KAMEL DAOUD RENONCE À L'ITALIE PAR PEUR D'ÊTRE ARRÊTÉ
Visé par deux mandats d'arrêt internationaux émis par Alger, l'écrivain ne se sent plus en sécurité, même au cœur de l'Union européenne. Le Prix Goncourt a annulé sa participation à un festival italien par peur d'une arrestation

(SenePlus) - Le Prix Goncourt 2024 devait participer au festival culturel milanais La Milanesiana le 16 juin, mais l'écrivain franco-algérien Kamel Daoud a préféré annuler son déplacement. En cause : la crainte d'être arrêté et extradé vers l'Algérie par la justice italienne, rapporte Le Monde.
Alors qu'il était attendu au festival dirigé par son éditrice italienne Elisabetta Sgarbi, à la tête de la maison La Nave di Teseo, Kamel Daoud "a renoncé à se rendre dans la capitale lombarde, craignant d'être arrêté et extradé vers l'Algérie par la justice italienne", selon les informations du quotidien français. L'écrivain, poursuivi dans son pays d'origine, "se sent désormais menacé jusqu'au cœur de l'Union européenne".
La nature exacte des risques encourus par l'auteur de "Houris" reste floue. Selon Le Monde, "l'écrivain aurait reçu des informations (non vérifiées à ce jour) selon lesquelles son arrestation et son extradition seraient déjà prévues – au titre d'accords bilatéraux entre l'Italie et l'Algérie, pays historiquement liés, qui entretiennent des relations diplomatiques étroites".
C'est le quotidien italien Corriere della Sera qui a révélé en premier cette décision, "évoquant la présence de son nom dans les 'bases de données' de la police italienne – sans que le journal milanais soit en mesure de définir la nature de ce fichier, ni ce qu'il impliquerait d'un point de vue légal", précise Le Monde.
Deux mandats d'arrêt internationaux
Kamel Daoud, qui "compte parmi les principaux intellectuels opposants au régime algérien, fait l'objet de deux mandats d'arrêt internationaux émis par Alger". Ces poursuites s'inscrivent dans un contexte tendu, marqué par "le calvaire d'un autre écrivain franco-algérien, Boualem Sansal, arrêté en novembre pour 'atteinte à l'intégrité du territoire national' et condamné le 27 mars à cinq ans de prison".
Les mandats d'arrêt visant Kamel Daoud sont "liés à la publication du dernier ouvrage de Kamel Daoud, Houris, prix Goncourt 2024" et "font suite à des plaintes déposées en Algérie par une rescapée d'un massacre survenu durant la guerre civile algérienne (1992-2002), laquelle l'accuse d'avoir utilisé son histoire sans son consentement, ainsi que par l'Organisation nationale des victimes du terrorisme algérienne".
Au ministère de la Justice italien, on relativise la situation. Les autorités "se défendent en affirmant que la décision de Kamel Daoud est fondée sur des considérations 'purement hypothétiques' et qu'aucune opération visant à l'arrestation de l'écrivain n'aurait pu être enclenchée avant son arrivée, un juge ne pouvant de toute façon pas agir seul dans une affaire de ce type", rapporte Le Monde.
Contacté par le journal, Kamel Daoud "n'a pas souhaité s'exprimer", tout comme son avocate, ses éditrices française et italienne.
Inquiétudes politiques en Italie
Sur X, Elisabetta Sgarbi a déclaré lundi 2 juin : "J'espère vivement que le gouvernement italien garantira l'exercice du droit d'expression de Kamel Daoud et ne permettra pas que des considérations 'politiques' interfèrent avec la littérature."
L'affaire suscite déjà des réactions dans la classe politique italienne. La députée du Parti démocrate Lia Quartapelle confie au Monde des livres : "Je n'ai pas d'éléments précis mais j'ai le sentiment que quelque chose ne tourne pas rond. S'il n'y avait rien, le gouvernement se serait déjà exprimé sur l'affaire pour nier que Kamel Daoud soit menacé en Italie. Or il garde le silence."
La parlementaire met cette affaire en perspective avec l'évolution des relations diplomatiques : "au moment où Paris et Alger se déchirent, l'Italie et l'Algérie se sont encore rapprochés depuis l'arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni". Ces relations sont notamment fondées sur "un partenariat énergétique solide, Alger étant devenue, à la faveur de la guerre à grande échelle en Ukraine, le premier fournisseur de gaz de Rome".
L'affaire intervient dans un contexte diplomatique délicat, alors que le président français Emmanuel Macron était à Rome mardi 3 juin pour une rencontre avec Giorgia Meloni. Selon Le Monde, "la situation d'un écrivain français renonçant, pour sa propre sécurité, à se rendre en Italie n'est pas de nature à fluidifier les échanges".