REFONDATION INSTITUTIONNELLE ET GOUVERNANCE AU SERVICE DE L’INTÉGRATION AFRICAINE
EXCLUSIF SENEPLUS - "Le temps des diagnostics est passé. Celui de l'action audacieuse s'ouvre." Face aux défis géopolitiques mondiaux, l'Afrique doit transformer son ambition d'unité en réalité concrète

Sous un ciel chargé d’histoire, de luttes et d’espérance, l’Afrique se relève avec une volonté renouvelée. Portée par un idéal ancien devenu exigence contemporaine, l’unité, elle avance avec conscience et persévérance.Terre de civilisations multiples, riche de savoirs et de ressources, le continent affirme désormais sa capacité à écrire collectivement son avenir. Depuis les indépendances, une volonté persistante vise à dépasser les frontières héritées et à faire de la diversité un socle de force collective. Longtemps cantonné aux marges du rêve, l’idéal d’unité africaine s’est imposé comme un objectif stratégique, renforcé par des institutions et des visions partagées à l’échelle continentale. Des communautés économiques régionales à la zone de libre-échange continentale africaine ZLECAf, du plan d’action de Lagos au NEPAD, jusqu’à l’Agenda 2063, l’Afrique construit patiemment un avenir souverain et intégré. Ce projet ne se réduit ni à un mimétisme ni à une simple adaptation extérieure, mais repose sur une vision stratégique ancrée dans l’expérience, la mémoire et l’innovation. Il incarne une capacité politique à transformer héritages et diversités en unité.
Pourtant, malgré cette architecture ambitieuse, de nombreux projets restent au stade de l’intention, et une partie significative des citoyens se sent exclue du processus. Les défis institutionnels complexité administrative, chevauchement des mandats, gouvernance éloignée des réalités freinent encore l’essor du continent. À partir de là, la question cruciale demeure : comment concrétiser cette ambition collective, en la rendant tangible et partagée par tous les acteurs, des territoires aux États, jusqu’aux citoyens ? L’analyse qui suit dépasse le simple constat. Elle examine avec rigueur les causes profondes des défaillances institutionnelles entravant l’intégration africaine et propose des pistes claires pour une refondation nécessaire. Celle-ci vise une gouvernance africaine plus solide, inclusive et ancrée dans les réalités des peuples, fidèle à l’histoire commune et tournée vers l’objectif d’une Afrique unie, forte et souveraine.
I. Institutions enchevêtrées : le paradoxe d’une ambition éclatée
Dans sa quête légitime d’unité et d’intégration durable, l’Afrique s’est dotée au fil des décennies d’un dispositif institutionnel dense, réunissant des structures régionales et continentales destinées à promouvoir la coopération politique, économique et sociale entre ses États membres. Cependant, cette richesse institutionnelle, loin de constituer un atout pleinement mobilisé, révèle une fragmentation préoccupante qui affaiblit la cohérence et l’efficacité du projet panafricain. L’Union africaine, acteur central de cette ambition, évolue dans un paysage où coexistent de nombreuses Communautés économiques régionales (CER) – CEDEAO, CEEAC, SADC, COMESA, IGAD, UMA, CEN-SAD dont les mandats, souvent redondants, créent des chevauchements et entravent une gouvernance concertée. À cela s’ajoute la pluralité d’appartenances des États à plusieurs CER, qui complexifie davantage la coordination des politiques et ralentit l’exécution des décisions communes. Si certaines CER, comme la CEDEAO, ont progressé dans des domaines clés tels que la libre circulation des personnes ou la sécurité, d’autres peinent encore à dépasser des blocages internes persistants. Sur le plan continental, les institutions phares rencontrent aussi des obstacles notables.
Le Parlement panafricain, privé de pouvoir législatif contraignant, le Conseil de paix et de sécurité, l’ECOSOCC ou encore la Cour africaine des droits de l’homme souffrent d’un manque de ressources, de mandats flous et d’une faible capacité d’action, limitant ainsi leur impact réel. Cette prolifération d’organismes, au lieu de créer une dynamique convergente, favorise des conflits de compétences et une dispersion des responsabilités, réduisant la capacité du continent à parler et agir d’une seule voix. À l’inverse, des expériences d’intégration telles que l’Union européenne, l’ASEAN ou le MERCOSUR montrent l’importance d’institutions dotées de compétences claires, d’une architecture stable et d’une volonté politique partagée. Le véritable défi ne réside donc pas dans le nombre d’institutions existantes, mais dans leur capacité à fonctionner en synergie, à mutualiser leurs moyens et à produire des résultats tangibles au bénéfice des populations africaines. Tant que cette désarticulation persistera, l’intégration effective demeurera hors de portée. Il devient alors indispensable de revoir les mandats, d’harmoniser les mécanismes de coopération, de renforcer les capacités techniques et d’ouvrir la voie à un transfert maîtrisé de souveraineté vers une gouvernance continentale plus cohérente et plus légitime. Au-delà de ces réformes structurelles, c’est la qualité de la gouvernance, souvent silencieuse mais décisive, qui constituera le levier fondamental pour faire advenir une Afrique unie, forte et tournée vers l’avenir.
