«LES CRITERES EVALUATIFS DU BAC UEMOA, LA REDUCTION DU NOMBRE DE CORRECTEURS, ENTRE AUTRES DIFFICULTES, ONT PENALISE LES ELEVES»
Si on a tendance à blâmer les élèves pour leur faible niveau, et les enseignants pour leurs longues grèves à répétition, pour cette année, le problème serait systémique, selon le syndicaliste enseignant Tamsir Bakhoum du Saemss

Le constat de la baisse de niveau des candidats au baccalauréat est unanime. Et c’est encore pire cette année où seuls 14,94 % des candidats ont obtenu leur premier diplôme universitaire dès le premier tour. Si on a tendance à blâmer les élèves pour leur faible niveau, et les enseignants pour leurs longues grèves a répétition, pour cette année, le problème serait systémique, selon le syndicaliste enseignant Tamsir Bakhoum du Syndicat autonome des enseignants du moyen et secondaire du Sénégal (Saemss). Il convoque l’expérimentation du Bac Uemoa, la diminution du nombre des correcteurs, le problème dans la conception des sujets, entre autres problèmes qui, selon lui, devraient amener l’Etat à organiser une réforme profonde du système pour une éducation de qualité.
Le Témoin : A l’issue du premier tour du baccalauréat de cette année, seuls 14,94 % des candidats ont obtenu leur sésame d’office. Pourtant, l’année scolaire a été stable. Comment expliquez-vous cette débâcle ?
Tamsir BAKHOUM - Le baccalauréat s’est déroulé dans de bonnes conditions. Mais à la suite des proclamations des résultats, le constat est unanime. Seuls 14,94 % sur les 155 551 candidats inscrits sont admis d’office. Soit 22 492 candidats. Pour l’admissibilité, il y avait 40 761 candidats. Si tous les candidats passaient au premier tour, on aurait plus de 63 000 candidats admis. Ce qui aurait fait moins de 40 % de nouveaux bacheliers. En 2016, nous avions un taux de réussite de 36, 5 %, en 2017, on était à 44,97 %, en 2018 qui était une année perturbée, on était à 46,09 %. Ce qui fait que, cette année, si tout le monde passe, on ne sera pas à 45 %. Nous tournerions autour du même taux que 2017 ou 2018. Voire moins. Or tous les admissibles ne peuvent pas passer. Puisque tout le monde ne passera pas, les résultats de cette année sont partis pour être au mieux, au niveau de ceux des années passées voire pire. Cette année, on ne pourra pas dépasser la barre des 45 %. Ce qui fait que, l’année ayant été stable et les enseignants ayant tenu les classes d’octobre à juillet, personne ne pourra convoquer l’argument de la grève des enseignants pour expliquer les mauvais résultats. Si nous prenons en référence les différents candidats qui sont passés, on peut nettement comprendre que l’échec n’était pas dû à la grève des enseignants.
Justement, on a tendance à blâmer les élèves pour leur faible niveau, et les enseignants pour leurs longues grèves répétitives. Donc où se situe le problème ?
Mais c’est un problème systémique. Pour dire que ce n’est pas une question de grèves, mais c’est le système éducatif sénégalais qui a des problèmes. Par rapport au contenu des programmes, ils sont archaïques. On ne peut pas continuer à être en déphasage dans nos programmes avec les réalités socio-culturelles du Sénégal. Je pense que cette question, entre autres, devrait être abordée par l’Etat pour que des réformes profondes puissent être apportées au niveau des programmes. Des programmes qu’il faudrait aussi aussi alléger. Nous avons aujourd’hui des élèves qui ont réussi dans les concours et qui sont dans d’autres écoles du monde comme en Chine ou au Canada. Là-bas, les élèves sont bien encadrés pour être dans des filières bien définies dès la classe de première. Mais au Sénégal, l’élève fait tout. On ne sait pas s’il est littéraire ou scientifique. On ne peut pas vouloir former un ingénieur et lui dire qu’il faut apprendre l’histoire, la géographie, l’espagnol… Vous le bourrez en termes d’enseignements-apprentissages de telle sorte qu’il n’a plus la capacité de réflexion. Je pense qu’il faut aller dans le sens de réformer, d’une façon radicale, le système éducatif, alléger les programmes avec des contenus beaucoup plus stricts en termes de formation qui pourraient orienter l’élève dès le bas âge vers une filière professionalisante pour lui permettre d’avoir des compétences.
