LE GRAND BOND SOCIAL DU SÉNÉGAL ?
EXCLUSIF SENEPLUS - La revalorisation des salaires des travailleurs domestiques s'inscrit dans une démarche de protection des plus vulnérables, mais pourrait, comme l'a montré l'histoire du SMIG français, engendrer des défis pour certains secteurs

La décision du ministre chargé de l’Emploi concernant le relèvement des salaires minima des travailleurs domestiques et employés de maison est à saluer. Il s’agit d’une vielle revendication. Elle est conforme à la loi qui considère comme employé de maison « tout salarié employé au service d’un foyer et occupé d’une façon continue au domicile privé de l’employeur ». La mise en conformité procure au salarié le droit à une pension de retraite ou une pension de réversion.
Malheureusement, comme dans tous les pays, la politique sociale a des conséquences à la fois positives en termes de protection des travailleurs, mais aussi certains effets négatifs, notamment sur des emplois spécifiques. Ainsi, certains compatriotes parlent de contextualisation du problème et de discutions entre partenaires sociaux pour une application. Je suis convaincu que ces concertations indispensables ont eu lieu. Je comprends également ce qu’il y a derrière ces propositions prudentielles.
C’est pourquoi, je voudrais ici rappeler le cas similaire de la France que je connais bien.
Le SMIG, ou Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti, instauré en France par la loi du 11 février 1950, devenant plus tard le SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance) en 1970, est un pilier de la protection sociale. Il a marqué un tournant historique, offrant aux travailleurs une sécurité économique inégalée. Cette mesure audacieuse a permis d'établir un plancher salarial garantissant un niveau de rémunération minimum à tous les salariés. C'est une avancée sociale majeure qui a réduit les inégalités les plus criantes sur le marché du travail.
L’impact du SMIG sur les relations de travail a donné plus de poids aux syndicats, aux négociations collectives et a induit un changement positif dans la nature des relations employeur/employés, avec une plus grande formalisation. De nombreux travailleurs à bas salaires commençaient à vivre plus dignement et d'accroître leur pouvoir d'achat. Cette garantie a favorisé une participation plus équitable à la croissance économique et une amélioration générale du niveau de vie des classes populaires.
La formalisation progressive du marché du travail a permis de limiter les pratiques d'exploitation et de favoriser des relations de travail plus équilibrées. Il ne fait aucun doute que ce cadre a renforcé le rôle des syndicats et des négociations collectives. C'est ce qui a créé un environnement plus propice au dialogue social.
Cependant, l'introduction abrupte et sans préparation du SMIG a provoqué des bouleversements majeurs dans certains secteurs économiques du tissu économique et social français. Les emplois domestiques, tels que les filles au pair ou les gardiens d'immeuble, ont été durement affectés. Ces postes, souvent accompagnés d'avantages en nature comme le logement et la nourriture, étaient généralement complétés par un faible salaire monétaire. Ils concernaient surtout des étudiants et de jeunes salariés (garçons et filles) venus des provinces pour travailler dans les grands centres urbains comme Paris. Cependant, ce modèle s'est avéré difficilement compatible avec les nouvelles exigences légales.
Il est évident que l'application uniforme du salaire minimum par les autorités politique, sans considération des spécificités régionales ou sectorielles et avec peu de concertations, a créé des disparités importantes entre zones rurales et urbaines. Les secteurs à faible valeur ajoutée, tels que le textile ou l'agriculture, ont été confrontés à des restructurations difficiles, marquées par des pertes d'emplois et des délocalisations. Certains employeurs ont réduit leurs heures ou renoncé à embaucher, préférant des arrangements informels.
La ruée vers la France de travailleurs des pays limitrophes comme le Portugal, l’Espagne et la Grèce, dont le revenu en parité de pouvoir d’achat était au minimum de la moitié de celui de la France, a stimulé la cupidité d’employeurs dont le patriotisme économique n’était pas le souci. Souvent le poste de travail est occupé par deux employés qui se relayait. C’est durant cette période crise que l’on entendait le slogan, « ils viennent nous prendre notre pain et nos femmes ».
Il ne fait pas doute que l'absence de dispositifs transitoires adaptés a pénalisé l'emploi des jeunes et des personnes peu qualifiées durant les deux décennies qui ont suivi les trente glorieuses. Cela a poussé de nombreux employeurs à réduire leurs effectifs ou à privilégier la mécanisation pour compenser la hausse des coûts salariaux. Cette situation contribue ainsi, de manière surprenante, à fragiliser certaines catégories de travailleurs.
La situation de France n’est une exception dans les grands pays industrialisés. On peut citer les USA par exemple, ou l’Allemagne.
Conclusion
L'histoire du SMIG nous offre une leçon inestimable en matière de gouvernance sociale : même les réformes les plus nobles peuvent engendrer des effets indésirables lorsqu'elles sont appliquées sans nuance. La justice sociale ne se décrète pas seulement par la loi, elle se construit par un dialogue patient entre toutes les parties prenantes.
Le législateur social, tel un capitaine expérimenté, doit rester vigilant et anticiper les conséquences de ses actions sur les plus vulnérables. Car, vous le savez, ceux que l'on cherche à protéger peuvent devenir les premières victimes d'une protection trop rigide ou mal calibrée.
La clé d'une sagesse politique authentique réside dans cette capacité à marier harmonieusement l'idéal d'équité avec la réalité complexe du terrain. Il est essentiel de comprendre que le progrès social durable ne se manifeste pas par une rupture abrupte, mais par une évolution progressive et concertée. Cette concertation a existé, j’en suis convaincu, mais peut-être n’est-elle pas allée au fond des choses.