LE SÉNÉGAL RISQUE GROS DANS L'AFFAIRE WOODSIDE
Entre frais de procédure, honoraires d'avocats spécialisés et risque d'indemnités substantielles, l'État doit "anticiper un engagement financier considérable", préviennent les experts. En témoigne l'exemple récent du Ghana, condamné face à Tullow Oil

(SenePlus) - Le bras de fer entre l'État du Sénégal et le pétrolier australien Woodside franchit un nouveau cap. Après son recours formulé auprès du tribunal de grande instance de Dakar, le maître d'œuvre du gisement Sangomar a déposé fin mai une demande d'arbitrage international auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi).
Au cœur du conflit : une évaluation fiscale contestée de la Direction générale des impôts et domaines du Sénégal sous l'ère Bassirou Diomaye Faye. L'autorité fiscale sénégalaise exige des taxes supplémentaires liées à l'exploitation du champ pétrolier offshore, pour un montant initial de 41 milliards de FCFA, soit environ 62,5 millions d'euros.
«Woodside est convaincu d'avoir agi conformément aux réglementations applicables, au contrat de partage de la production de Sangomar et à l'accord avec le gouvernement hôte, et qu'il n'y a pas d'impôts en suspens à payer», défend un porte-parole du groupe joint par Jeune Afrique. Le pétrolier australien, qui reconnaît des progrès considérables réalisés avec le gouvernement sénégalais pour résoudre les questions fiscales en suspens, justifie le recours au Cirdi par «l'absence de résolution de certains points ».
Pour Simon Cudennec, associé au cabinet Bracewell à Paris, «la démarche témoigne de la volonté de Woodside Energy d'internationaliser un contentieux à fort enjeu stratégique». Selon ce spécialiste des dossiers énergétiques, le recours pourrait s'appuyer sur la violation alléguée d'une clause de stabilité, stipulation insérée dans les contrats extractifs destinée à prémunir les investisseurs contre les modifications unilatérales du cadre légal, fiscal ou réglementaire.
Un mécanisme juridique contraignant
La sentence arbitrale rendue sera définitive, obligatoire et exécutoire conformément à la Convention du Cirdi, que l'État sénégalais a signé en 1967. Si l'appel n'est pas possible, des voies de recours exceptionnelles existent, notamment pour vice de procédure ou excès manifeste de pouvoir. «Ce mécanisme constitue une alternative crédible et robuste aux juridictions nationales, parfois perçues comme insuffisamment indépendantes, en particulier lorsqu'un État est partie au litige», ajoute Simon Cudennec.
Cependant, les procédures arbitrales internationales sont réputées pour leur complexité, leur durée et leur coût. «Le Sénégal, en tant que partie défenderesse, doit anticiper un engagement financier considérable, indépendamment du verdict final», prévient l'avocat français. En cas de sentence défavorable, l'État pourrait être condamné à verser à Woodside des indemnités substantielles, outre les frais importants liés à la procédure : honoraires d'avocats spécialisés, frais d'arbitrage, d'expertise technique et économique, ainsi que coûts logistiques des audiences.
Pour Jean-Pierre Favennec, spécialiste de la géopolitique de l'énergie, «il est clair que Woodside souhaite rapidement tourner la page de la sanction imposée par le fisc sénégalais». En effet, «tout redressement fiscal ou changement des règles du jeu en cours de partie a des conséquences directes sur le retour sur investissement planifié par les opérateurs pétroliers et leurs partenaires au sein des consortiums», ajoute Philippe Sébille-Lopez, directeur du cabinet Géopolia.
Au Sénégal, la possible renégociation des contrats pétroliers et gaziers avec les opérateurs étrangers nourrit encore les débats. Si le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a annoncé «des résultats plus que satisfaisants», l'issue de l'une des promesses phares de la campagne électorale reste floue. Les demandes formulées par le pouvoir sénégalais auprès de ses partenaires sont perçues comme imprécises par les acteurs du secteur. Veut-il réformer le code des hydrocarbures, renégocier les modalités administratives et contractuelles, ou revoir à la hausse ses recettes fiscales ?
«Le gouvernement doit gérer un équilibre délicat entre la volonté légitime de réviser ses contrats pour garantir une meilleure répartition des richesses et la nécessité de maintenir un environnement juridique stable et attractif pour les investisseurs étrangers», estime Simon Cudennec.
L'exemple récent du Ghana illustre les risques encourus par les États dans de tels différends. En mai 2024, Tullow Oil a remporté un arbitrage contre le Ghana concernant une imposition fiscale sur ses opérations pétrolières offshore. La Chambre de commerce international de Paris (ICC) a jugé que l'État avait enfreint les dispositions contractuelles et les engagements fiscaux convenus, notamment en tentant de percevoir une taxe qui n'était pas prévue dans le cadre juridique initial. «Cette décision confirme qu'un État ne peut modifier unilatéralement les règles fiscales applicables à un contrat extractif sans risquer une condamnation», conclut l'avocat.