QUID DU FCFA/ECO FACE AU DÉFI DE L’INTÉGRATION ÉCONOMIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans un contexte de tensions commerciales internationales, la réforme du FCFA vers l'ECO révèle un paradoxe : comment construire une souveraineté monétaire sans avoir préalablement bâti une véritable intégration économique ?

Une hausse des tarifs douaniers d’une ampleur sans précédent, a été décidée le 2 avril dernier par le président Trump, dans le but avancé de corriger le déséquilibre du commerce bilatéral entre les USA et les principaux pays exportateurs sur le marché américain.
Ces hausses, en réalité pratiquées depuis 2010, en lien avec la crise des « subprimes » de 2008, traduisaient déjà un changement de cap idéologique américain, du fait d’un retour à des mesures protectionnistes, en contradiction avec l’option libre-échangiste érigée en dogme économique dans une mondialisation triomphante.
Les hausses d’avril ont atteint un niveau jamais égalé, visant particulièrement la Chine (jusqu’à 145% sur certains produits), et dans une moindre mesure la zone euro et des pays asiatiques pour des tarifs moyens de 10%, déclenchant une guerre commerciale d’envergure.
La réplique de la Chine a suivi, avec des droits de 125% sur des produits stratégiques, donnant une tournure plus frontale à la guerre commerciale et monétaire entre les deux pays.
La Chine serait coupable selon les autorités américaines, de « manipuler » le Yuan (dévaluations compétitives) pour compenser les hausses des tarifs douaniers américains.
Les conséquences du bras de fer commercial s’étendent progressivement à la sphère financière, par une baisse des souscriptions de bons du trésor (maturité entre 10 et 30 ans), composante importante des réserves de change des banques centrales du monde (baisse de 27% des bons du trésor détenus par la Chine entre janvier 2022 et décembre 2024).
Les banques centrales d’Asie et des BRICS ont tendance à recomposer leurs réserves en renforçant la part de l’or et d’autres actifs qui les exposeraient moins au risque géopolitique (sanctions et réactions), ce qui impacte la tenue du dollar sur le marché des changes et provoque des réactions d’économistes et d’experts du marché financiers.
En Europe, M. Bruno Lemaire, ancien ministre de l’Economie et des Finances de France, voit dans l’affrontement commercial, une opportunité de substituer l’euro au dollar comme monnaie de réserves et de facturation des échanges, en particulier pour les produits énergétiques (pétrole, gaz).
Dans une contribution titrée « le roi dollar vacille », ce dernier a ainsi commenté la situation :
« Le dollar baisse, les autres monnaies montent, et on parle de retraits massifs des investisseurs chinois et japonais sur les bons du Trésor américain.
« Cet affaiblissement actuel du dollar est structurel ».
Ainsi, pour les Européens, la question devient de plus en plus pressante : que faire ? ».
« Le deal (proposé par le Président TRUMP) est clair : vous financez notre dette en achetant ces bons du Trésor (sur 100 ans à taux nul), en échange de quoi vous échapperez aux tarifs douaniers ».
« Pour la première fois depuis 1945, les Européens ont entre les mains une opportunité unique de faire de l’euro une monnaie de référence mondiale.. Nous pourrons enfin importer du gaz et du pétrole, dont nous avons encore besoin pour des décennies, sans risque de change ».
« Plus les échanges seront libellés en euro, plus les États européens disposeront de leviers de négociation avec leurs partenaires commerciaux, Etats-Unis compris.
Les bouleversements du système monétaire international en gestation, entamés avec les attaques contre le rouble (guerre en Ukraine), les menaces de dédollarisation venant des BRICS et enfin les réactions européennes centrées sur le renforcement de l’euro, le tout sur toile de fond d’un endettement hors normes des USA (36 000 milliards de dollars), paraissent inéluctables à terme.
Concernant l’UMOA, cette guerre des monnaies en perspective met en évidence l’urgence à aller au-delà du statu quo actuel sur la réforme monétaire en cours (FCFA/ECO).
Pour rappel, de nouveaux accords de partenariat économique élaborés pour le passage du Fcfa à l’ECO, ont été votés en 2019 par l’assemblée nationale française, puis actés par le Président ivoirien en sa qualité de Président de la Conférence des chefs d’Etat de l’Union Economique mandaté par ses pairs de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine, et le président de la République française.
Malgré ces actes officiels, le signe monétaire « FCFA » demeure encore en force dans l’espace UMOA.
