'PREMIÈRE LIGNE', UNE CHRONIQUE VISUELLE DU SOULÈVEMENT POPULAIRE AU SÉNÉGAL
Du tumulte des rues aux lendemains électoraux, le journaliste et photographe Abdou Karim Guèye retrace, à travers son exposition au Musée des civilisations noires, trois années de tensions politiques et sociales.

Avec l’expo «Première ligne», le journaliste et photographe Abdou Karim Guèye offre une immersion saisissante des trois années de tumulte politique au Sénégal, de mars 2021 à mars 2024. Une chronique visuelle poignante, entre braises de révolte, visages marqués par la répression et souffle d’espoir porté jusqu’aux urnes.
Dans le clair-obscur d’une galerie du Musée des civilisations noires de Dakar, les murs recouverts de clichés deviennent les témoins silencieux d’une mémoire à vif. Les premières images, sombres et denses, nous plongent dans les prémices de l’insurrection. Pneus embrasés, silhouettes encagoulées, rues transformées en champs de bataille. C’est comme si la photographie ici ne cherche pas l’esthétisme. Mais, elle percute. Elle donne à voir le désarroi, la tension, sur fond d’une rage lucide d’une jeunesse en quête de justice.
«Première ligne» ne se contente pas de documenter une séquence d’événements. Elle déroule, image après image, le récit d’une contestation populaire : son surgissement, sa répression, sa persistance, puis sa métamorphose en victoire politique. L’histoire, dit-elle, ne s’écrit pas seulement dans les urnes, mais dans la poussière des rues, dans les pleurs des mères, dans les cris de celles et ceux que l’on voulait réduire au silence.
Les émeutes de Ziguinchor, ville d’origine du leader de l’opposition d’alors, Ousmane Sonko, occupent une place centrale. L’arrestation de ce dernier, en mars 2021, aura déclenché le cycle des manifestations. Les images venues du Sud sont brutes, frontales. Elles montrent une répression féroce, une mobilisation massive, un engagement politique presque organique.
Au cœur du parcours, un mur entier est dédié aux femmes du Bois Sacré. Drapées dans leurs boubous, certaines arborant les couleurs nationales, elles regardent l’objectif avec une intensité muette. Fatiguées, mais debout. Leur présence injecte une profondeur symbolique au récit : elles sont gardiennes des mémoires, piliers du lien spirituel et social. Longtemps exclues du récit politique, les voici aujourd’hui, figures majeures de la résistance.
Des ténèbres à la lumière
A mesure que l’on avance, l’atmosphère se densifie. Les photos deviennent plus dures, les corps plus blessés, les regards plus sombres. Puis, une cellule de prison, reconstituée à l’identique, surgit dans l’espace. Elle évoque les centaines de jeunes manifestants privés de liberté, souvent sans jugement. A côté, une fiche d’incarcération fictive fait écho à ces destins anonymes, happés par la machine répressive.
Mais, l’exposition ne s’arrête pas là. Après ce point de rupture, un basculement s’opère. Les images s’éclaircissent, les foules se rassemblent avec plus d’unité. L’espoir perce, timide, mais tenace. Mars 2024. La libération de Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, à dix jours de l’élection présidentielle, marque l’ultime tournant. La rue exulte. La campagne devient plébiscite. Et l’épilogue se joue dans les urnes : Diomaye Faye, élu dès le premier tour, devient le plus jeune président de l’histoire du Sénégal.