POUR STEVE BANNON, LA RÉVOLUTION MAGA NE FAIT QUE COMMENCER
Universités, cabinets d'avocats, médias : toutes les élites sont dans le collimateur de l'administration Trump, selon ce stratège de sa première campagne. Il dévoile la mécanique implacable d'une conquête du pouvoir minutieusement planifiée

(SenePlus) - Dans un entretien accordé au Monde, Steve Bannon, stratège de la première campagne de Donald Trump et figure influente de l'extrême droite américaine, livre une analyse sans filtre des cent premiers jours du second mandat présidentiel. S'exprimant depuis son studio d'enregistrement aménagé dans le sous-sol de sa résidence washingtonienne, l'ancien conseiller présidentiel affirme que la stratégie actuelle de l'administration Trump est incomparablement plus efficace que lors du premier mandat.
"C'était providentiel que nous ayons gagné en 2016. Une victoire surprise, sans organisation", confie Bannon au quotidien français. Selon lui, la défaite de 2020 - qu'il persiste à qualifier d'"élection volée" - aurait même été bénéfique : "C'était la divine providence. Nous avions besoin de ces quatre années. Quatre ans consacrés à penser et planifier tout ce qui se fait actuellement, chaque jour."
Le mouvement MAGA (Make America Great Again) a profité de cette période pour conquérir méthodiquement le Parti républicain et préparer l'arrivée d'une nouvelle génération de fidèles. "La clé du mouvement MAGA, c'est que des gens du peuple ont pris des responsabilités [au sein du Parti républicain] et sont passés à l'action", explique-t-il au Monde.
L'ancien stratège détaille la préparation minutieuse du "spoils system" - cette pratique consistant à placer des fidèles aux postes clés de l'administration. "L'État compte 2 millions à 2,5 millions d'agents. Mais vous n'en avez que 4 000 qui comptent", précise-t-il. Parmi ces postes stratégiques, "mille sont des nominations confirmées par le Sénat, membres du gouvernement, directeurs d'agences, procureurs fédéraux et juges. Trois mille peuvent être recrutés dès le premier jour."
Ces nominations massives expliquent, selon lui, la rapidité d'action de l'administration actuelle : "Il y en a déjà 2 200 à 2 300 aux postes de pouvoir. Voilà pourquoi c'est extraordinairement plus rapide que la dernière fois."
Bannon expose sans détour la stratégie trumpiste pour paralyser les opposants : "Ces cent premiers jours, c'est action, action, action ! Nous submergeons l'opposition." Il évoque ainsi la technique du "flood the zone" (stratégie de la submersion) avec "10 ou 12 décrets présidentiels signés par jour".
Cette offensive généralisée vise également les contre-pouvoirs traditionnels. "Le pouvoir aux États-Unis est institutionnel. Nous voulons rendre cette révolution permanente, nous emparer des institutions", affirme-t-il sans ambages, justifiant les bras de fer engagés avec la Cour suprême sur des questions comme le droit du sol.
Le stratège se félicite de la pression exercée sur les élites intellectuelles et juridiques : "Nous avons écrasé les cabinets d'avocats. Ils sont le tissu de muscles, les tendons qui relient le Capitole, Wall Street et la classe politique", dit-il après la capitulation du cabinet new-yorkais Paul Weiss face à la Maison Blanche.
Concernant les universités menacées de perdre leurs financements fédéraux, il préconise des mesures radicales : "Il faut purger les professeurs", affirme ce titulaire d'un MBA de Harvard, ciblant particulièrement "les 200 professeurs progressistes les plus dangereux, non pas seulement pour antisémitisme, mais pour leur néomarxisme."
Malgré son rôle crucial dans la campagne, Elon Musk est sévèrement jugé par Bannon : "C'est un homme vaincu. Il va partir dans quelques semaines, sans aucun impact durable." Tout en reconnaissant son soutien financier déterminant (250 millions de dollars en cinq mois) pour élargir l'électorat MAGA, il critique ses promesses économiques : "Elon Musk a promis de dégager 2 000 milliards de dollars par an. [...] C'était un conte pour enfants, clairement absurde."
Bannon fait partie des rares soutiens de Trump à affirmer publiquement qu'il briguerait un troisième mandat, malgré l'interdiction constitutionnelle : "Inutile de changer la Constitution, ne perdons pas une seconde à le faire", dit-il, assurant avoir "les avocats les plus brillants du pays" pour contourner cette limitation.
Il compare Trump aux grandes figures historiques américaines : "Nous avons eu le général Washington pour la naissance de la nation, Lincoln pour la renaissance de la nation, Trump pour la régénération de la nation."
Cette vision quasi-mystique du leadership trumpiste repose, selon Bannon, sur un "lien viscéral" avec les électeurs : "Le président Trump se connecte aux gens au niveau émotionnel. C'est ce qui fait les grands leaders. Et c'est la plus grande menace pour le système."