AU SÉNÉGAL, DES MANNEQUINS EN FIL ROUGE
Podiums scintillants, créateurs renommés, invités triés sur le volet : la Dakar Fashion Week affiche son succès. Mais derrière cette façade dorée, les mannequins sénégalais peinent à survivre, exploités par un secteur qui les traite "comme des chiffons"

(SenePlus) - La Dakar Fashion Week fait rêver avec ses podiums glamour et ses créateurs venus de tout le continent. Mais derrière cette vitrine scintillante se cache une réalité bien plus sombre : celle de jeunes mannequins sénégalais contraints de travailler dans des conditions extrêmement précaires, sans contrats ni garanties, selon une enquête du site d'information Afrique XXI.
Dans une société sénégalaise encore très ancrée dans des valeurs traditionnelles, le mannequinat reste un métier mal perçu. « Les parents, les amis, ils disent que ce n'est pas un travail. Que ce n'est pas un métier pour les hommes. Pour les femmes, ils disent que ce n'est pas un métier digne non plus. Parce que vous montrez votre corps, que vous le vendez. Ils disent que vous êtes une prostituée », explique Willy Diatta, mannequin de 27 ans, selon Afrique XXI.
Cette stigmatisation pousse parfois les familles au rejet total. Mouha Sow, le plus jeune du groupe de mannequins interrogés, « a été répudié, chassé de la maison par son père qui lui demandait d'arrêter le mannequinat et de se concentrer sur autre chose », rapporte son ami Willy. « Mais Mouha a refusé et il n'avait plus de chez lui pendant des semaines. »
L'un des problèmes majeurs de ce secteur reste l'absence quasi-systématique de contrats. Même Oumy Dione, mannequin expérimentée de 24 ans qui se fait appeler Souphah, avoue ne pas connaître sa rémunération pour la Fashion Week : « Je me dis que ça ira. Avec les années, ils ont l'habitude de bien payer, donc ce n'est pas trop grave de ne pas connaître le cachet exact », confie-t-elle à Afrique XXI.
Cette situation laisse la porte ouverte à tous les abus. « Même pour les grands défilés comme celui de la Fashion Week de Dakar, il n'y a pas de contrat. Et quand vous en demandez un, on vous répond que vous êtes trop compliqué et qu'on peut s'adresser à n'importe qui d'autre », regrette Sam Diatta, jeune mannequin de la banlieue dakaroise.
Des conditions de travail déplorables
Les témoignages recueillis par Afrique XXI dressent un tableau accablant des conditions de travail. Willy Diatta détaille la réalité économique de ses collègues : « Quand vous prenez un transport pour vous rendre à un défilé, vous payez 300 francs CFA pour l'aller, donc ça va. Ensuite, vous ne mangez rien de la journée, et vous avez faim. À la fin du défilé, souvent vers 1 heure du matin, vous devez payer un taxi à près de 4 000 FCFA, voire 6 000 pour des personnes comme nous, qui habitons en banlieue. »
Le bilan financier est souvent catastrophique : « Après le défilé, soit on vous annonce que le cachet est de 15 000 FCFA, soit on vous dit que vous ne serez pas payé. Parfois, le promoteur a simplement disparu ou il ne répond plus à vos appels… Donc finalement, vous n'avez rien gagné. »
Goora Mbaye, mannequin de 24 ans et fondateur de sa propre agence, dénonce ouvertement ce qu'il considère comme une « culture du mépris ». « On nous traite comme des chiffons. Pour un défilé, tu touches 30 000 francs maximum. Donc, la majorité des mannequins à Dakar exerce un autre métier à côté », explique-t-il selon Afrique XXI.
Il pointe également du doigt l'exploitation par des marques internationales : « Un jour, un client étranger est venu me voir pour un shooting avec une enseigne de valises très connue : on me proposait de travailler de 8 heures à 18 heures pour seulement 20 000 francs. Quand j'ai refusé, il s'est énervé et m'a répondu qu'il ferait un "casting sauvage". »
Face à cette situation, certains mannequins tentent de faire évoluer les pratiques. Goora Mbaye a créé sa propre agence avec douze mannequins âgés de 17 à 24 ans, s'imposant comme intermédiaire protecteur : « Je leur pose beaucoup de questions. Ils et elles sont sous ma responsabilité : est-ce qu'on vient te chercher ? Est-ce que tu as le petit-déjeuner ou le dîner ? Et au moindre problème, je dis : "Tu pars." »
Willy Diatta appelle également à une prise de conscience collective : « Si la majorité des mannequins accepte de travailler gratuitement ou dans de mauvaises conditions, rien ne changera. Si nous n'apprenons pas à nous respecter nous-mêmes, comment pouvons-nous espérer que les autres – les directeurs de casting, les agences et leurs agents – nous respectent ? »