Il resterait encore aux états membres de la CEDEAO, à se mettre d’accord sur la feuille de route menant au lancement de l’ECO, et dont l’écueil principal serait la mise en place d’un nouveau pacte de convergence 2022/2026 pour un lancement effectif en 2027.
Au-delà de la feuille de route, des désaccords resteront sans doute à régler, en particulier la question de l’arrimage à l’euro selon une parité fixe et celle de la politique monétaire centrée sur la seule maîtrise de l’inflation, demeurée inchangée dans les nouveaux textes.
Le Ghana avait exprimé en son temps des réserves sur le régime de change fixe proposé pour la nouvelle monnaie, et montré son choix pour un régime de change flexible ; le Nigéria aurait insisté sur l’exercice par ses soins du leadership de la nouvelle union monétaire, au regard de son poids économique.
Concernant le Sénégal, le président Faye s’est exprimé très clairement sur la question lors de l’anniversaire de la fête de l’indépendance.
Face à ce qu’il perçoit comme une progression lente sur la monnaie CEDEAO, il a demandé à l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) de « reprendre l'initiative de création d’une monnaie souveraine, avec un nom, un symbole et des billets distincts" ; « Si ça prend encore trop de temps, le Sénégal se retirera pour avoir sa propre monnaie » a poursuivi le président Bassirou Diomaye Faye.
Pour notre part, nous avons la conviction que la problématique du FCFA relative à son incapacité à impulser le décollage économique des pays membres, ne doit pas laisser en arrière-plan la question prioritaire de l’intégration économique sous régionale.
Celle-ci reste encore à l’état embryonnaire tant en CEDEAO qu’en UEMOA.
L’UEMOA, qui avait pris en charge ce volet économique, situé hors du champ de l’UMOA, n’a pas réussi en 30 an, à la réaliser.
Le statisticien Souleymane Diallo, dans son livre « Radioscopie des exportations sénégalaises en vue de la ZLECAF » met en relief la structure du commerce extérieur des pays membres.
Il y précise entre autres, que les échanges entre pays de l’UEMOA ne dépassent pas 15 %, et que les exportations du Sénégal vers la Côte d’Ivoire ne représenteraient que 1% des importations de ce pays ; cela signifierait que ces deux économies « locomotives » de l’UEMOA, commercent peu entre elles du fait que la structure extra communautaire de leurs échanges extérieurs.
Concernant le FCFA, il est établi que la politique monétaire et bancaire de l’UMOA a été jusque-là, peu regardante sur les objectifs de croissance des pays, parce que davantage préoccupée par la stabilité de la monnaie, dans le cadre global du système monétaire international, dont le FMI est le gardien.
A compter de la réforme institutionnelle de 2010, l’UMOA a fait de cette stabilité une « surpriorité ».
Au niveau des banques, cette option s’est traduite par un contrôle renforcé sur les « portefeuilles crédit » via les normes de gestion de Bale en force depuis la fin des années 80 (ratio Cooke), ce qui les a progressivement conduites à privilégier les opérations sur titres du marché financier, plus sécures que les opérations d’intermédiation classiques
Concernant le financement d’entreprises la réforme de 2010 délègue aux Conseils Nationaux du Crédit ‘donc aux états) la mission de « prendre en compte des préoccupations de financement des opérateurs économiques ».
Face à ce choix prioritaire de défense de la valeur du FCFA/Euro, aux difficultés consécutives d’accès des entreprises au crédit bancaire, la question est la suivante : quelle est l’utilité d’avoir une monnaie commune, censée dynamiser les flux d’échanges commerciaux et de capitaux dans l’espace communautaire, pour des résultats aussi faibles, 30 années durant pour l’UEMOA et 50 années pour la CEDEAO ?
Le grand défi du développement ne saurait être relevé sans l’ouverture vers la sous-région ; au cœur de ce défi, il y a celui de parvenir à une capacité de production et une maitrise technologique régionales, dans le but de fabriquer des produits quantitativement et qualitativement équivalents à ceux présentés par la concurrence sur le marché international ; ce défi a été relevé par les entreprises des économies émergentes d’Asie, devenues les nouveaux « ateliers du monde » (smartphones, ordinateurs personnels, appareils électroménagers connectés, impression 3D, intelligence artificielle etc..), dans le cadre d’une démarche de complémentarité économique initiée par le Japon, puis la Chine.
A l’échelle de la sous-région, des stratégies d’attraction des investissements extérieurs, mais aussi de promotion de projets privés africains à vocation régionale devraient être bâties en synergie par les états et les opérateurs privés d’envergure.