II. Gouvernance et leadership : le talon d’Achille du rêve africain
L’Afrique dispose aujourd’hui d’une architecture institutionnelle ambitieuse et de cadres stratégiques clairs. Pourtant, la mise en œuvre demeure le maillon faible. Entre fragilité de la gouvernance, manque de leadership panafricain et distance entre institutions et citoyens, le fossé persiste entre vision et action.
Un leadership encore trop national pour un projet continental
Les dirigeants africains, héritiers des luttes pour la souveraineté, restent attachés à la préservation des États-nations. Ce réflexe, compréhensible sur le plan historique, freine cependant l’évolution vers un véritable partage des compétences au sein d’institutions supranationales.
L’Union africaine, fondée sur la coopération volontaire, manque de mécanismes contraignants pour assurer l’application effective des décisions. Seul un leadership politique courageux, visionnaire et collectif permettra de faire avancer le projet d’unité africaine.
Renforcer la régulation continentale
Des cadres ont été établis pour promouvoir la transparence et la responsabilité à l’échelle du continent. Le Parlement panafricain pourrait jouer un rôle central dans l’affirmation démocratique de l’Union, à condition de disposer de prérogatives législatives réelles et d’être composé de membres élus au suffrage direct.
Le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), fondé sur une logique d’autoévaluation volontaire, constitue une innovation majeure. Il gagnerait en efficacité par une meilleure transparence, un financement stable et un engagement politique renforcé des États membres. Ces instruments ne sont pas des échecs. Ils représentent des bases solides, à consolider avec détermination. Une culture africaine de la redevabilité est en germe. Il s’agit désormais de l’ancrer durablement pour asseoir la légitimité et la crédibilité des institutions.
Rebâtir la légitimité depuis la base
Le panafricanisme ne réussira que s’il est porté par les citoyens. Or, les institutions sont perçues comme technocratiques et éloignées du quotidien. Pour combler ce déficit de proximité, il est urgent de renforcer la participation populaire : consultations publiques, plateformes numériques, initiatives locales et, à terme, référendums continentaux. L’adhésion populaire est la clef d’une intégration vivante et durable.
Financer l’unité pour garantir la souveraineté
La question du financement reste un nœud stratégique. Tant que l’Union africaine dépendra massivement de bailleurs extérieurs, son autonomie restera compromise. Des initiatives comme la taxe de 0,2 % sur les importations offrent des solutions internes crédibles, mais leur mise en œuvre demeure inégale. L’indépendance des institutions africaines passe par des moyens politiques et financiers garantis, condition essentielle pour agir avec dignité, liberté et efficacité.
III. Refonder la gouvernance pour bâtir l’unité africaine
La réussite de l’intégration africaine ne repose pas uniquement sur les discours ou les structures formelles. Elle exige une gouvernance renouvelée, performante, inclusive et centrée sur l’intérêt général. Les institutions régionales et continentales ont posé des fondations prometteuses, mais pour réaliser pleinement leur potentiel, elles doivent disposer de ressources suffisantes, bénéficier d’une autonomie renforcée et asseoir leur légitimité sur une adhésion claire des peuples. C’est à ces conditions qu’elles pourront impulser un changement profond et transformer les décisions politiques en leviers efficaces de transformation.
Les administrations nationales constituent le socle de l’intégration, qui ne pourra se concrétiser que par une mise en œuvre cohérente des engagements continentaux au sein des États. Or, dans de nombreux pays, les administrations souffrent de lourdeurs bureaucratiques, d’instabilité chronique, de déficits de compétence et d’interférences politiques. Dans certains contextes fragiles, l’absence d’autorité étatique sur une partie du territoire rend toute coordination régionale illusoire. Ailleurs, les conflits d’intérêts et le manque de redevabilité minent la confiance nécessaire à une dynamique panafricaine sincère.
Corruption : un fléau à éradiquer
La corruption constitue un frein majeur à l’instauration d’une gouvernance crédible. Elle affaiblit les institutions, détourne des ressources vitales et alimente la défiance des citoyens. Il est essentiel d’encourager une culture de l’intégrité, de renforcer l’éthique publique et de promouvoir une transparence rigoureuse dans la gestion des affaires. Cette exigence constitue un fondement indispensable à toute forme de légitimité et de progrès.
