KUY LAAL MAADEMBA, LA BERCEUSE D’UNE GÉNÉRATION ENTIÈRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Cette berceuse est aussi une leçon de vie, un manuel de conduite morale à l’usage de l’enfant devenu homme. Chaque strophe contient une valeur : le respect des parents, la dignité, l’humilité, l’importance de la foi

Décryptage d’un chant d’amour et de prière
Il est des chansons qui, malgré leur discrétion, portent le poids de toute une culture, le souffle d’une époque et la tendresse d’un peuple. Kuy laal Maademba fait partie de ces trésors enfouis dans les mémoires sonores du Sénégal. Chantée par une mère pauvre à son fils, cette berceuse bouleversante ne parle ni de luxe ni de gloire, mais de ce qui constitue l’essence même de l’humanité : l’amour maternel, la prière, la foi et la transmission des valeurs.
Cette œuvre inestimable est l’héritage de Fatou Kassé, griotte née à Louga, formée dans les cercles les plus vivants de l'art populaire sénégalais. À travers cette berceuse, elle livre l’une des plus belles expressions de la sensibilité féminine et maternelle dans la musique traditionnelle.
Une prière murmurée à l’enfant du soir
Kuy laal Maademba commence sur un ton de défi poétique, une manière douce mais ferme de signaler que cet enfant, Mademba, n’est pas comme les autres :
« Kuy laal Maademba
Sabar ga ca Ndaayaan
ndees koy laal
Ndat saay. »
(Qui touchera Mademba ?
Le tambour qui est à Ndaayaan,
on évite de le toucher,
Ndat saay.)
Cette métaphore du tambour sacré de Ndaayaan — qu’on évite de frapper sans autorisation — évoque à la fois la sacralité de l’enfant et le désir de protection inconditionnelle. Mademba est le fruit d’un amour exclusif, un enfant pour qui on adresse des prières profondes :
« Kuy laal sama doom jee ee
Salaan jooyul wéet oo.
Sama doom sama soppe
Dund a mat a jooy oo
Moom laay jooy ndax Yàlla. »
(Qui touchera mon enfant ?
L’unique ne se plaint pas de la solitude.
Mon enfant, mon bien-aimé,
La longévité est ce qu’il faut demander.
Et c’est ce que je prie Dieu pour toi.)
Ici, la solitude n’est pas une plainte, elle est sublimée : l’enfant est unique, certes, mais comblant à lui seul tous les vides. La mère, pauvre peut-être de biens, est riche d’un amour sans faille.
Une sagesse héritée et transmise
Cette berceuse est aussi une leçon de vie, un manuel de conduite morale à l’usage de l’enfant devenu homme. Chaque strophe contient une valeur : le respect des parents, la dignité, l’humilité, l’importance de la foi et du travail.
« Maay ñaan Maademba
Nga day ni sa baay oo
Yallaay buur.
Doom dundal !
Boo dundee ba man liggéey
Feral saay rongoñ ee. »
(Je prie pour Mademba
Que tu vives aussi longtemps que ton père
Dieu est le roi.
Mon enfant, je prie que tu grandisses.
Si tu grandis jusqu’à pouvoir travailler,
Sèche mes larmes.)
La maternité ici est active, spirituelle, tournée vers l’avenir. La mère ne rêve pas de richesse, mais d’un jour où son fils, devenu homme, pourra essuyer ses larmes. Le travail, la maturité, la loyauté filiale sont invoqués comme des bénédictions.
Et vient cette parole capitale :
« Doom waajur du fo
Ku leen di teral jàll àddinaak laaxira.
Kuy teral waajuram
Sa pey ca laaxira. »
(Mon enfant, sache qu’on ne badine pas avec les parents.
Celui qui les honore sera heureux ici-bas et dans l’au-delà.
Celui qui honore ses parents
Verra sa récompense dans l’au-delà.)
Dans cette culture profondément ancrée dans les valeurs spirituelles, la relation parent-enfant n’est pas simplement affective, elle est morale, existentielle. L’insolence, la trahison ou le mépris envers les parents sont décrits comme des fautes qui poursuivent l’enfant fautif tout au long de sa vie :
« Bul bew, bul jàmbu
àqu njureel day toppe
Te day gaañ doom ju bonn. »
(Ne sois pas arrogant ni traître
Toute offense faite aux parents te suivra
Et nuira au mauvais enfant.)