Dans ce naufrage collectif, certains lycées, à l’image de celui d’excellence de Diourbel, se sont démarqués du lot avec des résultats vraiment satisfaisants
C’est normal. Si vous prenez le lycée d’excellence de Diourbel, on y trouve des élèves qui sont recrutés dans les différents collèges ou lycée du Sénégal avec une sélection très rude. Ce sont les plus doués de l’école qui sont amenés, encadrés, nourris, logés. Si on prend le lycée Mariama Bâ de Gorée, ce sont les meilleures jeunes filles du Sénégal. De même que le prytanée Charles Ntchororé de Saint Louis. Quand on parle de système, il faut aller dans le sens de mieux outiller les lycées qui font 99 % de réussite dans la banlieue et certaines régions dans les profondeurs du Sénégal, qui ont plus de 70 élèves dans une seule classe. Alors que dans les autres lycées qu’on prend comme des références, c’est maximum 25 élèves par salle de classe. Ce qui fait que le ratio encadrement professeurs-élèves est excessif. Hors ces exceptions, nous sommes dans une situation catastrophique d’encadrement des enseignements apprentissages !
Pourtant des enseignants disent que, cette année, les enseignements-apprentissages se sont très bien déroulés. Quelles sont donc les raisons de ce taux d’échec surprenant au Bac ?
C’est vrai que les enseignements-apprentissages se sont très bien déroulés. Mais nous avons observé, cette année, que les élèves ont été évalués avec les critères du bac Uemoa que les autorités sont en train d’expérimenter. Quand vous prenez certaines disciplines comme l’histoire et la géographie, ils ont exigé l’évaluation avec les critères de Bac Uemoa. Et là, ce sont d’autres critères qui s’appliquent, différents des critères évaluatifs sur lesquels les enseignants ont travaillé avec les élèves dans les lycées. C’était perdu d’avance. Je pense que si nous devons aller vers le changement pour expérimenter, il fallait le faire dans tout le pays, mais pas seulement à Dakar.
Donc on peut dire que les élèves ont été sacrifiés avec ces nouveaux critères évaluatifs du Bac Uemoa ?
Je n’irai pas à dire que les élèves ont été sacrifiés. Les enseignants sont des responsables. Ils ont fait leur travail correctement. Je pense que les élèves n’ont pas été mis dans des conditions idoines qui allaient leur permettre de réussir avec brio le bac de cette année. Il faut dire que si les résultats sont meilleurs dans les filières scientifiques, dans les filières littéraires, il y a eu un très grand nombre d’échecs. Cela dit, tout le monde sait que, dans la politique du président de la République, l’Etat est dans une dynamique de favoriser les scientifiques au détriment des littéraires. Est-ce que ce n’est pas une politique de tuer cette filière littéraire qui reste pourtant une filière intéressante ? On ne saurait le dire. Mais tout ce que l’on peut dire en termes d’enseignements par rapport aux résultats de cette année, c’est que l’Etat devrait informer les enseignants sur les vrais critères qui seront désormais retenus pour l’évaluation finale au baccalauréat. Il faut que l’Etat nous dise clairement si oui ou non les gens vont continuer à évaluer avec les critères du bac Uemoa pour que cela soit un bac Uemoa. Si c’est oui, alors il faut que, avant la rentrée, le ministère prenne ses responsabilités en rapport avec le ministère de l’Enseignement supérieur pour dire aux Inspections d’Académie (Ia) et aux Inspections de l’Education et de la Formation (Ief) de demander aux enseignants de se préparer et de préparer les élèves à ces nouvelles évaluations. Les gens ne peuvent pas continuer à enseigner et évaluer les élèves avec l’ancien système pour qu’à chaque fois, au bac, on vienne nous dire que les critères de l’Uemoa doivent être respectés dans la correction.
Dans une sortie, votre leader syndical, Saourou Sène, soutient que l’Etat a surchargé les correcteurs en réduisant le nombre de correcteurs par discipline. Qu’en est-il exactement ?
C’est vrai ! Par rapport au bac de cette année, nous avons constaté que l’Etat est dans une dynamique d’expérimenter la réduction du nombre de correcteurs alors qu’on a une augmentation des candidats. Le bac s’est déroulé du 01er au 12 juillet (12 jours) avec un correcteur par discipline, dans la plus grande partie des jurys. Nous avons observé que l’Etat a envoyé un correcteur par discipline. Ce qui fait qu’ils ont corrigé sous la pression. Si certains correcteurs ne comprennent pas qu’il ne faut pas dépasser plus de 50 copies par jour, il y en a qui vont tenter, parce qu’ils ont 400 copies à terminer pour trois jours, à corriger 80 copies par jour. Même une machine serait bourrée dans ces conditions ! Ce qui fait qu’il y a une pléthore de problèmes. C’est pourquoi nous demandons à l’Etat de revoir cette politique expérimentale qui consisterait à réduire, d’une façon drastique, le nombre de correcteurs convoqués au Bac. On ne sait pas si c’est un problème de budget ou pas. Mais, en tous cas, cela ne pourra pas prospérer lorsque l’Etat voudra en faire une règle pour convoquer trop peu de correcteurs dans les années à venir.
