LA RUÉE VERS L'OR DE LA BCEAO
Alors que le métal jaune flambe sur les marchés internationaux, la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest voit ses réserves aurifères s'envoler. Un coussin de sécurité qui divise les experts

(SenePlus) - Dans un contexte économique mondial marqué par l'incertitude, la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) voit ses réserves aurifères atteindre des sommets inédits. Selon les derniers états financiers de l'institution monétaire ouest-africaine rapportés par Jeune Afrique, les avoirs en or de la BCEAO ont connu une augmentation remarquable de 38% en l'espace d'une année, passant de 1 831,7 milliards de F CFA (environ 2,8 milliards d'euros) fin 2023 à 2 531,8 milliards de F CFA à la fin 2024.
Cette progression impressionnante s'explique principalement par la flambée du cours de l'or sur les marchés internationaux, qui a franchi le seuil symbolique des 3 000 dollars l'once. Comme le précise JA, "le prix du métal jaune a progressé de 19% au premier trimestre de cette année, confirmant une tendance observée l'an dernier". Il est intéressant de noter que cette hausse de valeur ne correspond pas à une augmentation significative du volume physique détenu par la banque centrale, qui reste stable aux alentours de 43 tonnes.
Les réserves d'or constituent un élément fondamental de la stratégie monétaire des banques centrales. Une source interne à la BCEAO citée par Jeune Afrique explique que "l'or monétaire fait partie des réserves officielles des banques centrales. Naturellement, plus une banque centrale dispose de réserves, plus la couverture de sa monnaie est solide." Cette solidité permet d'assurer la convertibilité de la monnaie locale en devises étrangères, même en cas de forte demande.
Cette orientation s'inscrit dans une tendance mondiale, comme le souligne un banquier ouest-africain interrogé par le magazine : "Toutes les banques centrales au monde renforcent leurs réserves en or, cela permet de soutenir la monnaie." Ces réserves, dont 70% sont placées à la Banque de France, servent avant tout à consolider la crédibilité de l'institution et à protéger ses actifs face aux turbulences économiques internationales.
L'économiste sénégalais Magaye Gaye attribue également cette hausse à "une volonté de diversification stratégique dans un contexte mondial incertain marqué par des tensions géopolitiques et la résurgence du protectionnisme avec le retour de Donald Trump aux États-Unis".
Si l'augmentation des réserves aurifères renforce indéniablement la stabilité du franc CFA face à l'inflation, elle soulève également des interrogations légitimes sur l'allocation optimale des ressources. Comme le fait remarquer Magaye Gaye, ancien cadre de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) : "Augmenter considérablement le niveau des réserves de change n'est pas nécessairement une bonne chose pour un pays". Il ajoute que "cette orientation, bien que prudente, doit être maniée avec discernement dans la mesure où un stock excessif d'or peut devenir contre-productif s'il représente une part importante des réserves, au détriment des ressources mobilisables pour financer le développement".
Cette préoccupation prend une dimension particulière alors que plusieurs pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) connaissent des trajectoires de croissance prometteuses, notamment grâce à la découverte de gisements d'hydrocarbures et de gaz. Dans ce contexte de transformation économique, le maintien de la règle traditionnelle de trois à quatre mois de couverture des importations par les réserves de change fait débat.
L'économiste sénégalais pose ainsi une question fondamentale : "Dans une phase marquée par une volonté accrue de maîtrise des ressources nationales et par un engagement sur une gestion plus responsable, n'est-il pas temps de repenser cette règle de précaution pour mieux aligner les réserves de change sur les impératifs de développement ?"
Les perspectives économiques de la région promettent "un commerce extérieur plus dynamique, notamment avec des recettes d'exportation accrues", selon Jeune Afrique. Parallèlement, l'accent mis sur la souveraineté économique et l'industrialisation nécessite d'importantes importations de biens d'équipement.
La question centrale qui émerge de cette analyse est celle du juste équilibre entre la prudence monétaire, nécessaire à la stabilité macroéconomique, et la mobilisation des ressources pour soutenir la croissance et le développement. À quel moment l'accumulation de réserves, aussi rassurante soit-elle pour la solidité monétaire, devient-elle un frein au développement économique de la région ?
Ce dilemme, comme le conclut judicieusement Jeune Afrique, "n'est pas près d'être tranché". Il illustre parfaitement les défis complexes auxquels sont confrontés les décideurs économiques ouest-africains dans leur quête de développement durable et de souveraineté financière.