UNE VIE AU PIED DES MONTAGNES
Un pauvre assis sur une mine de richesses. Tel pourrait être l’intitulé du portrait du village de Damboukoye, dans la région de Kédougou, sur la route de Salémata, juste après Bandafassi

Un pauvre assis sur une mine de richesses. Tel pourrait être l’intitulé du portrait du village de Damboukoye, dans la région de Kédougou, sur la route de Salémata, juste après Bandafassi. Venus des montagnes d’Ibel, ses habitants ont élu domicile au pied de ces massifs afin de bénéficier de plus de terres d’agriculture et de pâturage. Leur particularité : ils cohabitent avec des carrières de marbre dont l’exploitation peine à décoller.
Damboukoye, dans la région de Kédougou, commune de Bandafassi. Ses massifs montagneux couverts de végétation toisent le ciel. Ses étendues de verdure sont à perte de vue, tel un jardin bien entretenu. Cette luxuriance est surtout le témoin d’un hivernage pluvieux. Il faut bien ouvrir l’œil, le bon, pour remarquer les cases en pisé dans les concessions éparses coincées entre montagne et grands arbres.
Avec une population de plus de 600 habitants, essentiellement Bedik, Koniagui, Bassari…, les gens de Damboukoye vivaient pour l’essentiel dans… les montagnes. S’activant principalement dans l’agriculture et l’élevage, les populations ont vu, au fil des années, l’espace se rétrécir face à la poussée démographique en haut des montagnes. Selon Jonas Boubane, corps chétif, petite barbe, chemise négligemment boutonnée, beaucoup de raisons expliquent cette migration progressive. « Nous vivions dans un village situé sur la montagne, mais il y avait trop de monde et ceux qui faisaient l’élevage ne pouvaient vivre là-bas. Dans les années 80, les gens ont commencé à descendre et ont créé ce village », explique-t-il.
En effet, essentiellement rocheuses, les terres en montagne n’offrent pas beaucoup d’opportunités aux agriculteurs en saison sèche. Quand les hommes se tournent vers l’agriculture et l’élevage, les femmes, elles, s’intéressent à la cueillette de jujubes, de pain de singe, à la culture du « pois de terre » appelé « Gadianga » et au maraîchage. « La vie ici est magnifique. Tout le monde est dans une activité. Homme comme femme, personne ne succombe aux affres de l’oisiveté. Aussi bien pendant l’hivernage que durant la saison sèche », souligne Jonas.
Dans cette localité, ce qui frappe en premier le visiteur, c’est l’éloignement des concessions qui composent le village. Chaque concession renvoie à une famille. On trouve les Camara, les Boubane, les Keita, les Samoura, les Bindia, etc. Elles sont parfois distantes de près de cinq cent mètres, et les pistes pour aller d’un habitat à un autre sont peu praticables, surtout pendant l’hivernage. Selon Bernard Papa Camara, la trentaine sonnée et habitant de la concession des Camara Kounda, cela s’explique par la volonté des habitants de se donner un maximum d’espaces pour y pratiquer leurs deux principales activités, à savoir l’agriculture et l’élevage. Du mil au maïs en passant par le fonio, tout y est cultivé. Des champs s’étendent sur plusieurs hectares dans cette localité où hommes et femmes se confondent dans les travaux champêtres. Aujourd’hui, à Damboukoye, même si les populations sont très actives, beaucoup reste à faire. A part une école de deux salles de classe (abris provisoires) construites il y a trois ans, trois forages et des puits, la localité manque de tout. « Il n’y a ni branchement électrique encore moins une structure sanitaire », déplore Jonas.
Une carrière de marbre à exploiter
Rosé vert, blanc cassé, noir et vert… telles sont les variétés de marbre qu’offre Damboukoye. Ici, le potentiel des carrières de marbre est énorme et de qualité. C’est ce que révèle Jonas, dont le papa, François, fut le bras droit du premier exploitant de la carrière. « C’est une variété de marbre qui peut durer jusqu’à 150 ans, il est même meilleur que le carrare en Italie », révèle-t-il. Selon lui, le premier exploitant s’appelait M. Le Bigre, un ancien combattant français. Et son histoire avec le marbre de Damboukoye est assez singulière. Envoyé pour délimiter la frontière entre le Sénégal et la Guinée, le militaire français tombe sur une pierre pas comme les autres. Il la ramasse et l’amène au laboratoire, chez lui en France. Les résultats lui révèlent que c’est du marbre. « Il a, par la suite, démissionné de l’armée pour venir s’installer à Damboukoye », explique Jonas. Il élit domicile tout près de la carrière. La case en marbre que M. Le Bigre s’était fait construire en 1962 pour y loger est restée presque intacte. Quant à la piscine, les trois chambres d’hôte, le restaurant et la salle à manger, les traces sont encore visibles. Selon des témoignages, M. Le Bigre s’était bien intégré dans la communauté, aidant les nécessiteux, mettant à leur disposition des moyens de transport pour les malades en situation d’urgence… Mais si au début tout se passait bien pour le nouvel exploitant parce qu’exonéré par le Président Léopold Senghor, l’arrivée de Diouf au pouvoir lui sera fatale. «Même s’il employait 12 personnes, il ne payait pas de taxes sous Senghor. Avec Abdou Diouf, il a commencé à payer et c’était trop cher. Parce que l’exploitation de la carrière de marbre nécessite énormément de moyens. Entre l’exploitation, le concassage, le transport et l’exportation, il faut beaucoup d’argent. Il a fini par mettre la clé sous le paillasson», explique Jonas.
