LE SÉNÉGAL PAIE SA DETTE AU PRIX FORT
Dakar se retrouve contraint d'emprunter à des taux prohibitifs via des placements privés d'obligations. Ces mécanismes non conventionnels coûtent au pays près de 100 points de base supplémentaires par rapport à ses Eurobonds traditionnels

(SnePlus) - L'appel de marge de 200 millions de dollars de JPMorgan sur un prêt angolais met en lumière les nouvelles stratégies financières risquées adoptées par plusieurs pays africains, dont le Sénégal.
La dette africaine a grimpé en flèche pour atteindre plus de 1 800 milliards de dollars, selon la Banque africaine de développement, ce qui a conduit à trois défauts souverains au cours des quatre dernières années et à des accords de financement non conventionnels, alors que les gouvernements sont aux prises avec des remboursements élevés.
Face à cette situation, plusieurs pays du continent se tournent vers des mécanismes financiers atypiques pour éviter le défaut de paiement. "Le Sénégal, le Gabon et le Cameroun font partie de ceux qui ont eu recours à des accords dits 'hors écran' comme des placements privés d'obligations au cours des derniers mois, car le poids de leur dette et l'incertitude politique dans certains cas limitent leur accès aux marchés réguliers", rapporte Reuters.
Ces nouvelles stratégies financières s'avèrent particulièrement coûteuses pour des économies déjà sous pression. Comme le souligne l'agence de presse internationale, "le rendement des obligations placées en privé par le Sénégal l'année dernière est près de 100 points de base plus élevé que celui de son Eurobond 2031, ce qui signifie qu'il paie davantage pour cette nouvelle dette". Cette situation illustre les coûts supplémentaires supportés par des pays qui luttent déjà pour financer des secteurs essentiels comme la santé et l'éducation.
Selon Samir Gadio, responsable de la stratégie Afrique chez Standard Chartered à Londres, cité par Reuters, "nous allons voir davantage de ces transactions dans un avenir prévisible, surtout si l'accès régulier et conventionnel au marché des Eurobonds reste limité pour les pays notés B et les pays faiblement notés". Les analystes estiment que les prêts comportent souvent une prime de 150 à 200 points de base par rapport aux obligations existantes.
Si le Sénégal figure parmi les pays cités par Reuters comme ayant eu recours à ces mécanismes de financement non conventionnels, l'article met particulièrement en lumière le cas de l'Angola, qui est devenu emblématique du dilemme auquel sont confrontés de nombreux gouvernements de la région.
L'Angola a conclu en décembre dernier un contrat de swap sur rendement total d'un an avec JPMorgan, un instrument de financement rarement utilisé, adossé à des obligations d'État angolaises en dollars nouvellement émises. Le gouvernement n'a pas réellement levé de fonds avec ces obligations de 1,9 milliard de dollars. Il les a utilisées comme garantie pour deux tranches de financement par prêt de 600 millions et 400 millions de dollars de JPMorgan, afin d'éviter d'ajouter cette dette à ses comptes.
Lorsque les Eurobonds de l'Angola ont chuté après l'annonce par le président américain Donald Trump de vastes droits de douane, JPMorgan a exigé 200 millions de dollars supplémentaires comme garantie. "Le risque avec ce type de transaction, c'est qu'en cas de choc sur le marché, les appels de marge peuvent devenir un fardeau", a déclaré Samir Gadio de Standard Chartered.
Cette situation fait craindre des conséquences similaires pour d'autres pays africains ayant adopté des stratégies financières comparables. Pour l'Angola, les dépenses gouvernementales consacrées aux services sociaux ont chuté de 55 % depuis 2015, selon Tim Jones, directeur des politiques de Debt Justice, un groupe de campagne basé à Londres. La moitié du budget du gouvernement était consacrée au remboursement de la dette.
Pour le Sénégal, comme pour d'autres pays africains, ces coûts de financement élevés rendent plus difficile la levée de fonds pour de nouveaux projets d'infrastructure essentiels au développement économique.
David Omojomolo, économiste spécialiste de l'Afrique chez Capital Economics, a souligné dans une note à ses clients que "des fondamentaux budgétaires médiocres signifient que les craintes de défaut souverain risquent de rester élevées".
Dans ce contexte tendu, le recours du Sénégal à des placements privés d'obligations, avec des taux significativement plus élevés que ses émissions antérieures, illustre les défis financiers considérables auxquels le pays est confronté, à l'instar de nombreux autres États africains cherchant à équilibrer développement économique et gestion d'une dette croissante.