L'EXPOSITION QUI RAVIVE LES PLAIES DU SÉNÉGAL DE MACKY SALL
"Première ligne" fait œuvre de mémoire immédiate en capturant les moments les plus intenses des manifestations qui ont conduit à la chute de l'ancien président. Une plongée visuelle dans la genèse douloureuse du Sénégal d'aujourd'hui

(SenePlus) - Au Musée des Civilisations noires de Dakar, l'exposition « Première ligne » plonge les visiteurs dans les violentes manifestations qui ont secoué le Sénégal entre 2021 et 2024. Une immersion poignante dans les événements qui ont précipité la chute de Macky Sall et l'avènement de Bassirou Diomaye Faye à la présidence.
Nuages suffocants de gaz lacrymogènes qui enveloppent les silhouettes de manifestants, barricades enflammées bloquant des carrefours, visages marqués par les blessures et la détermination – l'exposition photographique « Première ligne » ne fait pas dans la demi-mesure. Elle capture, à travers l'objectif sensible d'Abdou Karim Ndoye, la chronique visuelle d'une période tourmentée qui a profondément marqué l'histoire récente du Sénégal.
Pour les Sénégalais qui ont vécu ces événements de l'intérieur, l'exposition provoque une onde de choc émotionnelle. « Ça me rappelle des moments très très difficiles que nous avons vécus ici au Sénégal. Plus jamais ça… C'était très difficile, j'en ai les larmes aux yeux actuellement », confie Fodé Mané, professeur venu avec ses élèves, comme le rapporte RFI.
Dans une petite salle dédiée, les photographies documentent méticuleusement les blessures infligées aux manifestants durant les affrontements avec les forces de l'ordre. Ces images-témoignages constituent une preuve visuelle de la violence qui a caractérisé la répression sous l'ancien régime.
L'exposition revêt également une dimension pédagogique essentielle, permettant à ceux qui n'ont pas directement vécu ces événements de comprendre l'ampleur de cette page cruciale de l'histoire politique sénégalaise. Éloïse, une jeune femme d'origine sénégalaise venue de France, reconnaît sa méconnaissance antérieure : « Je ne connaissais pas depuis la création du parti jusqu'à l'élection du président. Je connaissais juste le nouveau président, mais je ne savais pas tout ce qui s'était passé avant. »
L'œil du témoin au cœur de l'action
Derrière l'objectif se trouve Abdou Karim Ndoye, photographe de terrain devenu depuis conseiller à la présidence et photographe officiel de Bassirou Diomaye Faye. Présent quotidiennement sur le lieu de l'exposition, il contextualise chaque image pour les visiteurs, transformant l'expérience en une véritable leçon d'histoire contemporaine.
Parmi ses clichés, une image prise en mai 2023 à Ziguinchor le touche particulièrement : de jeunes militants assis sur des sacs empilés formant une barricade pour protéger le domicile d'Ousmane Sonko, alors figure de l'opposition. « Cette photo me parle bien parce qu'elle traduit parfaitement la première ligne », explique-t-il à RFI. « Quand vous regardez les postures, les cagoules, je trouve l'image assez iconique... J'avais trouvé extraordinaire ce que ces jeunes-là étaient en train de faire parce que ça, c'est du jamais vu dans l'histoire politique du Sénégal. »
Ce qui frappe le photographe, c'est la détermination sans précédent de cette jeunesse : « Pour moi, il fallait capturer ces instants-là. Les barrages, leurs stratégies... Ce sont des gens qui étaient prêts, déterminés à se battre coûte que coûte, au péril de leur vie. »
L'exposition ne se contente pas de documenter la répression. Elle retrace également l'ascension politique d'Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, jusqu'à leur arrivée triomphale au pouvoir en avril 2024. Ce parcours, de la répression à la victoire électorale, attire de nombreux sympathisants du nouveau régime, venus contempler les étapes de ce qu'ils considèrent comme leur combat.
De la contestation à l'alternance politique
« Ça nous a fait plaisir de voir comment les jeunes se sont battus pour le président Diomaye et Sonko. C'était vraiment intéressant », confie Mamie à la sortie de l'exposition, selon RFI.
L'exposition prévoit également un mur, encore vierge pour le moment, destiné à recenser les noms des victimes des répressions, dans une démarche mémorielle essentielle pour le travail de vérité et potentiellement de réconciliation nationale.
Le contraste entre la violence des événements documentés et la présence actuelle au pouvoir de ceux qui étaient alors pourchassés donne à cette exposition une dimension particulièrement symbolique – celle d'un cycle politique qui s'est achevé et d'une nouvelle ère qui s'est ouverte pour le Sénégal.
L'exposition « Première ligne » est visible au Musée des Civilisations noires de Dakar jusqu'au 31 octobre 2025, offrant aux Sénégalais et aux visiteurs étrangers l'occasion de comprendre les ressorts d'une mobilisation populaire qui a profondément transformé le paysage politique du pays.