AU-DELÀ DES TOURNÉES, LA STRATÉGIE
Il ne suffit plus de promettre, il faut prouver. Il ne suffit plus de descendre sur le terrain, il faut savoir en revenir avec des décisions fondées. Chaque visite doit devenir un moment d’évaluation, chaque déclaration une hypothèse vérifiable

Les tournées présidentielles demeurent une pratique familière dans les routines politiques africaines. Elles donnent à voir un pouvoir en mouvement, une proximité revendiquée, un contact renouvelé avec les territoires. Mais à mesure que les exigences de gouvernance se raffinent et que les sociétés deviennent plus informées, ces mises en scène de la présence ne suffisent plus. L’heure est venue d’interroger leur sens, leur portée et leur efficacité réelle dans la conduite des politiques publiques.
Gouverner aujourd’hui ne consiste plus à incarner, mais à orienter. Il ne s’agit plus seulement d’être là, mais de savoir pourquoi, pour quoi, et avec quels résultats. L’action publique n’a de valeur que si elle produit des transformations mesurables. Or, sans système structuré de suivi et d’évaluation, la visite devient une fin en soi. Sans indicateurs ni boucles d’apprentissage, la proximité reste un signal politique, jamais une preuve d’impact.
Ce qui est en jeu, c’est la capacité de l’État à produire des résultats, à piloter les transformations avec rigueur, et à répondre aux aspirations collectives avec méthode. Le passage d’une gouvernance d’affirmation à une gouvernance d’analyse est devenu inévitable. Il ne suffit plus de constater, il faut corriger. Il ne suffit plus de promettre, il faut prouver. Il ne suffit plus de descendre sur le terrain, il faut savoir en revenir avec des décisions fondées.
Le cœur de la stratégie publique repose désormais sur l’évaluation. Non pas en fin de chaîne, mais dès la conception des politiques. Il s’agit de fixer des objectifs clairs, de mesurer ce qui compte, de publier ce qui est trouvé, et de réviser ce qui ne fonctionne pas. Cette dynamique exige des systèmes d’information robustes, des équipes compétentes, une culture administrative fondée sur les faits. L’évaluation devient ainsi une responsabilité partagée, non une procédure marginale.
Dans cette perspective, la visite présidentielle ne disparaît pas : elle change de nature. Elle ne représente plus une mise en scène de pouvoir, mais un moment de régulation stratégique. Elle s’insère dans un cycle continu de pilotage, où les données précèdent les décisions et les constats nourrissent les ajustements. Ce qui compte n’est pas le déplacement, mais l’intelligence qu’on en tire. Ce n’est pas l’image, mais le diagnostic. Ce n’est pas l’effet, mais la preuve.
Le leadership du XXIe siècle ne se joue plus dans l’exposition, mais dans la capacité à rendre compte. Il repose sur la transparence, la redevabilité, et l’humilité méthodique. L’État n’est plus jugé à ses intentions, mais à sa capacité à apprendre, à corriger, à améliorer. Et dans ce contexte, la présidence se doit d’être à la fois lucide, structurée et exemplaire. Moins d’annonces, plus d’évaluations. Moins de terrain vu, plus de trajectoires suivies.
Cette évolution appelle une réforme profonde des pratiques de gouvernance. Elle nécessite des dispositifs pérennes de collecte et d’analyse de données, des circuits de validation technique, des protocoles de publication régulière des résultats. Elle appelle aussi à une participation accrue des citoyens et des territoires dans les processus d’évaluation, pour que la décision publique ne soit plus seulement verticale, mais nourrie par l’expérience vécue.
Le tournant stratégique ne repose donc pas sur l’abandon des tournées, mais sur leur intégration dans un dispositif cohérent de performance publique. Chaque visite doit devenir un moment d’évaluation, chaque déclaration une hypothèse vérifiable, chaque contact une donnée à interpréter. L’autorité ne réside plus dans la parole donnée, mais dans la capacité à démontrer que cette parole a été tenue.
C’est à cette condition que l’État pourra sortir des logiques de communication pour entrer dans celles de la transformation. C’est dans cette mutation, du geste à la stratégie, de la présence à la preuve, que se joue la crédibilité durable de l’action publique. Et c’est dans ce passage d’un président visiteur à un président régulateur que se dessine, enfin, un leadership fondé sur l’efficacité.