Le directeur de l’Office du Bac, M. Sossé Ndiaye, a reconnu quelques dysfonctionnements dans l’organisation du Bac comme le mélange de sujets. Est-ce la seule difficulté notée dans l’organisation de cet examen de fin de cycle secondaire ?
Non. Dans la conception des sujets aussi, nous avons dit qu’il y a eu des difficultés surtout dans certaines disciplines comme le français. Le bac L était parti pour être un bac catastrophique. Même les correcteurs n’arrivaient pas à s’entendre sur les sujets. On peut aussi parler de certaines matières scientifiques. Nous avons vu que la notion de primitivité qui a été évaluée au niveau de la Terminale L est dans le programme, mais souvent ces questions ne sont pas très bien traitées en Terminale L. Et cela fait l’objet d’évaluation. Certains disent que cette question allait être évaluée en Série S. Il y a beaucoup de choses qui font que les résultats étaient partis pour être catastrophiques. Je pense que l’Inspection générale de l’Education nationale (Igen) devrait être interpelée pour pouvoir permettre les enseignants craie en main, c’est-à-dire ceux-là qui tiennent des classes, à participer à la proposition des sujets pour que, avant, les inspecteurs puissent choisir les épreuves dans la commission en tenant compte de certains critères.
Au vu de tous ces couacs, failles et autres difficultés rencontrés dans l’organisation du Bac 2019, que faire maintenant pour, au-delà de l’examen, avoir un système qui valorise et favorise l’excellence dans tout le pays ?
Si nous voulons avoir un système qui valorise et qui favorise l’excellence, nous devons, avec l’Etat, aller dans le sens de désengorger les lycées, les classes de terminale, de seconde et de première pour mettre les élèves dans les conditions idoines d’enseignements-apprentissages qui pourraient leur permettre de recevoir des enseignements-apprentissages de qualité. Les classes de 50 élèves, c’est déjà quelque chose d’extraordinaire. Mais aujourd’hui, on a des classes de plus de 60 élèves. Ce qui pose des problèmes dans l’encadrement. Une classe normale, telle que les classes sont construites, ne peut pas contenir plus de 20 tables bancs pour ne pas dire plus de 40 élèves. Si nous allons jusqu’à avoir des classes de 75 à 80 élèves, cela ne favorise évidemment pas l’excellence vu les conditions dans lesquelles étudient les élèves. Il y a aussi la question du recrutement des professeurs. Aujourd’hui avec les réductions d’horaires, les professeurs sont tenus de tenir plus de 5 classes avec tout le travail qu’il faut faire, préparer des fiches pédagogiques, aller en cellule, venir faire l’évaluation. Par rapport à cela, il faut que l’Etat mette en place une véritable politique de recrutement d’enseignants pour alléger le travail de ceux-là qui tiennent les classes d’examen. Les collègues sont plus que chargés. On fait même une diminution d’horaires. En français, l’élève doit faire 6 heures de cours par semaine. Mais, comme on n’a pas assez de classes et de professeurs, on diminue une heure de l’emploi du temps de l’élève qui ne fait que 5 heures. L’élève perd 40 heures dans l’année. Pareil en mathématiques.
En tant que syndicaliste, avez-vous posé le problème sur la table des négociations avec le gouvernement ?
Nous, du Syndicat autonome de l’Enseignement moyen et secondaire du Sénégal (Saemss), avons posé cette question sur la table du gouvernement. Mais est-ce que l’Etat a la volonté de faire de l’école sénégalaise une école de qualité ? En tous les cas, rien n’est clair dans sa politique. Mais une chose est sûre. L’Etat est tenu d’apporter des réformes profondes sur, non seulement les contenus des programmes, mais aussi recruter massivement des professeurs, des inspecteurs d’encadrement pour la formation continue, aller vers la construction des établissements moyens et secondaires pour désengorger les lycées et collèges et avoir des effectifs normaux qui favoriseraient l’excellence…