Une gouvernance à la hauteur des ambitions
L’Afrique porte une aspiration claire : celle d’une gouvernance exemplaire, au service de la transformation du continent. Cette ambition requiert des institutions responsables, enracinées dans les réalités locales mais guidées par une vision collective. Seule une articulation cohérente entre les États et leurs citoyens, entre stratégies continentales et besoins des territoires, permettra de construire une souveraineté partagée, ancrée dans l’efficacité, la légitimité et la prospérité.
IV. Refonder pour unir : une gouvernance panafricaine au service de l’action
L’unité africaine ne pourra devenir une force transformatrice que si elle s’appuie sur une gouvernance renouvelée, centrée sur l’efficacité, la clarté institutionnelle et la participation citoyenne. La refondation du système panafricain doit viser des résultats concrets, à travers trois axes majeurs : la simplification des structures, le renforcement des institutions, et la mobilisation des citoyens et des diasporas.
Clarifier les responsabilités et rationaliser l’architecture
La complexité institutionnelle actuelle appelle une harmonisation stratégique. En clarifiant les mandats, en supprimant les chevauchements et en alignant les Communautés économiques régionales sur les priorités de l’Union africaine, le continent gagnera en cohérence et en efficience. La ZLECAf, à cet égard, constitue une opportunité structurante.
Doter les institutions de véritables leviers d’action
L’Union africaine doit assumer un rôle moteur. Le Parlement panafricain, avec des pouvoirs législatifs progressifs et une composition démocratique, le MAEP renforcé et transparent, ou encore une Cour africaine aux décisions pleinement reconnues, sont autant d’outils à consolider pour bâtir une gouvernance robuste et crédible.
Moderniser la gouvernance : transparence et innovation
Une gouvernance moderne impose des budgets clairs, des résultats mesurables et un contrôle indépendant. Le recours aux outils numériques permettra une meilleure participation des citoyens et un suivi plus transparent de l’action publique, fondé sur l’audit, l’évaluation et l’ouverture des données.
Impliquer citoyens et diasporas
Les peuples africains doivent être pleinement associés au projet panafricain, à travers l’éducation civique, les consultations publiques et les échanges culturels et économiques. Les diasporas, par leur expertise et leurs ressources, doivent occuper une place stratégique via des mécanismes d’intégration concrets.
Une vision africaine audacieuse et partagée
La refondation doit s’ancrer dans les valeurs de solidarité africaine tout en misant sur l’innovation. Une feuille de route continentale, priorisant la sécurité, l’énergie, le numérique et la fiscalité, doit reposer sur des engagements communs et une volonté politique affirmée. L’Afrique a les moyens de bâtir une unité forte, originale et tournée vers l’avenir.
Un continent debout : l’heure de la refondation panafricaine
Dans un monde traversé par l’incertitude et les recompositions géopolitiques, l’Afrique se tient à un tournant décisif. La refondation du projet panafricain n’est plus une option, mais une nécessité historique. Face aux fragmentations héritées, aux ingérences persistantes et aux vulnérabilités internes, l’unité africaine doit s’affirmer non comme un rêve lointain, mais comme un impératif stratégique, fondé sur la souveraineté, la solidarité et l’exigence de résultats. L’heure est venue de bâtir des institutions fortes, légitimes et ancrées dans les aspirations profondes des peuples africains. Repenser la gouvernance continentale, c’est répondre à un appel venu du terrain, des jeunesses créatives, des diasporas engagées, et des citoyennes et citoyens en quête d’avenir. Ce n’est qu’à ce prix que l’intégration africaine pourra devenir réalité vivante, tangible, transformatrice.
L’Afrique dispose de ressources immenses, de cultures puissantes, d’énergies inépuisables. Ce qu’elle attend désormais, c’est un sursaut de volonté politique, une vision partagée et un engagement collectif à la hauteur de son destin. Le temps des diagnostics est passé. Celui de l’action audacieuse s’ouvre. L’Afrique doit se lever, fière, lucide et résolue à refonder son unité. Non pas demain, mais aujourd’hui. L’Histoire l’exige, les peuples l’espèrent, et l’avenir l’attend. Refonder l’unité africaine : l’heure n’est plus au projet. Elle est à l’accomplissement.
M. El Hadji Amadou Niang et M. Léonard Émile Ogimba sont anciens ambassadeurs respectivement du Sénégal et de la République du Congo (Brazzaville), ont également exercé d’importantes fonctions au sein du Secrétariat général de l’OUA/UA.