LE SÉNÉGAL, UNE SOCIÉTÉ HIÉRARCHISÉE
Fatou Sow dénonce le recul de la représentation des femmes au sein du nouveau gouvernement et pointe du doigt un système patriarcal toujours aussi puissant et l'influence du pouvoir religieux, malgré les lois

(SenePlus) - La sociologue sénégalaise de 84 ans, militante féministe reconnue pour ses travaux sur les droits des femmes en Afrique, dresse un constat alarmant sur l'état de la parité au Sénégal, dans un entretien accordé au journal Le Monde. Malgré une loi instaurant la « parité absolue » entre les sexes dans toutes les institutions électives, la représentation des femmes au sein des instances décisionnelles recule sous le nouveau gouvernement de Bassirou Diomaye Faye et d'Ousmane Sonko.
Honorée le 15 mai dernier à Dakar lors d'un symposium sur la « démocratie au féminin », Fatou Sow, ancienne enseignante-chercheuse à l'université Paris-Diderot et à l'université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, déplore le manque de volonté politique du nouveau gouvernement sénégalais en matière de parité. Malgré les promesses de changement, le gouvernement d'Ousmane Sonko ne compte que quatre femmes, soit 13% des ministres.
« Alors qu'on avait gagné quelques batailles, on constate que tout recule. Qui aurait pu imaginer qu'avec des dirigeants aussi jeunes, nous aurions aussi peu de femmes au gouvernement ? », s'interroge la sociologue dans les colonnes du quotidien français.
Ce recul est d'autant plus paradoxal que la loi sur la parité, votée sous la présidence d'Abdoulaye Wade (2000-2012), avait permis d'atteindre 44% de femmes élues au Parlement en 2022. Ce chiffre est tombé à 40% lors des dernières législatives de novembre 2024, selon les informations rapportées par Le Monde.
Un système patriarcal ancré dans la société
Pour Fatou Sow, l'explication est claire : « C'est une question de volonté politique. Aujourd'hui, sous la pression de cette loi sur la parité, il est difficile pour le pouvoir de ne pas nommer de femmes. Alors on saupoudre le gouvernement et les institutions publiques de quelques femmes, mais le gros du pouvoir revient toujours aux hommes. »
La sociologue pointe du doigt un « système patriarcal très fort, très marqué par les religions musulmane et chrétienne » qui maintient les femmes à l'écart des sphères de décision. Ce constat est d'autant plus frappant que, dans les domaines techniques comme la médecine, l'ingénierie et même l'armée, les femmes occupent de plus en plus de postes à responsabilité « non pas à la faveur d'une loi sur la parité, mais parce qu'elles ont des compétences », souligne-t-elle.
L'interview aborde également la polygamie, pratique ouvertement assumée par les nouveaux dirigeants sénégalais. Pour Fatou Sow, ce phénomène reflète une évolution paradoxale de la société sénégalaise.
« Beaucoup d'hommes avec un niveau d'études poussées et qui occupent aujourd'hui des postes clés à l'université, en politique ou dans les milieux économiques, se revendiquent polygames, alors que l'on penserait que ce n'est pas un modèle pour eux étant donné qu'il était perçu comme rétrograde par les premières élites du pays post-indépendance », observe-t-elle.
Si la polygamie est acceptée par une grande partie de la population, c'est aussi parce que « les femmes sénégalaises veulent être mariées, parce que le mariage donne un statut social», explique la sociologue. Néanmoins, elle précise que « l'approbation des femmes ne traduit pas pour autant une société paritaire. La société sénégalaise reste une société hiérarchisée par sexe, par âge, par caste, par ethnie. »
Des pratiques traditionnelles persistantes
Malgré les avancées législatives, certaines pratiques traditionnelles néfastes perdurent au Sénégal. Évoquant l'excision et d'autres formes de violences basées sur le genre, Fatou Sow affirme que « ces pratiques existent toujours en 2025 et engendrent encore beaucoup de souffrance pour le corps des femmes. »
Elle déplore l'inefficacité de la loi de 1999 contre les violences basées sur le genre, estimant que « si ces pratiques existent toujours, c'est parce qu'il n'y a pas la volonté politique de les faire cesser face à un pouvoir religieux qui les soutient. »
La sociologue rejette fermement les critiques qui présentent le féminisme comme un produit occidental incompatible avec les « valeurs africaines ». « C'est insultant d'entendre les hommes africains dire des féministes africaines qu'elles copient les Occidentales, tandis qu'eux peuvent parler de Marx et Bourdieu sans que personne ne leur reproche d'être occidentalisés », dénonce-t-elle.
Pour Fatou Sow, le féminisme n'est pas une importation occidentale mais « une lutte multiforme des femmes contre l'oppression ». Elle souligne que les droits défendus par les féministes africaines sont aujourd'hui menacés par une offensive conservatrice mondiale.
« Il faut se souvenir de la loi votée par l'administration de Ronald Reagan en 1984, la Global Gag Rule », rappelle-t-elle, faisant référence à cette législation qui a interdit aux ONG étrangères de recevoir des fonds du gouvernement américain si elles travaillaient sur les questions d'avortement. Selon elle, cette offensive continue aujourd'hui avec le retour au pouvoir de Donald Trump, à travers « le démantèlement de l'Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid) et son retrait de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ».
Sa conclusion est sans appel : « Aujourd'hui, je dirais que les droits défendus par les féministes africaines sont aussi menacés que ceux des Américaines. »