ALERTE SUR LA MENACE DE L’IA
Dans son nouveau rapport, la RAND Corporation, think tank de référence du Pentagone, imagine huit futurs possibles où l'IA générale transforme la géopolitique mondiale, du rêve démocratique au cauchemar technologique

(SenePlus) - Dans un rapport prospectif publié en juillet 2025, l'influent think tank américain explore les conséquences géopolitiques de l'avènement de l'intelligence artificielle générale, de l'hégémonie démocratique au chaos technologique mondial.
L'intelligence artificielle générale (AGI) pourrait-elle redistribuer les cartes du pouvoir mondial ? C'est la question centrale que pose la RAND Corporation dans son dernier rapport intitulé "Comment l'intelligence artificielle générale pourrait impacter l'essor et le déclin des nations", publié en juillet 2025. Ce document prospectif, signé par Barry Pavel et ses co-auteurs, dessine huit scénarios géopolitiques allant de la coopération démocratique idéale à un "Pearl Harbor de l'IA" orchestré par la Chine.
Créée en 1948, la RAND Corporation s'est imposée comme "le principal think tank américain sur les questions militaires, stratégiques et technologiques", rappelle Le Grand Continent. Ses analyses ont régulièrement influencé le Pentagone et la Maison-Blanche, de la guerre froide à nos jours. Si ce rapport ne constitue pas une position officielle des États-Unis, il exprime néanmoins "des scénarios présentés comme crédibles" par des experts étroitement liés à l'écosystème fédéral américain.
L'intelligence artificielle générale, définie comme "un système capable de réaliser l'ensemble des tâches intellectuelles humaines", représente selon la RAND un bouleversement comparable à celui de "la machine à vapeur, de l'électricité ou du pétrole". Cette technologie hypothétique pourrait "redessiner les rapports de force mondiaux, en transformant profondément les capacités économiques, technologiques et militaires des nations".
Pour construire leurs projections, les chercheurs s'appuient sur deux hypothèses de départ : un développement centralisé de l'AGI, dominé par un acteur unique, ou un développement décentralisé impliquant une course entre plusieurs puissances. Ces situations peuvent ensuite déboucher sur quatre résultats distincts : un renforcement de la position américaine, un renforcement des adversaires de Washington, un affaiblissement général, ou un coup d'arrêt au développement de l'AGI.
Scénario 1 : La coalition démocratique idéale
Dans le premier scénario envisagé, plusieurs démocraties développent conjointement l'AGI dans un esprit de coopération. Les États-Unis et leurs alliés exploitent cette collaboration pour "restreindre l'accès aux intrants critiques à leurs adversaires, renforçant ainsi leur avance technologique et économique".
Ce scénario suppose un contexte scientifique particulièrement favorable où "les progrès simultanés sur les algorithmes, le matériel et les méthodes de validation alimenteraient un décollage 'décentralisé' de l'AGI, réparti entre plusieurs pôles de recherche". La RAND y voit le scénario le plus équilibré en termes de risques, où "les applications militaires défensives de l'AGI suivent le rythme des capacités offensives".
Scénario 2 : L'équilibre de la terreur algorithmique
Le deuxième scénario, plus inquiétant, décrit une situation où "les États-Unis et la Chine développent chacun leur propre AGI dans un climat de rivalité exacerbée". Cette course technologique non coopérative fait craindre une escalade vers une guerre chaude, alimentée par "le déploiement de systèmes automatisés toujours plus sophistiqués — drones, avions autonomes, navires de surface, sous-marins et outils de cyberguerre pilotés par IA".
Partant de coordonnées proches de la situation actuelle, ce scénario décrit comment "les tensions géopolitiques sont encore aggravées par la situation conflictuelle autour de Taïwan et en mer de Chine méridionale". La RAND met en garde contre "le potentiel de mauvaises estimations ou d'engagements involontaires impliquant ces technologies de pointe", créant un dangereux "équilibre de la terreur" algorithmique.
Scénario 3 : Le chaos du "cowboy coding"
Le troisième scénario explore les conséquences d'une démocratisation complète de l'AGI. Dans cette hypothèse, "semiconducteurs abondants et bon marché, modèles open source ou piratés" permettent à tous les acteurs - États, entreprises et groupes non étatiques - de "concevoir et déployer librement des modèles d'AGI".
La RAND met en garde contre une "prolifération incontrôlée des technologies et des modèles d'AGI, rendant toute régulation nationale ou internationale pratiquement inefficace". Il en résulte une "géopolitique du cowboy coding" où "le monde se retrouve confronté à une multitude de systèmes d'IA hétérogènes : certains mal alignés, d'autres mal testés, tous capables de provoquer des perturbations graves".
Cette fragmentation créerait un monde particulièrement chaotique où "les États ne parviennent pas à contrôler la prolifération des composantes nécessaires au développement de l'AGI, et ils ne peuvent pas contrôler la diffusion et l'accès à ces modèles une fois développés". Les grandes puissances, y compris les États-Unis, se trouveraient "désarmées face à une multitude de menaces algorithmiques concurrentes".
Vers un "Pearl Harbor de l'IA" ?
Parmi les scénarios les plus alarmants figure celui d'un "Pearl Harbor de l'IA" déclenché par la Chine, où une attaque-surprise technologique bouleverserait l'équilibre mondial. La RAND évoque également la possibilité d'un scénario "à la Matrix" où l'humanité perdrait totalement le contrôle au profit d'une "coalition de machines douées de superintelligence".
Ces projections, bien que "purement spéculatives et reposant sur des mondes fictifs", visent à "alerter les décideurs américains sur les risques géopolitiques de l'AGI". Elles soulignent l'urgence pour Washington de développer une stratégie cohérente face à cette révolution technologique annoncée.
La RAND Corporation, fidèle à sa tradition d'anticipation stratégique, offre ainsi aux décideurs américains une grille de lecture des défis géopolitiques que pourrait soulever l'avènement de l'intelligence artificielle générale. Entre coopération démocratique et chaos technologique, l'avenir de l'humanité pourrait bien se jouer dans les laboratoires de recherche d'aujourd'hui.