CE QUE L’AFFAIRE DU GRAND THÉÂTRE NOUS APPREND
Gouverner, encadrer, manager, ce n’est pas seulement définir des règles. C’est comprendre les émotions, les perceptions et les symboles que ces règles véhiculent. Et pour cela, il faut écouter

Le 15 juillet 2025, la direction générale du Grand Théâtre national du Sénégal a publié un communiqué pour annuler une note de service interne de la veille. Cette note, initialement destinée à cadrer la posture professionnelle des agents, avait suscité une vive polémique dans l’espace public.
Accusée par certains de vouloir restreindre la liberté vestimentaire, voire d’imposer des normes sexistes, elle a été rapidement retirée, avec des « excuses publiques ». Mais au-delà du fait divers administratif, cet épisode soulève une question de fond qui dépasse largement le cadre du Grand Théâtre : pourquoi les institutions prennent-elles encore des décisions sans tester leur réception sociale en amont ?
1. Une erreur de communication ? Non : une erreur de méthode
L’intention exprimée par la direction était de valoriser “l’image professionnelle, culturelle et identitaire” du personnel. Soit. Mais dans une société traversée par des débats sensibles sur les libertés individuelles, le genre, la dignité, le corps et la place des femmes, il ne suffit pas d’avoir une bonne intention pour garantir une bonne réception. Ce n’est pas une question de formulation. C’est une question de conception. Et cette conception aurait dû intégrer une étape-clé : la consultation avec une étude qualitative ou un focus group avec un échantillon représentatif aurait permis de repérer immédiatement :
- Les points sensibles du discours (tenue vestimentaire, codes culturels, perception de contrôle) ;
- Les risques d’interprétation comme une restriction des libertés ou une infantilisation;
- Les réactions potentielles en termes d’image institutionnelle.
2. Ce qui a manqué ? Une écoute qualitative du terrain
En tant que professionnelle des études de marché et de l’analyse sociale, je vois ici un cas typique où un simple travail exploratoire aurait changé la donne :
• Une étude qualitative (entretiens, focus groups),
• Un pré-test de la note de service pour en analyser les perceptions possibles,
• Une analyse symbolique des messages implicites renvoyés par le texte,
• Ou mieux : une co-construction participative du cadre attendu.
Dans tous les cas, cela aurait permis d’anticiper les incompréhensions, d’ajuster le discours et de construire un cadre partagé — au lieu d’imposer unilatéralement une règle mal perçue.
3. Un exemple de plus du divorce entre institutions et société civile ?
Le monde change. Les citoyens, les salariées, les agents publics sont de plus en plus sensibles à la manière dont on leur parle, à ce qu’on dit de leur corps, de leur image, de leur liberté.
- Le top-down n’est pas la solution
- La verticalité ne passe plus.
Et les institutions qui ne prennent pas le temps de comprendre ce que leurs messages activent dans les imaginaires sociaux s’exposent à des crises évitables. À l’heure des réseaux sociaux, une décision interne peut devenir publique en quelques heures. Il n’y a donc plus de politique interne qui ne soit aussi, dans ses effets, politique publique.
4. Ce que cette affaire nous rappelle : tester, écouter, coconstruire
Ce cas devrait être un signal d’alerte, mais aussi une opportunité d’apprentissage. Voici ce que les organisations, publiques comme privées, peuvent en retenir :
• Avant d’imposer une norme, écoutez le terrain avec un protocole de test social des points sensibles du discours, des risques d'interprétations et des réactions potentielles en termes d’image institutionnelle.
• Avant de communiquer, testez les réactions possibles.
• Avant de réguler un comportement, interrogez les représentations qui y sont attachées. • Et surtout : faites confiance à l’intelligence collective
En conclusion : la légitimité ne suffit plus, il faut aussi de la sensibilité
Ce fait divers administratif met en lumière un point crucial que tout professionnel des politiques publiques, de la communication ou de la stratégie RH devrait garder en tête : avant de décider pour les autres, interrogez-les. Le Grand Théâtre a eu l’intelligence de reconnaître publiquement son erreur. C’est un acte de maturité institutionnelle. Mais demain, plutôt que de devoir réparer une crise, il serait plus sage d’apprendre à la prévenir. Car gouverner, encadrer, manager, ce n’est pas seulement définir des règles. C’est comprendre les émotions, les perceptions et les symboles que ces règles véhiculent. Et pour cela, il faut écouter. Toujours.