VIDEOLE COMBAT ACADÉMIQUE ET SOCIAL DE FATOU SOW
La sociologue lève le voile sur un demi-siècle de luttes féministes en Afrique, révélant comment les intellectuels du continent ont dû se battre sur deux fronts : contre le patriarcat local et contre un féminisme occidental souvent déconnecté des réalités

Dans une récente conférence marquante sur l'histoire du féminisme au Sénégal et en Afrique, la Professeure Fatou Sow, sociologue de renom et figure emblématique du mouvement féministe africain, a retracé les luttes et les évolutions de ce courant souvent mal compris sur le continent.
"Être féministe, c'était être occidentalisée", rappelle Professeure Sow, évoquant les préjugés des années 1970. C'est dans ce contexte que naît en 1977 l'Association des Femmes Africaines pour la Recherche et le Développement (AFARD), un moment fondateur permettant aux Africaines de s'approprier le discours sur leur condition et de développer une pensée autonome.
La sociologue révèle comment les intellectuelles africaines ont dû s'émanciper d'un féminisme occidental perçu comme "arrogant" et "déconnecté des réalités africaines", tout en luttant contre le patriarcat local. "Le féminisme en Afrique n'est ni une simple copie ni un rejet d'un féminisme occidental. C'est une création qui prolonge et renouvelle des pensées liées à des contextes et des histoires spécifiques", explique-t-elle.
L'universitaire témoigne des résistances acharnées qu'elle a rencontrées pour intégrer les études féministes dans le milieu académique sénégalais. Ses tentatives de création d'un programme d'études sur les femmes à l'Université de Dakar dans les années 1980-90 se sont systématiquement heurtées à des refus ou à des silences administratifs.
"J'ai totalement échoué à institutionnaliser le féminisme et le genre, et ça je le confesse, mais ça a peut-être été ma force parce qu'après je n'ai plus eu qu'à m'asseoir et prouver que ça pouvait exister", confie-t-elle avec lucidité.
La conférence met en lumière les débats qui ont traversé le féminisme africain, notamment la controverse sur l'existence d'un matriarcat africain précolonial et la question des origines de l'oppression des femmes. Certaines intellectuelles attribuent cette oppression uniquement à la colonisation et aux religions importées, position que nuance Professeure Sow.
La chercheuse évoque également le concept de "glocalisation" qui caractérise le féminisme africain contemporain : une interconnexion entre perspectives globales et réalités locales, permettant aux Africaines de participer au dialogue féministe mondial tout en défendant leurs spécificités.
Selon Fatou Sow, le féminisme africain fait face aujourd'hui à plusieurs défis majeurs : l'émergence d'un "féminisme d'État" institutionnalisé mais vidé de sa dimension critique, le retour de pratiques comme la polygamie même chez les jeunes générations éduquées, et la prolifération de discours misogynes sur les réseaux sociaux.
"Les progrès que nous faisons se transmettent de génération en génération. Il faut se battre pour que la génération qui suit ne rejette pas notre passé ou ne fasse pas revenir des valeurs pour lesquelles on s'était tellement battu", alerte-t-elle.
Malgré ces obstacles, la sociologue conclut sur une note d'espoir : "Le féminisme est là, il ne va pas mourir." Une conviction portée par une vie de combat intellectuel et qui résonne comme un appel à poursuivre la déconstruction des "valeurs ancestrales" qui perpétuent l'oppression des femmes sur le continent africain.