LES COMBATS DU FÉMINISME À DAKAR
Du "patriarcat administratif" à l'exploitation des serveuses camerounaises, en passant par la recherche sur l'avortement au Sénégal : le symposium en hommage à Fatou Sow dresse une cartographie des fronts multiples de la bataille pour l'égalité des genres

Le Symposium international "La démocratie au féminin" qui se tient du 13 au 17 mai à Dakar en hommage à Fatou Sow offre un panorama saisissant des recherches féministes contemporaines en Afrique. Cette rencontre a mis en lumière la diversité des approches et des thématiques explorées par une nouvelle génération de chercheurs, tout en célébrant l'héritage intellectuel de cette pionnière sénégalaise.
La question du "patriarcat administratif" a constitué un axe majeur du symposium. Mam Penda Ba, directrice de LASPAD, a développé cette notion en s'appuyant sur les travaux précurseurs de Fatou Sow datant de 1972. "Les administrations sont un enjeu crucial pour le féminisme en Afrique car elles constituent un levier essentiel pour transformer les structures de pouvoir," a-t-elle affirmé, appelant à une refondation écoféministe des institutions africaines qui intégrerait les concepts de "bien vivre", de "soin" et de "convivialité".
Cette analyse institutionnelle a trouvé un écho dans la présentation de Da Toucan sur les masculinités sénégalaises. Sa recherche doctorale examine comment les sphères politique et religieuse perpétuent certaines formes de domination masculine, notamment à travers le traitement médiatique des affaires de violences sexuelles. "Les médias mainstream constituent aussi un lieu de renforcement de cette domination," a-t-elle souligné.
Plusieurs interventions ont abordé la question du corps féminin comme lieu de pouvoir et de résistance dans le cadre de l'atelier baptisé "Corps et Sexualités". Gannty Ouangmotching a présenté une étude pionnière sur les rapports de dépendance des serveuses de bar au Cameroun vis-à-vis de leur clientèle masculine. "Ces femmes naviguent dans des dynamiques complexes de genre, de pouvoir et de nécessité économique," a-t-elle expliqué, révélant comment ces espaces de sociabilité urbaine deviennent des microcosmes où se jouent des rapports de domination.
Georges Rouamba a exploré la beauté comme enjeu d'émancipation chez les jeunes étudiantes à Ouagadougou, dévoilant des pratiques parfois extrêmes comme des grossesses volontairement interrompues pour obtenir une poitrine plus forte. Sa recherche met en lumière "les inégalités sociales qui traversent les jeunes filles dans la quête de la beauté" et les violences qui sanctionnent celles dont l'apparence est jugée transgressive.
Santé reproductive et enjeux méthodologiques
La question de l'avortement a occupé une place importante dans les débats. Seinabou Sakho a présenté les défis méthodologiques rencontrés en tant que jeune chercheuse travaillant sur cette question au Sénégal. Elle a pointé les contradictions politiques d'un État qui a ratifié le protocole de Maputo tout en maintenant l'interdiction de l'avortement, et qui autorise la prise en charge des complications post-avortement tout en criminalisant la pratique.
Cette présentation a suscité de riches échanges sur la dimension endogène des pratiques d'avortement en Afrique et sur l'importance d'une approche réflexive dans la recherche. Comme l'a rappelé un participant, "nos sociétés ont longtemps pratiqué l'avortement bien avant la médecine moderne" - une réalité souvent occultée dans les débats contemporains.
Au-delà des analyses critiques, ce dare d'échange a été l'occasion d'explorer de nouvelles pistes pour l'avenir. L'appel de Mam Penda Ba à "de nouveaux imaginaires administratifs" a particulièrement résonné, invitant à repenser fondamentalement les institutions héritées de la colonisation. "Les administrations entrent dans l'âge numérique", a-t-elle alerté, soulignant l'urgence de questionner comment les inégalités pourraient se reproduire dans le monde digital.
La réflexion sur l'administration écoféministe proposée en clôture du symposium ouvre des perspectives novatrices pour transformer la démocratie africaine. Cette vision, qui allie savoirs féministes, approches décoloniales et préoccupations environnementales, témoigne de la vitalité intellectuelle du féminisme africain contemporain.
Ce début de symposium, rythmé par des intermèdes musicaux célébrant l'Afrique et la liberté, n'a pas seulement rendu hommage à Fatou Sow, mais a également démontré comment son héritage continue d'inspirer une nouvelle génération de chercheurs et de militants engagés pour repenser les rapports de pouvoir et construire des sociétés plus justes.