VOUS PERMETTEZ, PAPE SAMBA KANE ?
EXCLUSIF SENEPLUS - Je réfute ici directement (comme dirait Schopenhauer) votre argumentation et déclare votre logique et ses conclusions sur la régulation des médias en cours au Sénégal, fallacieuses

Ha la rhétorique ! Nous savons depuis au moins Schopenhauer, si ce n’est depuis Platon, comment on peut convaincre sans avoir raison. Il suffit d’user de certaines ruses et stratagèmes fallacieux de la rhétorique. Votre texte est un classique du genre. Tout y est : l’autorité morale de l’argumentation (ethos), l’appel émotionnel (le pathos) et le logos (le raisonnement logique).
Je réfute ici directement (comme dirait Schopenhauer) votre argumentation et déclare votre logique et ses conclusions fallacieuses.
Voici pourquoi :
Commençons par votre argumentation, l’éthos.
Pourquoi remontez-vous au XVIIème siècle et à l’Angleterre pour trouver un exemple de régulation des médias à comparer avec celui en vigueur aujourd’hui au Sénégal ? Alors que la régulation des médias a encore cours en ce XXIème siècle, en Grande Bretagne (pour ne pas dire en Angleterre), en France, en Afrique et à travers le monde entier. Pourquoi n’avez-vous pas évoqué des exemples plus proches de nous, par l’histoire et la géographie ? Pas par coquetterie intellectuelle, pour nous impressionner avec votre érudition.
Les citations apparemment érudites n’impressionnent plus personne car tout le monde sait que de nos jours elles se trouvent à peu de frais grâce à l’IA. Je crois plutôt que vous cherchez tout simplement à impressionner vos lecteurs pour asseoir votre crédibilité et imposer l’autorité morale de votre argument.
Vous cherchez à impressionner le lecteur et lui faire accepter d’avance votre conclusion selon laquelle l’arrêté du ministère de la communication faisant « obligation aux médias non conformes au Code de la presse de cesser toute diffusion » n’a pas d’équivalent dans l’histoire du monde depuis…500 ans et est donc rétrograde et de ce fait inacceptable.
Or votre prémisse est fausse : vous assimilez l’arrêté à une forme de censure qui ne se pratique plus nulle part dans le monde moderne. Observons ce qui se passe autour nous !
D’abord ici, en Afrique est de l’Ouest, chez nos voisins du Ghana et du Nigeria par exemple.
Au Ghana, les entreprises de presse écrite qui, comme ici ne sont pourtant pas soumises à autorisation préalable, tout comme les radios, télévisions et médias en ligne, doivent « s’enregistrer », pour un coût de 100.000 cedis par an, auprès de la National Media Commission et adhérer formellement au Code d’éthique de l’association professionnelle des journalistes, la Ghana Journalists Association (GJA). En cas de manquement à cette obligation, l’entreprise encourt des amendes, la suspension ou même l’interdiction.
Au Nigeria, l’entreprise de presse écrite qui n’est pas soumise non plus à autorisation préalable, doit « s’enregistrer » pourtant auprès du Newspaper Registration Board en vertu d’une loi spécifique le Nigerian Press Council Bill révisé en 2018. Publier un journal sans l’avoir ‘’enregistré’’ au préalable est une infraction punissable d’une lourde amende (N250,000) ou même d’une peine de prison de 3 ans si ce n’est des deux peines.
Les médias audiovisuels au Ghana comme au Nigeria doivent évidemment obtenir une autorisation d’émettre après avoir obtenu une fréquence attribuée sur la base d’un dossier détaillé, signé un cahier de charge avec des obligations spécifiques et payé des redevances.
Ils doivent au préalable « s’enregistrer » auprès du régulateur : la National Communications Authority au Ghana et la National Broadcasting Corporation (NBC) au Nigeria. Dans ce pays, ils doivent aussi s’inscrire auprès d’une autorité de régulation de la publicité, le Advertising Practionners Council of Nigeria (APCON) ou le Advertising Regulatory Council of Nigeria (ARCOM).
Ne pas renouveler son inscription ou ne pas payer sa redevance est passible du retrait de la fréquence voire de la fermeture de l’entreprise.
En France où la presse écrite n’est plus sujette à une régulation spécifique, la loi N° 2021 1382 du 25 Octobre 2021 qui a crée l’Autorité de Régulation de la Communication (ARCOM) place les entreprises de radio, de télévision et du numérique sous le contrôle de cette autorité. Elle peut les fermer éventuellement pour contenus non conformes comme on l’a vu avec la chaine russe RT.
