UNE FRACTURE MONDIALE AUTOUR D'UN CONFLIT INTERMINABLE
La tragédie palestinienne, hier scandale universel, glisse lentement dans les pages intérieures, noyée entre une réforme fiscale et un fait divers sordide. À force de répétition, l'horreur s'est banalisée

Le conflit entre Israël et le Hamas ravive de profondes lignes de fracture au sein de la communauté internationale. D'un côté, une majorité de pays occidentaux affiche un soutien assumé au droit d'Israël à se défendre face aux attaques venues de Gaza. Washington, Londres, Paris ou Berlin insistent toutefois sur la nécessité de limiter les pertes civiles, appelant à une « retenue proportionnée » dans les opérations militaires.
En face, le Sud global – Afrique, monde arabe, Amérique latine – dénonce massivement ce qu'il considère comme un usage disproportionné et aveugle de la force par l'armée israélienne. À travers déclarations officielles, votes à l'ONU et manifestations populaires, ces pays pointent une impunité persistante, voire une complicité occidentale face aux souffrances infligées aux civils palestiniens.
Dans ce climat polarisé, les organisations humanitaires et les agences des Nations unies multiplient les alertes. Elles évoquent les violations du droit international humanitaire et soupçonnent des crimes de guerre, tant du côté des tirs aveugles du Hamas que des bombardements indiscriminés d'Israël sur des zones densément peuplées. Plus qu'un conflit localisé, Gaza devient ainsi le théâtre d'un affrontement géopolitique global où les récits, les indignations et les silences révèlent une lecture profondément divergente du droit, de la justice et de la guerre.
Trump relance la diplomatie nucléaire et régionale
En visite officielle à Riyad, (13-14 mai 2025), le président américain Donald Trump a tenté une nouvelle percée diplomatique au Moyen-Orient. Il a proposé à l'Iran une levée partielle des sanctions économiques en échange d'un gel de certaines activités nucléaires. Mais Téhéran a sèchement rejeté l'offre, dénonçant un chantage sous pression et affirmant qu'aucun dialogue ne saurait s'ouvrir dans de telles conditions. Trump a toutefois prévenu que « la fenêtre de négociation ne restera pas ouverte indéfiniment », accentuant la tension entre Washington et la République islamique.
Dans un geste plus inattendu, le président américain a annoncé la levée des sanctions contre la Syrie, marquant une inflexion majeure de la politique américaine. Lors d'une rencontre avec le président syrien Ahmed al-Sharaa, Trump a encouragé Damas à normaliser ses relations avec Israël et à rejoindre les Accords d'Abraham, ces pactes de reconnaissance mutuelle entre l'État hébreu et plusieurs pays arabes. Une perspective qui reste toutefois hautement sensible dans une région encore marquée par les séquelles de la guerre civile syrienne.
De son côté, l'Arabie saoudite continue de jouer sur plusieurs tableaux. Si le royaume a signé un accord de défense tripartite avec les États-Unis et Israël, axé sur le renforcement militaire face à l'influence iranienne, il maintient fermement sa position sur la cause palestinienne. Riyad refuse toute normalisation avec Israël sans la création préalable d'un État palestinien indépendant aux frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale. Le royaume a également rejeté toute tentative de déplacement forcé des habitants de Gaza.
Dans ce jeu d'équilibres diplomatiques mouvants, la Syrie entrevoit une opportunité de reconstruction et de retour sur la scène régionale. Tandis que l'Arabie saoudite tente de concilier alliances stratégiques et fidélité à la cause palestinienne, les États-Unis cherchent à reconfigurer les rapports de force, quitte à bousculer les lignes rouges traditionnelles du monde arabe.
Palestine : l'indifférence comme arme silencieuse
Des corps sous les gravats, des enfants blessés sur des brancards, des immeubles pulvérisés par des bombes guidées... Et pourtant, pendant longtemps, plus rien ne semblait ébranler l'opinion. La tragédie palestinienne, hier scandale universel, glisse lentement dans les pages intérieures, noyée entre une réforme fiscale et un fait divers sordide. À force de répétition, l'horreur s'est banalisée. L'émotion s'est émoussée. La Palestine, lentement, est devenu un bruit de fond.
Ce processus n'est pas seulement médiatique ; il est politique. À chaque nouvelle offensive, les mêmes éléments de langage ressurgissent : « riposte », « bouclier humain », « lutte contre le terrorisme ». Les chiffres montent, les morts s'additionnent, mais l'indignation ne suit plus. La mécanique est rodée : condamnations molles, diplomatie prudente, puis silence. Jusqu'à la prochaine salve.
