VIDEOLA MILITANTE QUI DÉFIAIT SENGHOR
Octobre 1975 : Eugénie Rokhaya AW est condamnée avec onze autres membres d'un parti clandestin pour avoir osé s'opposer au régime sengorien. Portrait d'une femme d'exception dont le combat politique a marqué l'histoire du Sénégal

Dans les méandres de l'histoire politique du Sénégal, certaines figures se détachent par leur courage et leur détermination. C'est le cas d'Eugénie Rokhaya AW, journaliste engagée dont le parcours exemplaire mérite d'être raconté.
Le 18 octobre 1975, sous le régime de Léopold Sédar Senghor, douze membres d'un parti clandestin appelé "And Jef" (unités dans l'action) sont condamnés par la cour de sûreté de l'État. Parmi eux, une femme se distingue par son charisme et ses convictions profondes : Eugénie Rokhaya AW. Le groupe est accusé d'avoir formé une opposition clandestine rassemblant plusieurs mouvements gauchistes et d'avoir diffusé un journal clandestin intitulé "Xarebi" (La lutte).
Dans la clandestinité, Eugénie utilisait divers pseudonymes comme « Era » pour protéger son identité. Avec ses camarades dont Marie Angélique Savané, elle dénonçait inlassablement la corruption, le népotisme et les pratiques douteuses dans l'administration sénégalaise. Son combat était celui d'une justice sociale et d'une gouvernance transparente.
Son arrestation révèle les revêtements du régime en place. Lorsque les autorités viennent la chercher, elle les prévient de son état de grossesse, mais cela n'y change rien. Malgré les interventions en sa faveur, elle restera incarcérée et fera malheureusement une fausse couche en prison. Cet épisode tragique illustre les conséquences personnelles de son engagement politique.
Tous ceux qui l'ont connu s'accordent à décrire une femme d'une "simplicité extraordinaire". Généreuse, serviable, accueillante et dotée d'une grande droiture, Eugénie était avant tout "une dame de cœur" qui pensait aux autres avant elle-même. Sa lutte était motivée par la volonté de voir ses concitoyens prendre conscience de leur oppression et s'en libérer.
Au-delà de son engagement politique, Eugénie Rokhaya AW était une intellectuelle complète : philosophe et passionnée d'art, elle a également marqué le journalisme sénégalais par son rôle de formatrice innovante au CESTI (Centre d'Études des Sciences et Techniques de l'Information). Son influence s'étend à de nombreux journalistes qu'elle a formés et inspirés.
Son histoire rappelle également, selon le journaliste Ass Mademba Ndiaye que la lutte pour la démocratie au Sénégal ne date pas d'hier. Selon ce dernier, lorsqu'on parle de prisonniers politiques, il faut se souvenir de figures comme Charles Gueye, qui a passé dix ans de sa vie en prison pour ses convictions politiques. Ces parcours rappellent que l'histoire politique du Sénégal ne commence ni en 2012, ni en 2024, mais s'inscrit dans une longue tradition de résistance.