VIDEOCES FEMMES QUI BOUSCULENT L'ISLAM AU SÉNÉGAL
Dans un pays où tout débat sur les droits des femmes nécessite une caution religieuse, des prédicatrices émergent et revendiquent leur droit à interpréter les textes sacrés. Dr Selly Ba décrypte ce phénomène dans son dernier ouvrage

Dr Selly Ba, sociologue spécialiste du genre et de la religion à l'Ucad, était l'invitée de l'émission "BL" de Pape Alioune Sarr dimanche dernier pour présenter son ouvrage "La prédication féminine musulmane au Sénégal", publié aux éditions L'Harmattan Sénégal.
Selon la chercheuse, la prédication féminine au Sénégal a émergé dans les années 90 avec la libéralisation des médias. "C'est des hommes qui ont invité ces femmes à venir parler aux femmes", explique-t-elle, précisant que ces prédicatrices étaient initialement cantonnées à des "sujets typiquement féminins" dans un rôle moralisateur.
Dr Ba dénonce les interprétations masculines des textes religieux qui ont contribué à "diaboliser la femme" et renforcer le système patriarcal. "Les hommes ont interprété à partir de leurs lunettes culturelles étant dans une société patriarcale", souligne-t-elle, citant notamment les débats sur le péché originel et la création d'Ève.
L'étude révèle que les prédicatrices sénégalaises ont en moyenne 47 ans et sont majoritairement issues de familles à tradition religieuse. Cependant, 95% d'entre elles "reproduisent le discours masculin traditionnel sur les femmes", seules 5% adoptant un discours progressiste selon les recherches de Dr Ba.
La sociologue regrette l'absence au Sénégal d'un mouvement de féminisme islamique organisé, contrairement à d'autres pays. Ce courant, né en Iran dans les années 90, utilise les références religieuses pour promouvoir l'égalité des droits entre hommes et femmes.
L'invitée de BL plaide pour des discussions plus substantielles sur des sujets comme le code de la famille, l'héritage et les politiques publiques, déplorant le niveau "infantilisant" des débats religieux actuels. Elle met également en garde contre la "vedettarisation" de certaines prédicatrices dans l'espace numérique.
Bien que certains religieux contestent leur légitimité, ces femmes justifient leur présence dans l'espace public en se référant aux figures d'Aïcha et Khadija, considérées comme des modèles de femmes savantes et influentes dans l'histoire islamique.
La chercheuse conclut en appelant à une réappropriation féminine des textes religieux pour faire évoluer la condition des femmes dans un Sénégal où "pour faire adopter une loi sur les femmes à l'Assemblée nationale, il faut toujours cet argumentaire religieux".