LE TALK & TASTE TRACE LES VOIES D’UNE TRANSFORMATION NUMÉRIQUE AMBITIEUSE
Pour sa 30e édition, tenue le mardi 3 juin 2025, le Talk & Taste a placé l’intelligence artificielle au centre des échanges. Experts, décideurs et entrepreneurs ont appelé à une intégration stratégique de l’IA, en phase avec les réalités locales.

Le Talk & Taste a célébré sa 30e édition, mardi 3 juin 2025, autour d’un thème d’actualité : « L’intelligence artificielle, accélérateur du Plan Sénégal Vision 2050 ». Experts, décideurs publics et entrepreneurs y ont partagé un constat commun : l’IA doit devenir un levier stratégique de transformation, à condition d’ancrer son déploiement dans les réalités locales.
Créé en 2018 par Maguette Mbow, le Talk & Taste s’est imposé comme un rendez-vous d’influence réunissant chaque premier mardi du mois des experts, hauts fonctionnaires et entrepreneurs autour de thématiques de développement. « À mes débuts, beaucoup m’ont dit : “Cela ne fonctionnera jamais.” Et pourtant, nous avons tenu bon », a rappelé son fondateur.
Avec une trentaine d’éditions à son actif, des webinaires internationaux pendant la pandémie et un ancrage local renforcé, le Talk & Taste s’inscrit aujourd’hui dans une logique de co-construction des politiques publiques. « Notre objectif est de donner corps aux politiques publiques à travers des solutions concrètes proposées par les acteurs du pays », a souligné Maguette Mbow.
Pour cette 30e édition, pas moins de 14 panélistes se sont relayés sur scène. Isidore Diouf, directeur général de Sénégal Numérique, a dressé un tableau lucide des défis à relever pour faire de l’IA un levier de performance. « Elle repose sur des fondations que nous n’avons pas encore consolidées : infrastructures puissantes, production énergétique suffisante et stratégie de mutualisation régionale », a-t-il rappelé. Il a insisté sur la nécessité de briser les silos de données au sein de l’administration : « Partager les données, c’est une condition sine qua non pour former des modèles efficaces. »
Selon lui, il faut aussi nouer des partenariats tactiques avec des géants comme Google ou NVIDIA, tout en conservant une approche pragmatique centrée sur les besoins du pays.
Des propositions concrètes pour des solutions endogènes
L’ambition du Talk & Taste dépasse le cadre des échanges. Un digest, document récapitulatif des propositions émises, sera mis à disposition du public et des décideurs. « Nous voulons que nos idées ne restent pas dans les murs du Phare des Mamelles », a affirmé Maguette Mbow.
Il a également lancé un appel clair : « Le chômage des jeunes est un sujet brûlant. Les agendas existent – New Deal 2030, Vision 2050 – mais ils avancent trop lentement. Il faut que le secteur privé emboîte le pas à l’État. »
L’écosystème numérique au cœur des enjeux
L’intervention de Boubacar Roger Thiam, directeur de l’économie numérique et des partenariats au ministère, a permis de poser les bases d’un numérique souverain. « Le numérique ne se limite pas à Internet ou aux smartphones. Il repose sur quatre piliers : l’infrastructure, les acteurs économiques, les talents et les institutions publiques », a-t-il expliqué.
Il plaide pour porter la contribution du numérique au PIB de 5 % à 15 % (de 800 à 2 500 milliards FCFA/an), via un écosystème dynamique, structuré et soutenu par des dispositifs comme la Startup Act. Son ambition : faire émerger des champions nationaux du numérique.
Pour El Hadji Malick Gueye, DG de Wave Digital Finance, l’IA est un levier pour accélérer l’inclusion financière. Grâce à la réduction des coûts de transfert, Wave permet d’économiser près de 125 milliards FCFA par an. L’IA, selon lui, permettra d’améliorer l’expérience client, d’adapter les services aux usagers peu alphabétisés et de renforcer la conformité réglementaire.
Mais il alerte : « La protection de la vie privée doit rester une priorité. La technologie doit être au service de l’inclusion, sans sacrifier les libertés individuelles. »
Les data centers, colonne vertébrale de l’IA
« Sans données bien stockées, il ne peut y avoir d’intelligence artificielle », affirme Achille Sarr, Directeur Afrique chez APL Data Center. À peine 1,3 % des données africaines sont aujourd’hui hébergées sur le continent. Un paradoxe dangereux pour la souveraineté numérique.
Il rappelle que les centres de données ne sont pas de simples infrastructures : ce sont des actifs stratégiques. Avant même d’investir dans le calcul haute performance, l’Afrique doit s’attaquer à la collecte, au transport et au stockage des données. « Même les informations de base sont encore collectées sur papier au Sénégal », regrette-t-il.
La banque, un secteur en mutation numérique
Enfin, pour Mamour Dioum, Chief Information Officer du groupe Sunu, les banques doivent devenir data-centric. L’IA y joue un rôle clé, en particulier pour offrir du crédit à des clients sans fiche de paie, en s’appuyant sur des indicateurs alternatifs (factures, usage téléphonique...).
Il met en avant les synergies entre banque et assurance pour mutualiser les risques, tout en réduisant la fraude et en rendant les services plus accessibles. Objectif : une inclusion financière élargie, avec un véritable impact social.
Dans l’esprit de tous les intervenants, une conviction émerge : l’intelligence artificielle n’est pas une menace, mais une opportunité. Encore faut-il la saisir intelligemment, dès aujourd’hui, avec une vision claire et inclusive. Comme l’a résumé Isidore Diouf : « L’IA, c’est une chance pour accélérer la performance, mais elle doit être adossée à une vision stratégique, réaliste et inclusive. »