VIDEOFÉMINICIDES AU SÉNÉGAL, UNE CRISE SOCIÉTALE PERSISTANTE
Selon la sociologue Selly Ba, les rapports de pouvoir inégalitaires entre hommes et femmes, renforcés par certaines dispositions du code de la famille, sont au cœur du problème. Un phénomène qui perdure faute d'actions préventives efficaces

En l'espace d'une semaine, le Sénégal a été frappé par plusieurs crimes d'une violence inouïe contre des femmes. Fatou Gueye, tuée par son époux maçon, et Marie-Louise Ndour, abattue par balle par son mari après une simple dispute conjugale dans la région de Fatick, ne sont que les derniers noms ajoutés à une liste macabre qui ne cesse de s'allonger.
La Dr Selly Ba, sociologue interrogée sur ces drames, souligne que le phénomène n'est pas nouveau. "Entre 2019 et 2022, on avait noté plusieurs cas, surtout en octobre 2022, qu'on a appelé non pas 'octobre rose' mais le mois d'octobre le plus sombre que le Sénégal ait connu, avec plus d'une dizaine de féminicides," rappelle-t-elle. Des cas emblématiques comme Binta Camara en 2019 ou Kumba Yade témoignent de la persistance du problème.
Les statistiques internationales sont alarmantes : au niveau mondial, une femme sur trois est battue à mort par son partenaire ou conjoint, et en Afrique, ce sont 140 femmes et filles qui sont tuées par leurs conjoints. Le Sénégal n'échappe malheureusement pas à cette tendance.
Des racines profondes dans un système inégalitaire
Selon Selly Ba, la cause principale réside dans "un système inégalitaire où les rapports de pouvoir sont déséquilibrés entre les hommes et les femmes. L'homme est au centre, la femme à la périphérie." Ce système patriarcal est même renforcé par les lois, notamment le code de la famille qui parle d'"autorité parentale" et de "puissance paternelle", confortant ces relations inégalitaires.
Bien qu'une loi condamnant les violences conjugales existe depuis 1999 – adoptée suite à un féminicide à Kaolack où un mari avait tué sa femme pour avoir refusé de préparer le déjeuner pendant le Ramadan – les dispositions juridiques restent insuffisantes sans un accompagnement adéquat.
Face à ces tragédies, le sociologue déplore l'absence de réactions des autorités et des leaders religieux : "Malheureusement, il n'y a pas de sorties des autorités, il n'y a pas de sortie des religieux. J'espère que le vendredi prochain, au niveau des prêches, on aura vraiment ce sujet."
Le schéma est toujours le même : des drames médiatisés, des manifestations d'organisations féminines, une indignation éphémère sur les réseaux sociaux, puis l'oubli jusqu'au prochain drame. "Ce n'est pas seulement une question de femmes et de féministes," insiste-t-elle, "toutes les forces de la nation doivent se mettre."
Des solutions multidimensionnelles nécessaires
Pour rompre ce cycle tragique, le Dr Selly Ba préconise une approche à plusieurs niveaux :
- Renforcer les sanctions : "Il faudrait sanctionner sévèrement tout simplement. Il faudrait que le droit soit effectif."
- Transformer les mentalités : Un travail de fond est nécessaire dans les familles, à l'école et dans les médias pour promouvoir l'égalité homme-femme dès le plus jeune âge.
- Adapter l'éducation : "Comment introduire aujourd'hui des curriculums dans les écoles ? Comment enseigner la question de l'égalité homme-femme, les questions de genre ?"
- Étudier les causes profondes : "On a besoin d'études pour savoir les mobiles profonds. Est-ce la drogue ? Est-ce juste un pouvoir masculin toxique ? Il nous faut des données pour bâtir des politiques de prévention."
La sociologue observe que la transformation de la société sénégalaise, passant de structures traditionnelles à des familles nucléaires plus modernes, s'effectue sans politiques publiques d'accompagnement. "Notre société change de manière extraordinaire, mais il n'y a pas de politique publique qui accompagne ces changements sur le plan mental, sur le plan psychologique."
La santé mentale, "parent pauvre des politiques de santé", devrait être placée au cœur des préoccupations pour construire "des citoyens équilibrés, responsables" et permettre une "société durable".
Alors que la constitution sénégalaise garantit l'égalité entre hommes et femmes, le défi reste de traduire ce principe dans la réalité quotidienne, en développant des actions concrètes et soutenues à tous les niveaux de la société.
Dans l'immédiat, les peines sévères peuvent servir de dissuasion, mais seul un changement profond des mentalités et des structures sociales pourra mettre fin à cette tragique réalité.