WASHINGTON FAIT PRESSION SUR DES PAYS AFRICAINS POUR FAVORISER LES INTÉRÊTS COMMERCIAUX D'ELON MUSK
Une enquête révèle comment l'administration Trump exerce des pressions sans précédent sur plusieurs pays africains pour qu'ils accordent des licences à Starlink, allant jusqu'à menacer implicitement de couper l'aide étrangère à la Gambie

(SenePlus) - Dans une enquête publiée le 15 mai 2025, le média d'investigation américain ProPublica révèle comment la diplomatie américaine, sous l'administration Trump, s'est mise au service des intérêts commerciaux de Starlink, l'entreprise d'internet par satellite d'Elon Musk.
L'enquête, menée par les journalistes Joshua Kaplan, Brett Murphy, Justin Elliott et Alex Mierjeski, détaille notamment le cas frappant de la Gambie, petit pays d'Afrique de l'Ouest, où l'ambassadrice américaine Sharon Cromer a multiplié les interventions auprès des autorités pour accélérer l'octroi d'une licence à Starlink.
Début février, Cromer a rencontré Lamin Jabbi, ministre gambien des Communications, pour évoquer l'approbation réglementaire que Starlink tentait d'obtenir depuis plusieurs mois. Selon des témoins présents lors de cette réunion, l'ambassadrice aurait implicitement lié l'aide américaine à la coopération du gouvernement gambien.
"Elle a énuméré les façons dont les États-Unis soutenaient le pays, notant que des initiatives clés - comme un projet de 250 millions de dollars pour améliorer le système électrique - étaient actuellement en cours d'examen," rapporte ProPublica.
Hassan Jallow, adjoint de Jabbi, a confié aux journalistes avoir perçu ce message comme "une menace voilée" : "L'implication était qu'ils étaient connectés," a-t-il déclaré, faisant référence à l'aide américaine et à la licence de Starlink.
En mars, face à l'impasse, l'ambassadrice a encore intensifié la pression en écrivant directement au président gambien pour lui demander de "faciliter les approbations nécessaires pour que Starlink commence ses opérations," contournant ainsi le ministre des Communications. Selon ProPublica, Jabbi aurait confié à ses proches qu'il sentait que "l'ambassadrice essayait de le faire licencier."
La Gambie n'est pas un cas isolé. Depuis l'investiture de Donald Trump, "le Département d'État est intervenu au nom de Starlink en Gambie et dans au moins quatre autres pays en développement," précise l'enquête.
Une stratégie mondiale au service de Musk
Alors que l'administration Trump a réduit considérablement l'aide étrangère, les diplomates américains ont fait pression sur plusieurs gouvernements pour qu'ils accélèrent l'octroi de licences à Starlink et ont organisé des rencontres entre des employés de l'entreprise et des dirigeants étrangers.
Dans un câble diplomatique concernant Djibouti, un employé de Starlink aurait même décrit la stratégie de l'entreprise en ces termes : "Nous poussons par le haut et par le bas pour faire passer cela en force."
Kristofer Harrison, ancien haut responsable du Département d'État sous l'administration George W. Bush, est catégorique : "Si cela était fait par un autre pays, nous appellerions absolument cela de la corruption. Parce que c'est de la corruption."
Cette situation soulève d'importantes questions éthiques. Elon Musk, l'homme le plus riche du monde, occupe un poste influent au sein de l'administration Trump après avoir dépensé "au moins 200 millions de dollars pour l'élection de 2024," tout en continuant à diriger ses entreprises privées, dont Starlink.
Kenneth Fairfax, diplomate américain à la retraite et ancien ambassadeur au Kazakhstan, estime que cette mobilisation mondiale pour Musk "pourrait donner l'impression que les États-Unis se livrent à une forme de capitalisme de connivence."
La Maison Blanche a réfuté ces accusations dans un communiqué, affirmant que Musk "n'a rien à voir avec les accords impliquant Starlink" et que chaque responsable de l'administration suit des directives éthiques.
Ces pressions diplomatiques interviennent à un moment stratégique pour Starlink. Face à la concurrence émergente, notamment celle de Project Kuiper de Jeff Bezos, l'entreprise de Musk cherche à s'implanter rapidement sur de nouveaux marchés.
L'Afrique, avec sa population en forte croissance et son manque d'infrastructures internet fiables, représente "un prix lucratif" pour Starlink. Selon le média américain, depuis la victoire électorale de Trump, "au moins cinq pays africains ont accordé des licences à Starlink : la République démocratique du Congo, la Somalie, la Guinée-Bissau, le Lesotho et le Tchad."
Ces manœuvres diplomatiques soulèvent de sérieuses inquiétudes quant à l'utilisation de l'appareil d'État américain pour servir les intérêts privés d'un conseiller présidentiel. Comme le résume un responsable du Département d'État cité par ProPublica : "Je ne pensais honnêtement pas que nous étions capables de faire cela. C'est mal à tous les niveaux."