Fatou Kassé : une étoile du Cercle de la Jeunesse de Louga
À l’origine de cette berceuse se trouve une femme exceptionnelle, Fatou Kassé, qui n’a jamais fréquenté l’école française, mais qui a su, par sa voix, son intelligence et sa sensibilité, faire vibrer les foules dans le Sénégal des années 50 et 60. Née dans une famille de griots à Louga, elle apprend à chanter auprès de sa mère, perpétuant ainsi une tradition millénaire de transmission orale.
C’est à l’âge de 13 ans qu’elle rejoint le Cercle de la Jeunesse de Louga, l’un des groupes artistiques les plus dynamiques et populaires du Sénégal. Ce cercle fut une pépinière de talents, mêlant théâtre, chant, récitation poétique et danse traditionnelle. Fatou Kassé y brille très vite, s'imposant comme l'une des voix les plus remarquables de sa génération.
Mais en 1963, comme beaucoup de jeunes filles de son époque, elle quitte la scène pour se marier. Elle abandonne les projecteurs, mais laisse derrière elle un legs précieux, une empreinte que seuls les griots peuvent inscrire dans la mémoire collective sans bruit. Sa berceuse Kuy laal Maademba, chantée sans prétention, reste aujourd’hui un témoin rare de la force du chant féminin dans la culture sénégalaise.
Chant universel, archive précieuseNe pleure pas mon bébé...
Ayoo beeyo beeyoo.
Ne pleure pas mon benjamin...
Ayoo beeyo beeyoo.
Ces derniers mots sont les plus simples et peut-être les plus bouleversants. Ils ramènent la chanson à l’essentiel : l’amour, le soin, la chaleur. L’art de Fatou Kassé, sans artifices, est profondément humain. Sa voix maternelle traverse le temps comme une bénédiction. Kuy laal Maademba n’est pas seulement une chanson. C’est une mémoire. C’est un patrimoine.
À l’heure où les traditions orales s’effacent devant la modernité bruyante, il devient urgent de réécouter ces voix, de les transmettre, de les chanter encore. Parce qu’en elles vit une part précieuse de notre identité.
Kuy laal Maademba
Kuy laal Maademba
Sabar ga ca Ndaayaan ndees koy laal
Ndat saay.
Kuy laal sama doom jee ee
Salaan jooyul wéet oo.
Sama doom sama soppe
Dund a mat a jooy oo
Moom laay jooy ndax Yàlla.
Feq saaw fan mu gund
Nga am foo ma feete.
Maay ñaan Maademba
Nga day ni sa baay oo
Yallaay buur.
Doom dundal !
Bo dundee ba man liggéey
Feral saay rongoñ ee.
Doom waajur du fo
Ku leen di teral jàll àddinaak laaxira.
Kuy teral waajuram
Sa pey ca laaxira.
Bul beew, bul jàmbu
àqu njureel day toppe
Te day gaañ doom ju bonn.
Bul beew Maademba aa
Soo bëgge bijjaaw ee.
Bul jooy sama nene
Ayoo beeyo beeyoo.
Bul jooy sama caat mee
Ayoo beeyo beeyoo.
Qui touchera Mademba ?
Qui touchera Mademba ?
Le tambour qui est à Ndayane on évite de le toucher
Ndat saay
Qui touchera mon enfant ?
L’unique ne se plaint pas de la solitude.
Mon enfant, mon bien-aimé
La longévité est ce qu’il faut demander
[Et] c’est ce que je prie Dieu pour toi.
Naître et vivre longtemps
Afin que tu puisses m’aider.
Mademba, je prie
Que tu vives aussi longtemps que ton père
Dieu est grand.
Mon enfant, je prie que tu grandisses.
Si tu grandis jusqu’à pouvoir travailler
Sèche mes larmes.
Mon enfant, sache qu’on ne badine pas avec les parents.
Celui qui les honore sera heureux ici-bas et dans l’au-delà.
Celui qui honore ses parents
Verra sa récompense dans l’au-delà.
Ne sois pas arrogant ni traître [à l’égard de tes parents].
Toute offense faite à l’encontre des parents suivra le contrevenant dans sa vie
Et ce comportement porte vraiment préjudice au mauvais enfant.
Mademba, ne sois pas arrogant
Si tu veux avoir plus tard des cheveux gris.
Ne pleure pas mon bébé
Ayoo beeyo beeyoo.
Ne pleure pas mon benjamin
Ayoo beeyo beeyoo.