ABDOULAYE SADJI, ALLIANCE PLURIELLE ET RENAISSANCE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le roman "Nini mulâtresse du Sénégal" permet de ne pas oublier qu’il faut se méfier des préjugés éhontés, des représentations qui résistent à la modernité, de l’aliénation qui peut saisir à tout moment les êtres

Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Nini mulâtresse du Sénégal d’Abdoulaye Sadji est un roman bien singulier dans la littérature sénégalaise.
L’histoire de Nini se déroule à Saint-Louis durant la période coloniale. Rien de mieux pour camper la problématique du métissage et éveiller la mémoire d’une histoire douloureuse. Même si l’interculturalité a beaucoup évolué tout au long des dernières décennies, le questionnement de la double appartenance reste un sujet entièrement d’actualité par ses aspects complexes et irrésolus.
Pour les besoins du récit, les situations décrites dans Nini sont légèrement décalées en raison du contexte colonial de l’époque mais l’ambigüité de l’esprit de l’héroïne est d’une grande justesse et peut parfois se poser encore en ces termes aujourd’hui.
En effet, Nini, jeune femme de vingt deux ans employée de bureau pour une entreprise française, possède un idéal destructeur : celui du monde blanc occidental dont elle se réclame car son apparence physique s’en approche au plus près. Or, elle est une mulâtresse et possède du sang noir pour lequel elle n’a que mépris. Nini veut désespérément appartenir à la race blanche alors que celle-ci la relègue à sa négritude. De l’autre côté du miroir falsifié, les Noirs à la peau « ébène » la raillent à cause de son travestissement.
Nini est comme une apatride car finalement elle n’appartient ni au monde blanc qui la méprise ni à l’univers de ses racines africaines qu’elle cherche par tous les moyens à effacer. Nini est entre deux races, entre deux couleurs, écartelée entre deux cultures, exacerbées dans le récit par l’histoire coloniale.
Pour autant ce type de distinction n’a-t-il plus court aujourd’hui ? Bien sûr et malheureusement oui ! Même si les lois de ségrégation cruelles et dévastatrices ont disparu, la hiérarchisation des races, hélas, existent encore dans la mémoire collective. Les sentiments confus de supériorité de race au sein de la société occidentale, l’ombre de subordination attribuée aux anciens esclaves, coexistent encore, d’une manière parfois inconsciente, comme un passé lourdement enfoui qui peut surgir à tout moment.
En cette période de mutation socioculturelle, des phénomènes de mondialisation, des schémas nouveaux de transculturalité, le métissage est en vedette dans la destinée humaine. Et c’est une excellente chose.
Le roman d’Abdoulaye Sadji permet de ne pas oublier qu’il faut se méfier des préjugés éhontés, des représentations qui résistent à la modernité, de l’aliénation qui peut saisir à tout moment les êtres, de la méfiance qui naît devant la différence alors que le regard ne peut que s’enrichir de la singularité de chacun.
Car c’est là tout le paradoxe, la destinée humaine est universelle mais la personnalité culturelle est à sauvegarder pour s’affirmer dans la connaissance de soi, sans pour autant s’enfermer dans les carcans d’une société qui retracerait d’elle-même des frontières artificielles, inutiles et arbitraires.
Le style du roman d’Abdoulaye Sadji est en cela très éclairant, voire pédagogique. L’auteur ne ménage aucune communauté. Avec une forme directe, il fait apparaître les défauts de chacun, sans les juger pourtant, comme un observateur avisé et attentif aux frémissements de sa société.
La tendresse qu’il éprouve pour son héroïne est évidente. La complexité qu’il construit autour du personnage de Nini est d’une grande pertinence, il porte son regard sur la nature humaine qui rêve, qui s’illusionne et qui lutte avec les armes dont elle dispose.
Le roman d’Abdoulaye Sadji est comme un tableau historique qui raconte des vies qui se cachent derrière le mensonge. Il pourchasse les causes, relate des faits et analyse les conséquences dont on peut encore tirer des leçons.
L’union interraciale ne doit plus être celle de la dépendance de l’un ou de l’autre, pour fuir une communauté, pour échapper à la misère ou pour alimenter le fantasme de la représentation de l’autre de manière erronée.
Le métissage est une communion magique qui doit laisser vivre les belles différences humaines sans renier les fondements des racines socioculturelles et laisser la place à un idéal pluriel pour une civilisation renouvelée.
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.
Nini mulâtresse du Sénégal, Abdoulaye Sadji, Présence Africaine, Paris, 1988.
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