ALERTE SUR UN DOUBLE DRAME AU SENEGAL
«La mer a été vendue : la crise de la pêche au Sénégal entraîne une migration forcée vers l’Europe.» C’est une rapport de l’Environmental Justice Foundation (EJF) qui pointe ainsi la surexploitation des ressources halieutiques au Sénégal

La surexploitation des ressources halieutiques au Sénégal, alimentée par la pêche illégale et industrielle, provoque une crise socio-économique majeure qui pousse de plus en plus de jeunes Sénégalais à risquer leur vie pour rejoindre l’Europe, par voie maritime. C’est ce que révèle un nouveau rapport alarmant, publié le mardi 13 mai 2025, par l’Environmental Justice Foundation (EJF), accompagné d’un film poignant sur les conséquences humaines de cette situation.
«La mer a été vendue : la crise de la pêche au Sénégal entraîne une migration forcée vers l’Europe.» C’est une rapport de l’Environmental Justice Foundation (EJF) qui pointe ainsi la surexploitation des ressources halieutiques au Sénégal, alimentée par la pêche illégale et industrielle, à l’origine d’une crise socio-économique majeure qui pousse de plus en plus de jeunes Sénégalais, notamment des zones côtières dont l’activité principale est liée à la pêche artisanale, à risquer leur vie pourrejoindre l’Europe, par voie maritime.
En effet, chaque année, des milliers de migrants sénégalais tentent de rejoindre les îlesCanaries, empruntant une routemigratoire (voie maritime notamment) devenue la plus meurtrière du monde, avec plus de 3000 morts enregistrés en 2023. En 2024, l’Espagne a recensé 63.970entrées irrégulières, soit plus du double de 2022. Cette hausse spectaculaire s’explique en grande partie par l’effondrement du secteur de la pêche artisanale au Sénégal.
Dans son rapport, l’Environmental Justice Foundation (EJF) dénonce la pression insoutenable exercée surles ressources marines sénégalaises par des flottes industrielles étrangères, notamment européennes et chinoises. Ces navires, souvent couverts par des accords opaques, pratiquent des méthodes destructrices comme le chalutage de fond, provoquant l’épuisement des stocks de poissons. Or, le secteur de la pêche emploie environ 3% de la population active sénégalaise et représente près de 8% de l’apport en protéines de la population.
PECHEURS MIGRANTS ET CEUX RESTES AU PAYS PARTAGENT LEURS MESAVENTURES
Pis, ce pillage des ressources marines a des conséquences directes surles communautés côtières tels que : la perte des revenus, l’insécurité alimentaire croissante et le sentiment d’abandon. Par conséquent, face à l’absence de perspectives, la migration devient, pour beaucoup, une solution de survie.
Dans le film accompagnant l’étude réalisée par EJF, un jeune pêcheur nommé Abdou raconte son périlleux voyage vers Tenerife, alors que d’autres, partageant les espoirs (au bout de ce périple), n’ont jamais atteint les côtes européennes. Dans le rapport, des pêcheurs migrants et ceux qui sont restés au pays livrent leurs mésaventures.
«Le neuvième ou le dixième jour, certains pêcheurs ont commencé à s’inquiéter parce que nous n’étions pas sûrs de débarquer sains et saufs, parce qu’il n’y avait pas de carburant, pas de nourriture et pas d’eau à bord. Les gens ont commencé à tomber malades. Certains sont morts. Que leurs âmes aillent au paradis. Certains d’entre eux avaient le même rêve et le même but que moi. Mais ils ne sont jamais arrivés», témoigne Abdoulaye Sady, migrant et ancien pêcheur.
«LE GOUVERNEMENT A PRIS LA DECISION DE VENDRE LA MER ET NOUS AVONS PRIS LA DECISION DE PARTIR PAR LA MER»
Un autre témoignage indexe les accords de prêche signés par les différents régimes. «Si vous n’avez pas de quoi manger, vous ne voudrez pas rester chez vous. Il est évident que vous partirez. Vous ne vous souciez même pas des difficultés ; vous n’avez qu’à aller ailleurs pour trouver du travail ou quelque chose à faire. C’est la raison pour laquelle nous effectuons cette mission. Le gouvernement a pris la décision de vendre la mer et nous avons pris la décision de partir par la mer», confie Abdou Rakhmane Sow, migrant et ancien pêcheur.
«J’ai travaillé comme pêcheur pendant près de 10 ans. Quand j’ai commencé, la mer était abondante. Mais au fil des années, les choses sont devenues peu à peu très dures. En tant que chef [de famille], beaucoup de gens dépendaient de nous et la mer n’était plus ce qu’elle était. C’est ce qui nous a poussés à prendre des risques et à espérer venirici. C’est pourquoi nous avons pris le risque de laisser notre famille, nos femmes et tout le monde derrière nous en venant ici par la mer, à cause de cet espoir», indique Idrisa, migrant et ancien pêcheur.
Et un autre renchérir: «Si j’avais pu gagner assez d’argent avec la pêche, je ne serais jamais venu en Europe», se justifie Memedou Racine Seck, migrant et ancien pêcheur.
«JE PEUX DIRE QUE J’AI PERDU PRES DE DIX MEMBRES DE MA FAMILLE DANS CE NAUFRAGE. C’EST TELLEMENT DECHIRANT...»
«J’ai perdu mes fils, mes neveux et mon petit-fils dans cette tragédie. J’ai perdu le fils de mon frère aîné. Je peux dire que j’ai perdu près de dix membres de ma famille dans ce naufrage. C’est tellement déchirant... Imaginez que vous passiez trois ou quatre jours en mer, et qu’à l’arrivée vous ne puissiez même pas récupérer les frais de carburant ou tout autre frais lié à la pêche. Aucun bateau ne prend la mer ces derniers temps. Voilà les difficultés auxquelles les jeunes sont confrontés et qui ont causé leur mort tragique, et c’est ce qui nous brise le plus le cœur», déclare Modou Boye Seck, habitant de Fass Boye.
«Les pays étrangers se plaignent de l’immigration, mais ce sont eux les vrais pirates», dénonce Karim Sall, président de l’organisation sénégalaise AGIRE. «Ils pillent nos ressources pour nourrir leurs populations, pendant que nous mourons de faim», déplore-t-il. Face à cette urgence, l’Environmental Justice Foundation appelle à une réforme structurelle : plus de transparence dans les accords de pêche, une meilleure gouvernance du secteur et un soutien renforcé aux pêcheurs artisanaux. Donc, l’objectif, c’est de restaurer un secteur vital pour l’économie sénégalaise et freinerl’exil forcé de ses jeunes.