LE SECTEUR PÉTROLIER ANGOISSE
"L'effet réputationnel dévastateur" du conflit Woodside fait trembler l'industrie de l'or noir sénégalais. Les critiques pleuvent contre une approche gouvernementale jugée "trop souverainiste" par les professionnels

(SenePlus) - Le bras de fer entre l'État sénégalais et Woodside Energy cristallise aujourd'hui les craintes du secteur privé face à ce qui est perçu comme un virage souverainiste radical du pouvoir. Ce conflit fiscal autour de 62,5 millions d'euros réclamés au géant pétrolier australien dépasse désormais le simple contentieux administratif pour révéler une fracture profonde entre les ambitions politiques du tandem Faye-Sonko et les réalités économiques du pays.
L'escalade vers l'arbitrage international provoque un tollé dans le milieu des affaires dakarois. "L'attitude des autorités est contre-productive. Leur position trop souverainiste se heurte à ces opérateurs internationaux sans qui le développement des projets d'hydrocarbures ne peut se faire au Sénégal", dénonce avec force un consultant pétrolier interrogé par Le Monde.
Cette critique directe du "souverainisme" gouvernemental traduit une inquiétude grandissante du secteur privé. Pour ce professionnel du pétrole, la stratégie adoptée par les autorités issues du Pastef va à l'encontre des intérêts économiques fondamentaux du pays. "Le signal envoyé est mauvais et l'effet réputationnel dévastateur", martèle-t-il, soulignant les conséquences à long terme de cette approche.
L'embarras des autorités face à cette crise révèle des tensions internes profondes. Le silence obstiné du gouvernement - "ni le porte-parole du gouvernement, ni le ministre des finances, ni le ministre du pétrole n'ont souhaité réagir" aux sollicitations du Monde - "traduit un certain embarras et masque mal les divisions suscitées par cette nouvelle étape, très exposée, du contentieux".
Ces divisions se manifestent ouvertement au sein même des instances pétrolières nationales. Un dirigeant de Petrosen, l'entreprise publique actionnaire minoritaire de Sangomar, exprime sous couvert d'anonymat son désaccord avec la ligne dure adoptée : il appelle "à régler ce différend autour de la table des négociations et non devant les tribunaux", rapporte Le Monde.
Plus révélateur encore, le Comité d'orientation stratégique du pétrole et du gaz (COS-Pétrogaz), directement rattaché à la présidence, "s'agace de la tournure des événements". Cette institution, dont la mission est pourtant de réformer le code des hydrocarbures "pour le rendre plus sexy pour que les majors se précipitent au Sénégal", selon une source proche du dossier citée par le quotidien, se trouve en porte-à-faux avec la stratégie gouvernementale.
L'inquiétude des observateurs porte sur les conséquences économiques de cette approche. Pape Mamadou Touré, spécialiste de la régulation pétrolière internationale, rappelle au Monde un fait crucial : "Le Sénégal cherche toujours des investisseurs pour douze blocs pétroliers offshore." Dans ce contexte, la fermeté affichée contre Woodside Energy apparaît comme un pari particulièrement risqué.
Un pari économique hasardeux
Le consultant pétrolier interrogé par le journal souligne cette contradiction fondamentale : l'État sénégalais se trouve "pris en tenaille entre ses velléités, qui peuvent être légitimes, de renégocier des contrats qui lui étaient défavorables, et un souci existentiel d'attirer des groupes pétroliers".
Cette tension révèle le défi majeur du nouveau pouvoir : concilier ses promesses électorales de renégociation des contrats d'hydrocarbures avec les impératifs économiques d'un pays qui reste largement dépendant des investissements étrangers dans ce secteur stratégique.
L'inquiétude se nourrit également de l'asymétrie temporelle créée par le recours à l'arbitrage international. Mamadou Gacko, avocat spécialisé en arbitrage international, explique au Monde que "une procédure au Cirdi risque de durer au moins deux ou trois ans, peut-être six ou sept". Cette perspective temporelle avantage clairement Woodside Energy face à un État sénégalais confronté à une urgence financière absolue.
Le pays fait face à un "surendettement, note souveraine dégradée, gel du financement du Fonds monétaire international (FMI) à hauteur de 1,8 milliard de dollars ayant pour effet de suspendre d'autres financements comme ceux de l'Union européenne", détaille Le Monde. Dans ce contexte de crise financière, les "marges de manœuvre du Sénégal, extrêmement limitées, contraignent les autorités à multiplier audits et redressements".
L'affaire Woodside s'inscrit dans une démarche plus large qui alimente les préoccupations du secteur privé. Le Monde rapporte que de nombreux grands groupes "du français Eiffage au turc Summa" passent actuellement "sous les fourches caudines des inspecteurs des impôts". Cette systématisation des contrôles fiscaux, perçue comme une conséquence directe du "souverainisme" gouvernemental, renforce l'anxiété des investisseurs.
Paradoxalement, cette politique de fermeté intervient au moment où les premiers résultats pétroliers du pays sont encourageants. L'exploitation de Sangomar, lancée en juin 2024, affiche de bons résultats avec plus de 2 millions de barils extraits chaque mois, selon les données rapportées par Le Monde. Mais cette réussite technique ne suffit pas à rassurer un secteur privé de plus en plus critique envers ce qu'il perçoit comme une dérive autoritaire et contre-productive du nouveau pouvoir sénégalais.
L'enjeu dépasse désormais le simple contentieux Woodside pour questionner la capacité du Sénégal à maintenir un équilibre entre souveraineté énergétique et attractivité économique, dans un contexte où les observateurs s'accordent sur un point : sans les investisseurs internationaux, le développement pétrolier du pays restera un mirage.