VIDEOL'AFRIQUE EN QUÊTE DE SOUVERAINETÉ
L'économiste et ancien ministre togolais Kako Nubukpo, décrypte les mutations d'un continent qui, entre héritage colonial et aspirations souveraines, redéfinit ses alliances et ses modèles de développement

L'Afrique contemporaine traverse une période de mutations profondes qui redéfinissent ses rapports au monde et à elle-même. L'analyse de l'économiste Kako Nubukpo, directeur de l'observatoire de l'Afrique sub-saharienne, révèle un continent en pleine transformation, animé par une double dynamique : une aspiration croissante à la souveraineté et une recherche de nouveaux modèles de développement.
Au cœur de cette transformation se trouve la jeunesse africaine, véritable force motrice d'un changement politique et social sans précédent. Cette génération porte une demande forte de souveraineté qui transcende les frontières nationales et les divisions régionales traditionnelles. Contrairement aux analyses qui se focalisent sur l'instabilité politique, Nubukpo identifie cette aspiration comme le trait le plus caractéristique du continent aujourd'hui.
Cette jeunesse ne se contente plus d'un rôle passif dans la construction de l'avenir africain. Les manifestations observées en 2024 au Kenya, au Nigeria et en Afrique du Sud témoignent d'une volonté claire de participation active à la vie économique, sociale et politique. Cette mobilisation révèle une tension fondamentale entre des élites qui privilégient souvent des modèles de gouvernance verticaux et une base populaire qui réclame plus de démocratie participative.
L'Afrique contemporaine se trouve prise dans une double injonction particulièrement complexe. D'un côté, les pressions internes exercées par une population jeune et dynamique qui exige des emplois, une meilleure éducation et des services de santé de qualité. De l'autre, les attentes externes des grandes puissances qui cherchent à maintenir leur influence sur le continent.
Cette situation crée un paradoxe : alors que les puissances occidentales prônent la démocratie libérale, les alternances politiques en Afrique n'ont pas toujours généré les alternatives économiques et sociales espérées. Cette déconnexion entre promesses démocratiques et réalités économiques alimente une recherche d'alternatives politiques.
L'influence chinoise croissante sur le continent s'explique moins par une attraction idéologique que par un pragmatisme économique. Quand les institutions occidentales traditionnelles - Banque mondiale, FMI, grandes puissances européennes - ont fait défaut pour financer les infrastructures africaines, la Chine a comblé ce vide avec des investissements massifs et concrets.
Cette présence chinoise ne constitue pas nécessairement une rupture avec l'Occident, mais plutôt une diversification des partenariats qui s'inscrit dans une logique de non-alignement. L'Afrique cherche à éviter de nouveaux rapports de dépendance exclusive, préférant jouer sur la multiplication des options géopolitiques.
La France face au défi de la transformation
Les relations franco-africaines illustrent parfaitement les tensions contemporaines du continent. Si les liens linguistiques et administratifs demeurent forts, particulièrement avec les 14 pays francophones d'Afrique de l'Ouest et du Centre, la France fait face à des critiques persistantes concernant son incapacité à rompre avec certaines pratiques héritées de la période coloniale.
Le franc CFA symbolise cette économie d'empire que beaucoup d'Africains perçoivent comme un vestige du passé colonial. Pour une part croissante de la population, cette monnaie continue de renvoyer au "franc des colonies françaises d'Afrique", entretenant un sentiment de dépendance économique.
Face à ces défis, l'Afrique explore des voies alternatives qui s'inspirent du concept de Sud global incarné par les BRICS. Cette recherche ne traduit pas nécessairement une adhésion aux régimes autoritaires, mais plutôt une volonté d'arbitrage entre promotion des droits politiques et survie économique.
Le continent présente aujourd'hui une mosaïque de modèles : des démocraties comme le Ghana, l'île Maurice, les Seychelles ou le Botswana coexistent avec des modèles plus dirigistes comme le Rwanda, salué pour sa gouvernance efficace et ses succès technologiques, ou le Maroc, qui développe une stratégie africaine ambitieuse basée sur trois piliers : le transport aérien, le secteur bancaire et la promotion d'un islam modéré.
Malgré cet optimisme, certaines régions demeurent préoccupantes. La République démocratique du Congo, malgré ses immenses ressources naturelles, peine à décoller économiquement et reste marquée par l'instabilité dans ses régions orientales. Le Soudan, la Somalie et la zone sahélienne, avec ses millions de déplacés, illustrent les défis sécuritaires qui entravent le développement.
L'analyse de Nubukpo se conclut sur une note résolument optimiste. Avec ses ressources naturelles exceptionnelles, notamment la forêt du bassin du Congo - deuxième poumon de la planète -, sa diaspora dynamique et la mise en place progressive de la zone de libre-échange continentale africaine, l'Afrique dispose d'atouts considérables.
Cette vision positive s'appuie sur une réalité démographique et économique : le continent attire désormais l'attention du monde entier, non plus seulement comme pourvoyeur de matières premières, mais comme marché émergent et force géopolitique en devenir.