Emplois précaires
Même si l’agriculture et l’élevage sont les principales activités de la localité, il n’en demeure pas moins que les populations travaillent de temps à autre dans la carrière. Mais ils n’y récoltent que des miettes. Selon Bernard Camara, ils pouvaient y travailler pendant quatre mois et se retrouver avec 15.000 FCfa et/ou des morceaux de tissus, pour des tâches faîtes avec des marteaux. «Comme l’autre exploitant qui est venu après M. Le Bigre n’avait pas l’autorisation de dynamiter la roche, nous étions obligés d’utiliser des marteaux d’une dizaine de kg pour casser les grottes de marbre», fulmine Jonas.
Dans les allées principales de la localité, des grues à l’arrêt, parfois recouvertes d’herbes folles, sont visibles le long de la route principale. Preuve que l’exploitation de la carrière est à l’arrêt. Selon Jonas, des études ont montré qu’il y a encore énormément de réserves. «Quelqu’un nous a dit qu’il y a encore du marbre à plus de 30 mètres de profondeur, c’est pourquoi d’ailleurs nous n’arrivons pas à creuser des puits», a-t-il révélé.
JONAS BOUBANE, habitant de Damboukoye : Enfant du marbre
Les mirages de la ville ne semblent avoir aucun attrait sur Jonas Boubane. Ce quadragénaire, tête de jeune premier, s’épanouit dans son village de Damboukoye où il s’active dans l’agriculture et la confection de nattes, de lits et de cases. Des activités qu’il menait en parallèle, jusqu’à une date récente, à celle d’ouvrier dans une carrière de marbre.
Casquette vissée sur la tête, bas de pantalon relevés jusqu’aux mollets, barbe et moustache en broussaille, débit lent et plein d’assurance. Jonas Boubane a une personnalité difficile à cerner. Nous étions partis pour une interview classique sur le marbre, nous nous retrouvons avec une folle envie de dresser son portrait. C’est que l’homme est d’un caractère charmant, comme d’ailleurs savent l’être les habitants de la campagne.
Il ne faut surtout pas se fier à l’allure dépenaillée de ce quadragénaire à la carnation claire et à la frimousse jeune. Quand il commence à parler, la densité de son propos et la justesse de son argumentaire éclatent à la figure de son interlocuteur. Surtout lorsque nous évoquions avec lui le marbre, notamment de la première carrière de cette roche blanche précieuse située au pied de la montagne Ibel.
Certes, quand l’exploitation de cette carrière a commencé dans les années 1960, Jonas Boubane n’était pas encore né, mais il maîtrise bien le sujet. Sa relation particulière avec le marbre s’explique par deux raisons : d’abord son père, François Boubane, était le gérant et le gardien de la première carrière de marbre au Sénégal ouverte par M. Le Bigre ; ensuite lui-même, Jonas Boubane, est né dans la carrière. « Mon père est descendu d’Iwol, village situé sur la montagne, pour travailler dans la carrière jusqu’à sa fermeture et le départ du Français en 1986. Ce dernier lui avait donné un logement, ce sont les cases que vous voyez tout autour de la carrière. Je suis né ici. En plus, j’ai beaucoup côtoyé le patron de mon père qui m’a appris énormément de choses sur le marbre. Ensuite, moi-même j’ai travaillé dans la deuxième carrière qui a été ouverte ici. C’est donc normal que j’aie quelques notions et connaissances sur le marbre », explique-t-il. On comprend dès lors toute la passion qui teinte ses propos.
Cependant, l’histoire d’amour entre Jonas et le marbre que l’on pensait imprimée dans le… marbre vacille depuis quelques mois. En effet, il a décidé d’arrêter de travailler dans la deuxième carrière en exploitation dans le même alignement que la première après 13 ans de service. Et pour cause : « L’exploitant nous exploitait. On pouvait travailler quatre mois et se retrouver avec 15.000 FCfa. Comme la plupart des jeunes qui travaillaient dans la carrière, j’ai préféré arrêter et me consacrer entièrement au travail de la terre. Là, au moins, on est autonome et avec les autres activités connexes comme la confection de cases, de nattes et de lits en rôniers, on gagne bien sa vie », confie-t-il en homme révolté.
