DIOMAYE MOOY SONKO OU LES DEUX FACES D’UNE MÉDAILLE
EXCLUSIF SENEPLUS - Il a donné le sentiment que l'essentiel n'était pas l'outrage à la magistrature, les insultes à la société civile ou la censure des médias, mais plutôt la préservation de ses relations personnelles avec son « ami »

Le président Faye a parlé. Après les propos outrageants de son Premier ministre, la nation attendait une posture d’autorité adossée aux principes de la République. Mais ce que nous avons entendu, c’est tout autre chose. Il a réussi la prouesse de choquer presque autant que son Premier ministre, en tentant de banaliser les déclarations de ce dernier. Pire encore, il a donné le sentiment que l’essentiel ne résidait ni dans l’outrage fait à la magistrature, ni dans les insultes adressées à la société civile, ni dans la censure choquante des médias, ni dans le refus obstiné d’admettre la démocratie et la liberté d’expression comme principes sacro-saints dans notre pays. Mais plutôt dans la nécessité de préserver la qualité de ses relations personnelles avec son « ami » Ousmane Sonko.
Ce glissement est grave. Car des magistrats ont été gravement mis en cause. Des accusations aussi violentes que gratuites ont été proférées contre une institution dont l’indépendance est le socle de tout État de droit. La société civile, qui a œuvré pour la transparence, la justice et la démocratie, a été prise pour cible de manière indigne. Or, dans la sortie-réponse du président, ces attaques seraient reléguées au second plan. Comme si l’émotion légitime de beaucoup, choqués par l’outrance du Premier ministre, ne méritait ni réponse claire, ni condamnation ferme.
Il est d’autant plus tragique que ce silence sélectif du président survienne à un moment où la parole présidentielle était attendue comme celle d’un garant de l’unité nationale et de la hauteur républicaine. Que valent désormais ses refrains répétés sur la nécessité de libérer la Justice (otage de qui ?), si lui-même n’est pas en mesure de prononcer un mot de compassion envers les magistrats, ni d’exprimer un soutien minimal aux acteurs de la société civile agressés ? Et surtout, que valent ces engagements s’il se refuse à reconnaître que ces attaques viennent d’un homme qui « détient une part de son autorité » ? Car c’est bien cela : Ousmane Sonko, en tant que chef du gouvernement, agit au nom du président de la République. Il n’est pas un opposant. Il n’est pas un militant lambda. Il est le Premier ministre d’un gouvernement adoubé par le président Bassirou Diomaye Faye.
Et si le chef de l’État ne parvient pas, dans un moment aussi grave, à trouver les mots justes pour recadrer, condamner ou au moins désapprouver ces sorties irresponsables, alors que peut-on attendre de lui face à des crises plus profondes ? En refusant d’assumer son rôle d’arbitre, en se montrant plus soucieux de ménager son parti que de défendre les institutions, il donne l’image d’un pouvoir otage des émotions de ses militants. Cela interroge, profondément, sur sa capacité à gouverner avec la rigueur, la neutralité et l’autorité qu’exige sa fonction. Si le Président fait mine de ne pas remarquer l’attitude intolérable et persistante d’insubordination de certains de ses ministres et DG, comment l’opinion peut-elle croire à ses déclarations ?
Il faut donc se rendre à l’évidence. Sans partager ses méthodes, ni ses outrances, Ousmane Sonko touche un point juste lorsqu’il évoque une crise d’autorité au sommet de l’État. Car il n’y a pas d’autorité là où la fonction présidentielle se dilue dans des considérations personnelles. Il n’y a pas d’autorité là où l’on hésite à rappeler à l’ordre ceux qui franchissent les lignes rouges de la République. Il n’y a pas d’autorité lorsqu’on ne prend pas la défense de ceux qui incarnent les corps intermédiaires, essentiels à l’équilibre démocratique.
Mais il faut aussi ne pas s’y tromper. Cette séquence n’est pas un malentendu. Elle est révélatrice. Ce que nous vivons n’est pas seulement une crise de gouvernance, c’est une lutte de pouvoir entre deux hommes, un épisode de plus du Protocole du Cap Manuel, passé entre les deux non en considération de l’intérêt général mais de leurs carrières politiques propres. En effet, tout porte à croire que la guerre froide entre Diomaye et Sonko résulte de l’application de ce pacte pour la gestion, ou plutôt la dévolution, du pouvoir suprême à conquérir de l’un vers l’autre.
Cette guerre n’a rien à voir avec des projets divergents pour le Sénégal. Elle est, avant tout, un affrontement des ambitions, une bataille d’ego.
Diomaye et Sonko ont en effet une conception commune de la Justice. C’est pourquoi il n’est pas apparu paradoxal aux yeux du président qu’au moment où il parle de libérer la Justice, des prisonniers d’opinion continuent à affluer dans les geôles de la République comme jamais. Son parquet, qui est capable d’une intraitable sévérité contre des pécadilles quand il s’agit d’Abdou Nguer, de Moustapha Diakhaté ou encore de Badara Gadiaga, se bouche les oreilles pour ne pas entendre les propos d’Ousmane Sonko. La balance de la justice est rarement apparue aussi manifestement truquée. Les citoyens attendent, non des incantations, mais des actes du président Diomaye pour rétablir l’égalité de traitement entre citoyens. Ici et maintenant. Pas dans un futur incertain, après l’application de recommandations d’assises derrière lesquelles le président aime à trouver refuge.
C’est en cela qu’il prouvera qu’Ousmane Sonko a tort de l’accuser d’être derrière les arrestations tous azimuts. Autrement, notre religion restera inchangée sur sa responsabilité première et ultime dans les dérives autoritaires qui poussent des cohortes de citoyens en prison pour leurs opinions. Laisser croire que ce serait au contraire du seul fait du Premier ministre serait une sérieuse confirmation que ce dernier détient seul la réalité du pouvoir.
Du reste, il n’y a personne pour croire que la sortie du président signe la fin de la guerre. C’est une posture tactique qui vise à pousser l’autre camp à d’autres fautes, jouer sur le pourrissement de la situation, mobiliser des forces avant de contre-attaquer.
Pendant ce temps, la notation du Sénégal par les instituts internationaux va continuer à se dégrader, entraînant notre pays plus encore dans les tréfonds. La misère s’amplifie, le chômage croît, les difficultés de toutes sortes assaillent les citoyens. En somme, le Sénégal est au bord de la rupture. Est-ce cette rupture dont parlaient Diomaye et Sonko ?
À trop laisser pourrir cette drôle de guerre, le président portera une lourde responsabilité dans la chute à laquelle le Sénégal semble promis
Thierno Alassane Sall est député à l’Assemblée nationale.