La banalisation tue à petit feu. Elle transforme l'inacceptable en décor de guerre permanent. Le siège de Gaza, les colonies illégales, les arrestations arbitraires d'enfants, les destructions de maisons... Tout cela devient routine, fond d'écran d'un conflit que l'on ne regarde plus vraiment. Même les drames les plus intolérables — des hôpitaux ciblés, — peinent à provoquer autre chose qu'un défilement distrait sur les réseaux sociaux.
Cette fatigue de l'empathie est aussi une victoire stratégique. À défaut de convaincre, on épuise. On noie la cause dans la complexité, on brouille les responsabilités, on lasse le monde. Ainsi, l'apartheid contemporain peut s'installer sous nos yeux, sans fracas. L'indifférence devient complice. Elle dépolitise, désarme, désespère.
Or, une cause cesse d'exister politiquement le jour où elle ne suscite plus de réaction morale. Le danger est là : que la Palestine devienne une habitude tragique, une souffrance tolérée, une injustice intégrée. Et que dans ce vacarme global, son silence devienne plus assourdissant que les bombes.
Gaza : une plage sur des ruines
Donald Trump, qui n'est jamais avare en déclarations fracassantes, avait franchi une fois de plus, un cap dans l'indécence diplomatique. Dans un entretien surréaliste, le 4 février 2025, lors d'une conférence de presse conjointe avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Trump a proposé que les États-Unis prennent le contrôle de Gaza, déplacent sa population palestinienne vers des pays voisins comme l'Égypte ou la Jordanie, et reconstruisent le territoire pour en faire la « Riviera du Moyen-Orient », comme si Gaza était un terrain vierge, sans passé, sans douleur, sans morts.
À croire que les 2,3 millions de Gazaouis qui survivent sous les bombes, les décombres et un blocus implacable, ne sont pour lui qu'un obstacle au potentiel immobilier. Et que les dizaines de milliers de morts, les enfants mutilés, les quartiers rasés ne valent qu'un détour sur Photoshop pour les convertir en palmiers et hôtels cinq étoiles.
Cette proposition grotesque, à mi-chemin entre le cynisme d'un promoteur en mal de buzz et l'ignorance stratégique d'un démagogue, révèle une méconnaissance crasse du conflit israélo-palestinien. Elle efface les Palestiniens du paysage, comme si leur seule utilité était de céder la place au tourisme de luxe. Un projet de « paix » bétonnée, avec vue sur mer et surveillance aérienne.
La sortie de Trump a amusé ses partisans, scandalisé les autres, mais surtout, elle illustre l'abîme entre les fantasmes de certains dirigeants et la réalité tragique des peuples. Gaza n'a pas besoin de plages artificielles, mais de justice, de droits, et d'un cessez-le-feu. La paix ne se construit pas sur le sable, encore moins sur les cendres.
Des critiques de plus en plus fortes se multiplient
En Israël, l'opposition dénonce un échec du renseignement, un désastre politique et une dérive autoritaire. Des familles d'otages manifestent, appelant à négocier une trêve pour sauver leurs proches. Des voix s'élèvent contre la stratégie du "tout-militaire" et l'absence de perspective politique. Mais Netanyahou s'accroche, arguant que "toute pause, c'est une victoire du Hamas".
Longtemps tues ou à peine murmurées, les critiques à l'encontre de la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens trouvent désormais écho jusque dans les rangs des démocraties les plus proches de Tel-Aviv. Aux États-Unis comme en Europe, des voix de plus en plus audibles s'insurgent contre la dérive autoritaire de Benyamin Netanyahou et les opérations militaires qui frappent indistinctement Gaza, provoquant des dizaines de milliers de morts civils.
Dans la communauté juive américaine, traditionnellement attachée au Parti démocrate, l'exaspération monte. Plusieurs figures intellectuelles et politiques dénoncent un soutien aveugle à un gouvernement israélien jugé d'extrême droite. L'historien Peter Beinart, chroniqueur au New York Times, s'interroge : « Peut-on encore défendre moralement un État qui bombarde des hôpitaux, affame une population entière et empêche l'aide humanitaire ? » L'ancien sénateur Bernie Sanders, lui-même juif, a appelé à suspendre l'aide militaire américaine à Israël si Netanyahou continue à ignorer le droit international.