Et pourtant, Jonas Boubane fondait beaucoup d’espoir dans l’ouverture de cette deuxième carrière. On est en 2005, Jonas rentrait à Damboukoye avec un Cap et un Bep en poche décrochés après une formation professionnelle à Don Bosco et au lycée technique Maurice Delafosse. En effet, le brillant élève qu’il fut, après des études à la Mission catholique jusqu’à l’obtention du Bfem, avait pris l’option de suivre un cursus professionnel. Son objectif était d’aller plus loin et de décrocher un bon boulot à Dakar. Mais le sort en a décidé autrement. « Mon tuteur à Dakar est décédé subitement. Je n’avais plus les moyens de rester dans la capitale, donc j’ai dû mettre un terme à mes études et retourner au village », explique-t-il avec un brin de nostalgie.
Une fois au village, son profil a intéressé l’exploitant de la deuxième carrière qui lui a proposé du travail. La suite, on la connaît. « Le seul regret que je nourris aujourd’hui, c’est d’avoir perdu trop de temps dans cette carrière de marbre. L’exploitant m’a fait miroiter monts et merveilles pendant toutes ces années, j’avais confiance en lui. Hélas, il m’a déçu », dit-il de sa voix posée.
Mais à quelque chose, malheur est bon. Jonas qui ne s’activait dans l’agriculture qu’à temps partiel, a pris la résolution de s’y consacrer entièrement, corps et âme. Et pas question pour lui de répondre aux sirènes de la ville. Jonas sait qu’aux pieds de ces montagnes en pays Bassari et Bedik où la nature est époustouflante de beauté et la terre aussi fertile que généreuse, où les gens vivent d’agriculture, d’élevage et de petites activités traditionnelles, il sait donc qu’il peut y construire son bonheur.
« C’est vrai que je peux nourrir des regrets par rapport à mes études, me disant que j’aurais pu aller plus loin, viser plus haut, avoir un travail fixe, mais je me dis aussi que je peux bien m’épanouir dans mon terroir. Le bonheur, c’est relatif. Je trouve mon bonheur aujourd’hui au contact de mon terroir, de ma terre natale », dit-il, philosophe.
Le Ngothie, le vin qui requinque
Vin fait à base de sorgho, le Ngothie est énergisant. Lors des corvées champêtres, il est servi pour requinquer les laboureurs. C’est pourquoi à Damboukoye, il est fabriqué avec ingéniosité et en quantité.
A Damboukoye, à chaque concession, son appellation, son histoire… sa créativité, sa richesse culturelle. Chez les Camara, communément appelés Camara Kounda, l’heure est au labour dans les champs. Hommes et femmes s’y sont mis. Les outils sont rudimentaires. Juste des houes et des dabas. Le soleil tape fort, mais pas assez pour freiner l’ardeur de ces braves cultivateurs. Apparemment, ils débordent d’énergie. Selon Bernard Papa Camara un des jeunes du village, c’est une période durant laquelle tout le village n’a d’yeux que pour les travaux champêtres, et cela se prépare. Quelque part dans les champs de maïs, une petite case trône. En face, de la poudre de sorgho est étalée sur des nattes, deux gros barils servent de marmite, ils sont sur le feu, bouillonnant.
Selon Sabine Camara, chargée de surveiller ces deux récipients, la cuisson a commencé depuis 06 heures du matin. Et cela va durer jusqu’à 20 heures. « Je suis là pour attiser le feu. De temps à autre, je mets un peu de bois pour raviver les flammes », explique-t-elle. Qu’est-ce qui bout donc dans ces barils pour mériter toute cette attention ? La réponse viendra de Bernard Camara, grand frère de Sabine. « C’est du vin à base de sorgho. Nous le faisons bouillir pendant deux jours, du petit matin à la tombée de la nuit. Le troisième jour, on passe à l’étape de la fermentation. Le quatrième jour, c’est bon pour la consommation. Le breuvage s’appelle Ngothie. Nous le servons à l’occasion des grandes fêtes ou des corvées. C’est tellement fort qu’on peut en ressentir les effets pendant cinq jours », explique-t-il. Et à l’approche de la grande corvée des Camara Kounda (mobilisation générale pour aider une famille dans ses travaux champêtres et qui se fait à tour de rôle), le village en aura besoin. Parce que, dit-on, « c’est un vin énergisant ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le stock est assez impressionnant. « Près de 260 litres sont déjà stockés », révèle Bernard, montrant des barils soigneusement rangés.