Dans cette perspective, la démarche du nigérian Dangoté devrait inspirer. Pour l’accès à la technologie, le travail en amont devrait consister à mettre en harmonie les budgets de formation et de Recherche/Développement axé sur le numérique, dégagés par les états et les grandes entreprises.
La question sous-jacente du financement des entreprises devrait être résolue. C’est le lieu de souligner le paradoxe noté dans l’évolution du paysage bancaire en UEMOA ; il s’agit de la démultiplication des « banques africaines » sans effet sur l’offre de financement en faveur des PME.
A notre sens, les États devraient revenir à l’option originelle de création de banques nationales, mise en place lors des années 70/80, en appui au modèle d’industrialisation axé sur l’import-substitution. Cela est d’autant plus actuel que le protectionnisme économique est redevenu en odeur de sainteté.
Rappelons que ce modèle n’avait pas survécu à la période d’ajustement structurel, durant laquelle les banques nationales (ou de développement) furent liquidées, là où, dans certains cas, un apport « d’argent frais » des opérations de restructuration de capital, de fonds de commerce et d’assainissement portefeuille de crédit auraient pu suffire.
Pour conclure, la souveraineté monétaire qui est un impératif indiscutable, devra nécessairement être « linkée » avec l’édification d’une industrie africaine intégrée et compétitive, grâce à des coûts de production optimisés, et une production de biens et services à la hauteur de ceux offerts sur le marché international.
La création d’une nouvelle monnaie panafricaine devrait s’accompagner d’une nouvelle loi bancaire priorisant le financement des entreprises.
Cela devrait passer par une réglementation et des normes de gestion moins coercitives et plus adaptées au contexte africain où les marchés financiers sont peu profonds, les crises bancaires éventuelles plus gérables et peu enclines à devenir systémiques du fait de la faible imbrication des banques et des marchés financiers dans le continent ; pour preuve, la crise mondiale systémique de 2008 et celle de la Silicon Valley Bank a eu peu de résonnance en Afrique.
Cette nouvelle loi bancaire devra contenir des dispositions plus inclusives, notamment la facilitation de la création d’institutions bancaires spécialisées pour la couverture de besoins de financement de secteurs artisanaux porteurs de croissance (maroquinerie, chaussure, confection, cinéma, téléfilms, peinture, design, fashion design etc..).
Pour ce qui concerne l’espace communautaire, les entreprises industrielles devraient être encouragées à s’ouvrir à leurs homologues et au marché, dans la perspective d’atteindre des niveaux de quantité et de qualité de production et de compétitivité, leur permettant d’affronter la concurrence sur le marché international, et créer de l’emploi.
Le marché sous régional deviendrait un espace d’incubation et d’intégration d’entreprises transafricaines, bénéficiant de dispositions légales et règlementaires d’un code des investissements commun, favorable à leur insertion sur le marché international.
Cette approche exige des abandons de souveraineté supplémentaires, essentiellement entravés par des gouvernants accrochés au principe révolu de « l’intangibilité des frontières » à l’origine de bien de crispations nationales.
L’expérience contrastée et finalement réduite à néant du NEPAD, renseigne sur l’importance de la volonté politique des dirigeants africains, en faveur de l’intégration économique réelle.
Compte tenu des lenteurs inhérentes au processus, il serait indiqué de prioriser une approche d’intégration par « cercles concentriques », axé sur la complémentarité économique de pays en voisinage immédiat, partageant en commun des frontières et des ressources stratégiques.
Pour le Sénégal, l’OMVS (Organisation de Mise en Valeur du fleuve Sénégal), constitue une zone idéale de co-développement avec le Mali, la Mauritanie et la Guinée, soit 53 millions d’habitants ; le bassin est riche en ressources minières diversifiées (phosphates, or, fer, zircon manganèse et bauxite dans le haut bassin, pétrole et gaz).
Le Mali est la principale destination des exportations du pays ; avec la Mauritanie avec laquelle le Sénégal partage un champ gazier, et la Guinée, des relations économiques, commerciales et culturelles sont constantes.
Malgré le renoncement aux engagements de départ (après barrage) de « réaliser l’autosuffisance alimentaire, cette organisation garde pour le Sénégal toute sa pertinence dans un contexte d’insécurité alimentaire mondiale, et possède les ressources minières et eau aptes à être la matrice d’une industrialisation conséquente.
Abdoul Aly Kane est banquier, expert financier, ancien président de la SONES.