de guerre sainte, trouble à l’ordre public, porte atteinte à l’économie du pays, excite la haine entre les sectes. Le procès verbal du Conseil privé du 5 septembre dressé à l’issue de ce procès est sans ambages. «Le conseil privé, après avoir entendu la lecture des rapports de MM Merlin et Leclerc et fait comparaitre Ahmadou Bamba, a été d’avis, à l’unanimité, qu’il y avait lieu de l’interner au Gabon, jusqu’à ce que l’agitation causée par ses enseignements soit oubliée au Sénégal». Ainsi débute l’odyssée du fondateur du mouridisme dont le calvaire commence à se faire sentir même dans l’ile de Saint Louis.
Et c’est Cheikh Ahmadou Bamba qui le confessera lui même dans un de ses nombreux ouvrages intitulé «Les Dons du Digne de Reconnaissance» relatant son exil . «J’ai subi dans cette île (Saint Louis), au cours de cette période des épreuves que je n’évoquerai jamais par courtoisie à l’endroit du plus Digne de Reconnaissance Qui est adoré par amour pour sa face. Celles-ci (les épreuves) étaient une éducation spirituelle de la part du Vivant (Dieu) Qui ne meurt pas. Lui qui m’a dispensé de recourir aux armes contre l’assassin». Loin de le faire abdiquer, cet exil conforte son aura, selon l’archiviste Omar Ba dans une étude intitulée : «Cheikh Ahmadou Bamba Face aux autorités coloniales». Selon le spécialiste du mouridisme, cet exil, loin de neutraliser Cheikh Ahmadou Bamba, a renforcé sa sainteté. La captivité gabonaise se transforme aux yeux de ses fidèles en épreuve mystique qui lui confère une aura supplémentaire. Le Mouridisme, durant ces 7 années, explique-t-il, n’a cessé de se propager à travers le Sénégal depuis le cercle de Baol (Baol, Cayor, Louga et Sine-Saloum) jusqu’aux frontières de celui de Thiès.
Revenant sur la fameuse journée du 5 septembre 1895, Omar Ba souligne : «Aucune prédication de guerre sainte n’a pu être prouvée ni retenue contre le marabout... Mais le pouvoir colonial, convaincu qu’il représente une potentielle menace politique dans le contexte des irrédentismes régionaux, aboutit sa politique de neutralisation qui se solde par son exil au Gabon». Il estime que l’administration coloniale, obnubilée par le maintien de l’Ordre colonial, n’aura pas compris le phénomène mouride pour ce qu’il est réellement. «Le mouridisme prône les valeurs de foi, de non violence, le travail et la discipline comme voie de libération de ses Talibés», affirme l’archiviste dont les propos sont confortés par le Pr Galaye Ndiaye, enseignant et spécialiste du mouridisme vivant en Belgique.
Dans une contribution intitulée «Le réalisme pragmatique du Cheikh Suprême de la Muridiyya », le Pr Ndiaye soutient que l’administration française désappointée par la tactique du marabout s’employa avec acharnement à déjouer ses plans. C’est ainsi que, fidèle à sa réputation, elle tenta de le juguler en se servant de la «stratégie du bannissement et de l’isolement». De l’avis de Pr Ndiaye, «la mobilité du marabout à cette époque (différents exils) n’avait d’autre justification que la déroute et l’inquiétude qu’il avait réussi à installer chez ses ennemis». Le but ainsi visé était clair et sans équivoque : maintenir le marabout le plus loin possible de ses fidèles, réduire à néant toute possibilité de propagation de ses idées. Il était donc évident que le marabout en s’autoproclamant détenteur du flambeau qui éclaire la conscience et la voie du peuple noir avait suscité le courroux du colonisateur.