Votre argumentation et votre raisonnement logique s’écroulent donc !
Examinons votre pathos, votre appel émotionnel.
Pourquoi faites d’abord appel à des figures « amies » : Ibou Fall, Henriette Niang Kandé, Parti de l'Indépendance et du Travail (PIT) ? Pour nous faire comprendre que vous n’êtes pas un sniper mais que vous avez tout un bataillon de chevaliers mobilisés sous l’étendard de la liberté d’expression. Comme M. Mandiambal Diagne et son équipe du Quotidien, Madame Maimouna Ndour Faye, les patrons du CDEPS et bien d’autres encore dans la corporation journalistique et en dehors.
Fort bien ! Et alors ? Nous sommes en démocratie, n’est-ce pas ? Mais pourquoi faites appel à votre « consœur Aïssatou Diop Fall, journaliste sortie du Cesti, et qui a fait ses premières armes dans l’un des plus grands et plus anciens groupes de presse du pays » ?
Pour la racoler après qu’elle ait introduit un recours auprès de la Cour suprême contestant la fermeture de ses médias suite à l’arrêté du ministère de la Communication ? Sa démarche est pourtant normale, républicaine et vous, ainsi que le patronat et la profession dans son ensemble, devrez simplement attendre le jugement de la Cour suprême pour en tirer les conclusions qui s’imposent.
Mais vous allez un peu trop loin quand vous annexez les morts, les pionniers et les véritables héros de la liberté de la presse, les Abdourahmane Cissé, Mame Less Dia, Moussa Paye, Babacar Touré, Sidy Lamine Niasse et Mame Less Camara.
Que dire quand vous flétrissez le régime Sonko Diomaye comme dites pour lui opposer ….Abdou Diouf qui serait le père de l’ouverture démocratique et du pluralisme médiatique ? Vous avez pourtant été témoin et même acteur des luttes politiques épiques et des publications « clandestines » corrosives ainsi que des plaidoyers documentés qui ont sapé l’autorité morale et l’hégémonie politique et culturelle du régime UPS/PS et fini par imposer « l’ouverture démocratique » au successeur de Senghor.
Vous savez bien pourtant que ce sont le dévouement et les sacrifices de plusieurs générations de jeunes Sénégalais membres de partis politiques « clandestins », au moyen de publications interdites, qui ont forcé la main du président Abdou Diouf. Mais passons.
L’Histoire est têtue, comme on sait, elle ne se laisse pas travestir encore moins effacer comme on le ferait d’un tableau de salle de classe.
Une dernière chose, M. Papa Samba Kane : l’appel à la « résistance » en conclusion de votre papier participe à entretenir un climat délétère qui ne profite ni à votre corporation ni au pays dans son ensemble.
Ainsi le CDEPS et certains de vos confrères et consœurs se sont fendus d’éditoriaux haineux à l’endroit du ministère de la Communication pour s’être réjoui de la subvention de l’ADPME à 12 entreprises de presse, dénonçant « une tentative de récupération malveillante » et attribuant tout le mérite à … la Banque Africaine de Développement (BAD) et à la Banque mondiale.
Comme si l’ADPME n’était pas une agence du gouvernement du Sénégal. C’est comme si les patrons de presse et vos amis n’avaient aucune envie de dépasser ce conflit entre la presse et le gouvernement du président Bassirou Diomaye Faye, créé à la suite du refus du gouvernement, en octobre 2024, d’effacer les arriérés d’impôts et de taxes des entreprises de presse d’un montant de 38 milliards FCFA ordonné par l’ex-président Macky Sall, à quelques jours de l’élection présidentielle. Quel agenda poursuivez-vous donc véritablement, vous et vos amis ?
Que répondez-vous au président de la République qui, selon le communiqué du Conseil des ministres de ce 7 mai 2025, « a demandé au ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique d’examiner en relation avec les autorités de régulation (CNRA et ARTP), les voies et moyens de mettre en œuvre, selon un agenda consensuel, les recommandations et propositions des organisations d’ acteurs des médias concernant le Code de la presse et la transformation systémique et durable du secteur… » ?
Ne vous y trompez pas pourtant : ceci n’est pas un appel pour un retour en arrière pour réinstaurer les pratiques de l’ancien régime. C’est plutôt un appel au dialogue pour un nouveau départ. Un New Deal comme qui dirait.