IBRAHIM TRAORÉ, LE SUPER-HÉROS ARTIFICIEL DU BURKINA FASO
Beyoncé chante ses louanges, le pape l'adulerait et il démasquerait des espionnes françaises. Bienvenue dans le monde parallèle créé par le putschiste burkinabè qui manipule l'intelligence artificielle pour façonner son image d'icône panafricaine

(SenePlus) - Dans un portrait saisissant publié le 16 mai 2025, le quotidien français Libération dresse le tableau inquiétant d'un jeune dirigeant africain qui utilise massivement l'intelligence artificielle pour construire son culte de la personnalité, tandis que son pays s'enfonce dans le chaos. Ibrahim Traoré, 37 ans, arrivé au pouvoir au Burkina Faso par un coup d'État en septembre 2022, se présente comme un héros panafricain admiré mondialement, mais la réalité est bien différente.
« Arrivé au pouvoir en septembre 2022 par un coup d'État – le second en moins de deux ans – le capitaine Ibrahim Traoré aurait pu gravir les marches du Festival de Cannes. La vie de l'homme fort du Burkina Faso, le plus jeune dirigeant de la planète, âgé de 37 ans, ressemble en effet de plus en plus à un film », note la journaliste Maria Malagardis dans son analyse pour Libération.
Le texte révèle l'ampleur stupéfiante de la manipulation numérique orchestrée par le régime burkinbè. Des vidéos générées par intelligence artificielle montrent de prétendues célébrités internationales louant les mérites du dirigeant burkinabé. « Beyoncé serait ainsi une fan absolue de ce capitaine putschiste qui, après avoir suspendu les partis politiques au lendemain de son coup d'État, règne d'une main de fer sur ce petit pays sahélien », rapporte Libération, citant des paroles attribuées à la star américaine : « Ibrahim, Ibrahim, le feu est dans ton âme, tu n'as jamais échoué ».
D'autres personnalités comme Justin Bieber apparaissent dans des clips falsifiés, générant des centaines de milliers de vues sur YouTube. Plus récemment, une campagne de désinformation prétendait même que le nouveau pape Léon XIV aurait rendu « un vibrant hommage au capitaine Traoré » lors de son premier discours.
Selon Libération, cette offensive médiatique atteint une ampleur rarement observée. Le journal cite le compte Cap'Ivoire Info, spécialiste de l'actualité médiatique régionale, qui affirme que « des centaines de vidéos générées par l'IA glorifiant le capitaine Ibrahim Traoré [...] circulent massivement sur les réseaux sociaux à travers l'Afrique ». Le Nigeria et le Kenya seraient particulièrement actifs dans la production de ces « récits souvent absurdes » à la gloire du dirigeant.
L'espionne française qui n'existait pas
L'article de Libération met également en lumière l'instrumentalisation de l'anti-impérialisme par le régime. Cette semaine, les autorités burkinabé auraient prétendu démasquer « une espionne française qui, sous couvert de travailler pour une ONG humanitaire, aurait en réalité tenté de cartographier les installations militaires du pays ».
Sur TikTok, une vidéo visionnée plus de deux millions de fois accusait une certaine Claire Dubois, décrite comme « une blonde à peine trentenaire » dirigeant une ONG nommée « Hope Forward », d'espionnage. Le montage prétendait que Traoré lui-même l'aurait confrontée lors d'une conférence à Ouagadougou, la faisant « s'effondrer en sanglots, sous le regard impassible du maître du pays ».
« Le problème, c'est que Claire Dubois tout comme cette prétendue ONG ne sont répertoriées nulle part », précise Libération, ajoutant que « la scène de sa prétendue confrontation avec le chef de la junte au pouvoir au Burkina n'a pas été filmée ».
Cette intense campagne de propagande numérique semble viser à masquer la réalité d'un pays qui sombre dans la violence. Libération rappelle que le régime de Traoré, « devenu de plus en plus dictatorial », multiplie « les arrestations et les enlèvements de toute voix critique » tout en se montrant « bien incapable en revanche de juguler les groupes jihadistes qui infligent de retentissantes défaites aux forces armées ».
Le journal évoque notamment une attaque récente dans l'est du Burkina Faso, où « les jihadistes prennent d'assaut un camp militaire et font au moins 63 morts ». Face à cette situation désastreuse, le capitaine Traoré semble privilégier la construction d'une réalité alternative où il apparaît comme un rempart contre l'impérialisme occidental.
« Le super-héros virtuel tente-t-il ainsi de masquer ces échecs ? C'est d'autant plus probable que Traoré alimente également une paranoïa, tout aussi fictive, contre les puissances étrangères soupçonnées de vouloir saboter son projet anti impérialiste », analyse Libération.
Le portrait publié par Libération mentionne également « l'indéfectible allié russe d'un régime devenu de plus en plus dictatorial ». En effet, depuis son arrivée au pouvoir, Ibrahim Traoré s'est rapproché de Moscou, rompant avec les partenaires traditionnels du Burkina Faso, notamment la France.
Cette relation privilégiée avec la Russie s'inscrit dans un contexte régional où plusieurs régimes militaires du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso) ont opéré un basculement géopolitique similaire. L'influence russe pourrait également se manifester dans les techniques de désinformation massive employées par le régime burkinabè.
Finalement, Libération conclut son portrait en décrivant un pays qui « s'enfonce chaque jour un peu plus dans l'insécurité », avec « un régime autoritaire qui semble se réfugier dans le virtuel pour échapper à la réalité ». Un constat alarmant qui illustre comment les nouvelles technologies peuvent être détournées au service d'un pouvoir autoritaire pour créer une réalité parallèle, tandis que la situation concrète des populations se dégrade.