En Europe, le ton change lui aussi. En Irlande et en Espagne, les gouvernements se sont prononcés pour la reconnaissance immédiate d'un État palestinien. L'ambassadrice d'Israël en Espagne a été convoquée après les propos jugés « inacceptables » de ministres espagnols sur un possible nettoyage ethnique en cours à Gaza. L'Allemagne, pilier historique du soutien à Israël, commence à exprimer ses « profondes inquiétudes », bien que Berlin continue de livrer des armements. En France, Emmanuel Macron a récemment condamné les frappes sur Rafah, tout en insistant sur la nécessité de ne pas « instrumentaliser » la cause palestinienne — un double discours dénoncé par plusieurs ONG comme Human Rights Watch ou Médecins du Monde.
Cette vague critique marque un tournant : l'impunité diplomatique d'Israël semble moins assurée. Si Netanyahou reste inflexible, ses alliés historiques, eux, semblent ébranlés par une opinion publique de plus en plus choquée. Reste à savoir si l'indignation actuelle débouchera sur des mesures concrètes ou s'il ne s'agira, une fois de plus, que de protestations sans lendemain.
Ces positions restent encore prudentes, souvent freinées par des considérations géopolitiques ou électorales. Mais la multiplication des témoignages sur les conditions de vie à Gaza – famine, bombardements d'écoles, hôpitaux ciblés – rendent le silence de plus en plus intenable. Les anciennes certitudes vacillent. Et une question : le soutien à Israël n'est plus inconditionnel ?
Gaza, tombeau à ciel ouvert : 53 000 morts et champ de ruines
Le 7 octobre 2023 à l'aube, une attaque coordonnée et sans précédent du Hamas, baptisée « Déluge d'Al-Aqsa », frappe Israël au cœur et marque un tournant majeur dans le conflit israélo-palestinien. Environ 1 200 personnes ont été tuées, dont de nombreux civils lors de l'assaut sur des kibboutz frontaliers. Plus de 250 otages capturés, et emmenés dans la bande de Gaza. Les images des otages, y compris de femmes, d'enfants et de personnes âgées provoquent en Israël, un traumatisme national.
Face à cette offensive-surprise sans précédent, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a déclaré : « Nous sommes en guerre ». Dans les heures qui ont suivi, il lance l'opération militaire "Épées de fer". Objectif annoncé : détruire le Hamas, coûte que coûte. Plus de 300 000 réservistes sont mobilisés. L'armée israélienne commence une campagne de bombardements massifs sur Gaza. Les infrastructures civiles sont ciblées au même titre que les positions militaires présumées. Les zones d'habitation densément peuplées sont évacuées de force, puis rasées. Tel-Aviv maintient le cap, justifiant chaque frappe comme un acte de légitime défense.
Dix-neuf mois plus tard, le bilan humain et matériel est catastrophique.
Le ministère de la Santé de Gaza, affirme que plus de 53 000 Palestiniens ont été tués depuis le début des hostilités, dont une majorité de femmes et d'enfants. Le nombre de blessés dépasse les 121 000, et environ 11 000 personnes sont portées disparues, ensevelies sous les décombres ou introuvables. Des frappes ciblées ont également visé des dirigeants du Hamas, comme l'assassinat de Mohammed Deïf en juillet 2024.
Les infrastructures civiles sont en ruines : plus de 80 % des bâtiments résidentiels sont endommagés ou détruits, et la quasi-totalité des hôpitaux du nord de Gaza sont hors service. Le système de santé est à l'agonie, incapable de faire face à l'afflux massif de blessés. Le blocus imposé par Israël depuis mars 2025 a plongé la population dans une crise humanitaire majeure. L'accès à l'eau potable, à la nourriture et aux soins médicaux est extrêmement limité. Le Programme alimentaire mondial (PAM) avertit d'un risque imminent de famine.
L'opération militaire israélienne baptisée « Chariots de Gédéon » a officiellement débuté le 17 mai 2025. Cette offensive terrestre majeure dans la bande de Gaza vise à intensifier la pression sur le Hamas pour obtenir la libération des otages israéliens et démanteler les infrastructures militaires du mouvement. Lancée au lendemain de la visite du président américain Donald Trump au Moyen-Orient, (13-16 mai 2025), l'opération a été annoncée par l'armée israélienne comme une étape cruciale pour atteindre ses objectifs de guerre. Les préparatifs de cette opération avaient été approuvés par le cabinet de sécurité israélien le 5 mai 2025, avec pour objectif une prise de contrôle complète de la bande de Gaza. Depuis lors, les offensives israéliennes, ont intensifié les combats, provoquant des centaines de morts supplémentaires en quelques jours. Des localités comme Beit Lahia et Al Mawasi ont été particulièrement touchées.
Les négociations pour un cessez-le-feu, menées notamment à Doha, sont restées, à ce jour dans l'impasse. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou insiste sur une "victoire totale", tandis que le Hamas exige la fin des hostilités et la levée du blocus.