L'ALERTE ROUGE DE LA SAR
Selon un document confidentiel évoqué par Jeune Afrique, la Société africaine de raffinage a alerté fin avril sur un « risque imminent de pénurie de carburant et de délestage ». Avec 363 milliards de F CFA de créances impayées, la raffinerie suffoque

(SenePlus) - Le Sénégal a échappé de justesse à une crise énergétique majeure. Selon un document confidentiel révélé par Jeune Afrique le 20 mai dernier, la Société africaine de raffinage (SAR), unique raffinerie du pays, a alerté sur « un risque imminent de pénurie de carburant et de délestage énergétique à l'échelle nationale ». Une situation paradoxale pour ce nouveau pays producteur de pétrole avec Sangomar et de gaz avec Grand Tortue Ahmeyim.
Dans une correspondance adressée le 30 avril au ministre des Finances et du Budget, Cheikh Diba, le directeur général de la SAR, Mamadou Abib Diop, dresse un tableau alarmant des finances de l'entreprise publique. Selon JA, qui a pu consulter ce document confidentiel, la raffinerie fait face à des échéances dues estimées à 170 milliards de F CFA (259 millions d'euros) auprès de la Banque islamique du Sénégal (BIS) et à 147 milliards de F CFA (224 millions d'euros) auprès de FBN Bank.
La situation devient critique quand on sait que la SAR ne dispose que de 68 milliards de F CFA de trésorerie pour faire face à ces obligations. Pire encore, les partenaires financiers montrent des signes d'épuisement : la BIS a confirmé qu'elle ne dispose « d'aucune capacité d'extension sur ces échéances », tandis que FBN Bank fait part de « son inquiétude quant au niveau extrêmement élevé des créances », rapporte le magazine africain.
Cette crise de liquidité menace directement l'approvisionnement énergétique du pays. Le groupe public, « enlisé dans une spirale d'endettement », peine à financer l'achat des cargaisons de produits pétroliers destinées aux stations-service et aux centrales électriques sénégalaises, selon les informations de Jeune Afrique. Le directeur général de la SAR met en garde contre des « conséquences potentiellement désastreuses, menaçant directement la stabilité énergétique et économique du pays ».
L'ampleur du problème se mesure dans les chiffres : au 28 avril, les créances dues à la raffinerie s'élèvent à 363 milliards de F CFA, soit environ 553 millions d'euros. Cette situation s'explique par le fait que 80% des clients de la SAR n'honorent plus leurs paiements, provoquant « une saturation complète des lignes de crédit ».
Une chaîne de débiteurs défaillants
Derrière cette crise se cache un cercle vicieux impliquant plusieurs acteurs économiques majeurs. Selon le document révélé par JA, la vulnérabilité financière de la SAR résulte du « niveau extrêmement élevé des créances en souffrance » dues par l'État sénégalais et plusieurs clients stratégiques.
Les producteurs indépendants d'électricité - Malicounda, Contour Global et Tobene Power - attendent d'être payés par la Senelec pour pouvoir s'acquitter de leurs factures envers la SAR. Parallèlement, le groupement professionnel des pétroliers (GPP), dirigé par Mouhamed Chaabouni et regroupant Vivo Energy, TotalEnergies Sénégal, Ola Energy et Touba Oil, conditionne le paiement de ses engagements au remboursement des pertes commerciales par l'État.
Contactée par Jeune Afrique, la direction de la SAR adopte un discours rassurant, affirmant ne rencontrer « aucune difficulté à honorer ses engagements financiers » et entretenir d'« excellentes relations » avec ses partenaires bancaires. L'entreprise publique précise qu'« il n'existe à ce jour aucune créance échue impayée » et qualifie le courrier d'alerte de « démarche classique d'alerte ponctuelle ».
La SAR assure que cette demande « a d'ailleurs reçu une réponse favorable, ce qui a permis de régler rapidement la situation », écartant ainsi « tout risque de rupture d'approvisionnement ». L'entreprise revendique par ailleurs un accompagnement actif du gouvernement et une santé financière « tout à fait satisfaisante », avec des résultats prévisionnels 2024 affichant « quasiment un doublement des bénéfices par rapport aux objectifs ».
Des solutions d'urgence à l'étude
Face à cette situation délicate, la SAR explore de nouvelles pistes de financement. Selon Jeune Afrique, l'entreprise sollicite le règlement de 76 milliards F CFA pour honorer les échéances du 13 mai et du 5 juin 2025 auprès de la BIS, ainsi que 115 milliards F CFA en faveur de FBN Bank.
Parallèlement, la raffinerie mise sur un nouveau partenaire financier : La Banque Outarde (LBO), dirigée par Adama Diouf Camara. Des discussions sont en cours pour une ligne de crédit de 70 millions d'euros destinée à financer l'approvisionnement de mai 2025. Cette diversification des sources de financement apparaît cruciale, car l'absence de solution aurait pu entraîner la perte des deux lignes de financement actuelles de 400 millions d'euros (200 millions avec chaque banque partenaire).
Cette crise révèle la fragilité du système énergétique sénégalais, malgré les nouvelles ressources pétrolières et gazières du pays. Elle souligne également les défis structurels d'une économie où les impayés se propagent en cascade, des producteurs d'électricité aux distributeurs de carburant, en passant par l'État lui-même.