LA SOCIÉTÉ NATIONALE DE RECOUVREMENT SE RÉINVENTE
Avec plus de 800 milliards de FCFA de créances impayées dans le secteur bancaire en 2023, la SNR joue un rôle crucial mais méconnu dans l'économie sénégalaise. L'institution se modernise pour devenir un véritable levier de souveraineté financière

Alors que la confiance dans les institutions est fragilisée par une désinformation croissante, la Société Nationale de Recouvrement (SNR) s'impose, avec rigueur et discrétion, comme un levier stratégique dans l'assainissement du paysage financier sénégalais. Entre héritage complexe et ambition de transformation, l'institution engage une mutation décisive.
Créée en 1991 dans un contexte de faillite généralisée du secteur bancaire public, la Société Nationale de Recouvrement est née de l'urgence d'un assainissement financier en profondeur. Sa mission première : reprendre les créances gelées des banques liquidées et sécuriser le remboursement des dépôts, alors menacés par l'effondrement du système bancaire national. Loin d'un simple organe technique, la SNR s'est peu à peu imposée comme un instrument de régulation financière et de restauration de la confiance économique. Plus de trois décennies plus tard, l'institution évolue.
Consciente des nouveaux enjeux structurels, elle amorce une réforme ambitieuse : élargissement de son périmètre d'action au secteur parapublic, dans son sens étendu, ouverture au secteur privé, et prise en charge de créances complexes provenant de partenaires bancaires ou institutionnels.
La SNR inscrit aujourd'hui ses projets dans l'Agenda national de transformation 2025-2050, qui promeut une modernisation de l'État stratège. Dans ce cadre, l'institution ambitionne de jouer un rôle plus large : médiation commerciale, affacturage, titrisation, conseil aux entreprises et gestion active du passif public figurent désormais dans sa feuille de route. Pour accompagner cette montée en puissance, elle dispose d'outils juridiques étendus : hypothèques légales, privilèges sur les biens meubles et immeubles, pouvoir de contrainte similaire à celui du Trésor public, et exonérations fiscales lui assurant une efficacité renforcée. Elle agit aussi, dans certaines circonstances, avec l'autorité d'un organe d'enquête, notamment face aux tentatives de dissimulation de patrimoine de la part de débiteurs publics ou privés.
Dans une démarche de transparence, le directeur général, Babacar Ndiaye, est revenu sur les conditions particulières de création de la SNR. Absence de bilan d'ouverture, capital non libéré à l'origine : l'institution a dû s'appuyer sur des données incomplètes fournies par la BCEAO. Ce contexte a laissé un passif historique important, dont le report à nouveau débiteur a culminé à plus de 90 milliards de FCFA en 1992, réduit à 86,7 milliards à la fin de l'année 2024 grâce à une gestion rigoureuse.
Un comité ad hoc, actuellement en cours de constitution, devra formaliser une convention de règlement des dettes croisées entre l'État et la SNR, marquant une nouvelle étape dans la consolidation financière de l'établissement. En parallèle, la révision de la loi fondatrice de 1991 vise à doter l'institution d'un cadre juridique adapté aux exigences du présent.
Chaque franc recouvré est reversé au Trésor public. En 2023, le montant global des créances impayées dans le secteur bancaire sénégalais dépassait les 800 milliards de FCFA. Ce chiffre révèle l'ampleur de la mission portée par la SNR, qui intervient à la jonction du financement public et de la préservation des équilibres économiques. « Il ne s'agit plus seulement de recouvrer des dettes, mais de contribuer activement à la bonne santé de l'économie nationale », insiste M. Ndiaye, qui aspire à faire de la SNR un acteur incontournable de la transformation publique, capable d'allier performance financière, innovation juridique et stabilité institutionnelle.
Discrète mais stratégique, la SNR incarne une nouvelle génération d'organismes publics : agiles, responsables et tournés vers des objectifs de long terme. Dans un environnement régional encore fragile, son modèle pourrait bien inspirer d'autres pays de l'UEMOA à repenser la gestion de la dette et du risque bancaire. Le Sénégal, à travers la SNR, affirme ainsi une volonté de souveraineté budgétaire et de discipline financière, dans un monde où le pilotage rigoureux des créances est devenu un enjeu central de développement.