GAZA À TRAVERS L’OBJECTIF DE FATMA HASSONA
Cette jeune Gazaouie de 25 ans incarnait l'espoir d'une génération privée de liberté de mouvement mais connectée au monde. Sa mort tragique, avec dix membres de sa famille, illustre le destin de milliers de Palestiniens pris au piège d'un conflit sans fin

Ici, aux pentes des collines, face au crépuscule
Et au canon du temps
Près des jardins aux ombres brisés
Nous faisons ce que font les prisonniers,
Ce que font les chômeurs :
Nous cultivons l’espoir
Mahmoud Darwich, Etat de siège,
Actes Sud, 2004.
Aussi loin que je me souvienne, la géopolitique du Proche-Orient m’a toujours intéressé, notamment ce qui se déroule en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, avec l’occupation israélienne. J’ai lu des articles de presse, des livres, et regardé des émissions, des documentaires et des films qui documentent et retracent la guerre asymétrique depuis 1948, date à laquelle David Ben Gourion, ancien Premier ministre, a proclamé l’État d’Israël. Je ne cesse d’assouvir mon intérêt pour cette partie du monde globalisé, où des vies s’effacent, s’éteignent, sans que cela ne touche grand monde, sans que le droit international ne soit respecté.
La déshumanisation assumée des Palestiniens par le gouvernement d’extrême-droite et fasciste de Benjamin Netanyahou s’inscrit dans une longue histoire. Cette histoire de la condition palestinienne, que ce soit en Cisjordanie ou à Gaza, est documentée et racontée tous les jours par des héros et des héroïnes qui n’ont jamais quitté leur territoire, mais sont connectés au reste du monde à travers leurs smartphones et leurs appareils photo. Parmi ces gens dont le courage et la persévérance nous renversent figure une héroïne remarquable : Fatma Hassona. J’ai découvert son magnifique travail à travers le réseau social Instagram.
Qui était Fatma Hassona ?
Elle s’appelait Fatma Hassona et avait 25 ans. En un mot, Fatma était à l’automne de sa vie. Elle vivait dans le petit territoire de Gaza avec sa famille depuis sa naissance. Elle n’avait jamais quitté Gaza. Son imaginaire et sa vision du monde ont pour source Gaza. Le 16 avril 2025, Fatma, ainsi que dix membres de sa famille, ont été tués par l’armée israélienne – Tsahal. Parmi les victimes de cette tragédie familiale figurait sa grande sœur, enceinte de cinq mois.
Photographe incroyable et journaliste de talent, Fatma documentait, à travers son objectif, le terrible quotidien des Gazaouis : la violence qui décimait des vies. Quelques jours avant sa mort, Fatma disait à la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi, avec qui elle collaborait sur le documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk, qui sortira en salle le 24 septembre, ces mots bouleversants : « Ma caméra est une arme. »
Cette phrase, simple en apparence, est chargée de vérité. Car, contrairement aux occupants qui effacent et déshumanisent des vies avec des armes à feu, Fatma possédait une arme qui montrait une ville détruite, des lieux de vie complètement dévastés, des enfants, des femmes, des hommes errant dans les rues, écrasés par la faim, la détresse, portant sur leurs frêles épaules leurs morts retirés sous les bombes.
Fatma a vu la guerre pour la première fois à l’âge de neuf ans, l’âge de la candeur et de l’innocence, cet âge que tout enfant a le droit de vivre, quelles que soient ses origines, sa langue. Mais la vie de cette lumière nous révèle une vérité implacable : les inégalités naissent dès l’enfance.
Fatma, la Gazaouie sensible aux vents du bonheur
Certes, Fatma a vécu dans un territoire sous blocus. Mais elle avait des rêves, des projets. Fatma voulait intégrer une école de photographie en dehors de Gaza. Elle portait ce projet à cœur. Fatma n’avait pas seulement ce projet : elle voulait faire des films qui racontent le quotidien tumultueux des jeunes et des femmes à Gaza, privés de toute forme de grâce, ce mot qui est peut-être le sens de la vie. Elle en avait d’autres, comme beaucoup de filles de son âge et de son époque.
Elle voulait visiter Rome, la Ville éternelle, la ville où repose l’artisan de la paix, celui qui n’a jamais cessé de dénoncer le génocide en cours à Gaza : le pape François.
Tisseuse d’avenir et jeteuse de ponts, Fatma était ouverte aux étreintes du monde libre. Elle rêvait de Téhéran, de Paris, du Caire, peut-être même de Dakar, la capitale sénégalaise qui avait accueilli dans ses bras câlins le président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, lequel, par ricochet, avait obtenu un passeport diplomatique sénégalais accordé par l’illustre président Léopold Sédar Senghor.
Fatma, une lumière intemporelle
La belle âme — Fatma Hassona est partie se reposer, loin de la violence des fascistes, comme des milliers de Gazaouis, en un mot, de Palestiniens. Mais sa lutte ne sera pas vaine. Tôt ou tard, un vent nouveau soufflera à Gaza et, comme l’appelle de ses vœux le philosophe Souleymane Bachir Diagne, dans la passionnante émission L’heure bleue sur France Inter : « l’humanité vaincra. » Que le courage de Fatma Hassona, son sourire bouleversant, ses beaux poèmes et ses clichés nous accompagnent et nous habitent.
Post-scriptum : Le 25 septembre 2024, Fatma Hassona avait posté de sublimes photos sur sa page Instagram, le tout accompagné d’un magnifique texte sur la mer.
« Ainsi, la mer me donne sa vue sur l'immensité, un concept que je n'ai connu qu'à travers elle : l'immensité, la guérison qui se trouve dans le vide, l'extension du moment dans le lieu, et mes doigts, dont seront sauvées les traces de la route.
Si je devais être quelque chose comme la nature, après avoir été un arbre, je serais la mer : vaste, franche dans le calme comme dans les cris, chaleureuse, bien que peu attirante, étendue, renouvelée, et sachant écouter. Ainsi, la mer me tend sa feuille blanche pour que je lui ressemble, tandis que le ciel bénit cette alliance, et que la ville se moque encore de nous : ses bras nous sont ouverts, à travers toutes les rues et dans toutes les directions.
C'est ainsi que la mer me donne sa vue sur l'immensité, un concept que je n'ai connu que par elle, l'immensité, la guérison inhérente au vide, l'extension du moment dans le lieu, et mes doigts, dont seront préservées les traces de la route.
C'est ainsi que la mer me tend sa feuille blanche pour que je lui ressemble, tandis que le ciel bénit cette alliance, et que la ville rit pour nous à nouveau, nous ouvrant ses bras à travers toutes les rues et dans toutes les directions.