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26 septembre 2025
LA CHRONIQUE HEBDO DE PAAP SEEN
POUR UNE SOCIÉTÉ HEUREUSE
EXCLUSIF SENEPLUS - L’école publique sénégalaise est à l’agonie - Elle n’est plus en mesure d’assurer la mobilité sociale du grand nombre. Car on ne lui donne pas les moyens de sa mission - NOTES DE TERRAIN
Cela faisait plus de vingt ans que nous ne nous étions pas vus. Ce matin de juillet 2017, nos regards se sont croisés dans la cour de l’école Matar Seck, à Rufisque. C’était un jour d'élection. Un dimanche. Elle m’avait reconnu. A ma grande surprise. Elle n’a pas oublié mon nom. J’étais si heureux de la rencontrer, ce jour-là. Elle a prononcé mon prénom, avec cette voix lointaine, imprimée dans mon inconscient, et qui n’a pas pris une ride. Il y avait son mari, un peu plus loin, qui discutait avec une autre personne. Elle l’a appelé et nous a présentés, l’un à l’autre. Je l'avais trouvée encore jeune et si gentille. Nous avons échangé nos numéros. Je l’ai appelée une fois. Quelqu’un d’autre a pris le téléphone. Elle n’était pas disponible. Je n’avais pas insisté. Et depuis, je n’ai plus eu de nouvelles. Entre-temps, j’ai aussi perdu son numéro de téléphone.
Mercredi dernier, mon frère m’a appelé le matin. Il était devant la maison familiale. Une personne l’a longuement dévisagé. Il m’a raconté que c’était une femme. Elle l’a interpellé par mon nom. Il lui a dit qu’elle confondait, mais que j’étais bien son grand-frère. Ils ont échangé un peu. Elle m’a passé le bonjour. Elle lui a aussi dit qu’elle habite juste derrière. Il m’a rapporté toute la scène. J’ai considéré ces informations avec joie. Toutes ces années, et elle garde encore, intacte dans sa mémoire, des souvenirs éloignés. Je me suis promis d’aller lui rendre visite, bientôt. La dernière fois que l’on s’était rencontrés, elle avait raconté quelques anecdotes à son mari, me concernant. Elle s’est rappelée, avec précision, mes grandes faiblesses et mes qualités à l’époque.
Sacerdoce. Mme Mbaye était ma maîtresse d’école, au primaire. Je me souviens de ce tableau noir devant lequel elle se tenait. De cette chaise et de la table, qui lui servaient de bureau. De ces classes où nous passions la journée. De la cour de l’école et de beaucoup de camarades de l’époque. Des plus turbulents, aux timides. De ceux qui étaient toujours les premiers. De ces chansons déclamées à tue-tête, que je garde encore en mémoire. Mme Mbaye était stricte, mais adorable. D’une grande douceur. C’était l’époque où l’école publique marchait encore. Même si elle était déjà un lieu sinistre. Nous étions déjà nombreux dans les salles de classes. Comme des âmes entassées dans les abîmes et que seule la magnanimité de nos éducateurs pouvaient tirer des bas-fonds.
Nous n’évoluions dans notre formation que par l'engagement de ces femmes et de ces hommes. Mme Mbaye fait partie de la troisième génération d'enseignants. Qui suivait celle des maîtres des temps héroïques, avant et juste après les indépendances ; puis celle des époques de plomb et de la désillusion, avec les ajustements structurels qui ont saccagé la culture et l’école. Je me rappelle d’elle. La tenue toujours implacable. La voix calme. L’autorité bienveillante. Qui nous inculquait la morale, l’observation, les calculs, l’histoire. Alors que nous nous mettions à trois, serrés dans les table-bancs. Parfois bavards et incontrôlables. Elle nous maintenait dans la voie de l’accomplissement de l'être.
Tant de générations d’enseignants se sont dévoués pour construire notre nation. Des médailles ne suffiraient pas à les remercier. Il y a un manque de reconnaissance, à leur égard. Pire, ils sont encore sous-estimés et oubliés dans le grand roman national. Si le Sénégal a des ingénieurs, des administrateurs civils, des médecins, des hommes de lettres et de sciences, des institutions de la République, des hôpitaux, une administration, il le doit à tous ces instituteurs. Dévoués jusqu’au sacrifice, à leur métier. Mais les années passent, les générations se suivent et l’école publique reste un lieu déconsidéré. Pire, le travail des enseignants est déprécié. Leur récompense est insuffisante et les lieux de savoir sont laissés en ruines. Si, à tout cela, s’ajoute une formation de plus en plus défectueuse des enseignants, on ne peut s’attendre qu’à des lendemains où l’esprit collectif sera diminué. Et où l'on assistera à l'enflement de l’ignorance.
Alors que faire ? L’école publique sénégalaise est à l’agonie. C’est une lapalissade. Elle est devenue un espace d'où l’on peut observer les grandes lignes de fracture de notre société. Elle raconte les inégalités de plus en plus prégnantes au Sénégal. Les enfants des classes moyennes supérieures ne la fréquentent plus. Même ceux issus de parents moins nantis la quittent. Pour une raison simple : elle est une structure sociale qui favorise le déclassement. Elle n’est plus en mesure d’assurer la mobilité sociale du grand nombre. Car on ne lui donne pas les moyens de sa mission. Également, parce que les élites politiques aveugles ont laissé prospérer la marchandisation de l’éducation. C’est un constat terrible, dans un pays où sévit encore une pauvreté étouffante, mais aussi l’analphabétisme de masse.
Restaurer l’école. Il faut aussi rappeler que l’école sénégalaise souffre, depuis toujours, d’une pathologie congénitale. L'école porte une mission civilisatrice. Nous ne cesserons jamais de le rappeler. Elle marginalise la culture nationale. En ne prenant pas en compte, dans ses actions éducatives, les langues du pays. Elle se refuse, de ce fait, à supporter le poids de la civilisation qui est la sienne. Ce qui est une aberration. Et nous le disons encore, si nous voulons desserrer l’étau de l’ignorance et de la misère, au Sénégal, nous ne pourrons continuer à évincer nos langues nationales dans le système éducatif. L'école porte une mission civilisatrice. Nous ne cesserons jamais de le rappeler. C’est seulement par une médiation culturelle endogène et active, que nous arriverons à l’épanouissement collectif. A l’essor d’une nation forte. La culture est le socle de toute édification nationale. Elle sert aussi de paravent contre les sabotages à l’âme d’une nation, et les agressions à la connaissance. Les langues sont les outils les plus précieux de la socialisation.
Mais tout cela ne doit pas éluder le fait que l’institution scolaire tenait encore la route, et transmettait le savoir. Même organiquement affaiblie. Ce qui devient de moins en moins évident. La réforme, de l’institution scolaire, est aujourd’hui, une nécessité impérieuse. Cela veut dire respecter les enseignants. Déployer plus de moyens pour construire des lieux de savoir. Reconsidérer les langues nationales et la question culturelle. Déconstruire l’esprit marchand de l’éducation. Lutter contre l’échec scolaire. Prendre en charge intégralement l’éducation des classes défavorisées et imposer l’école gratuite. Intégrer, très tôt, dans les curricula, l’enseignement des grands enjeux de l’humanité : l’écologie et le respect de la biosphère. Animer la conscience civique. Favoriser la mobilité sociale. Former rigoureusement les formateurs. Dans l’immédiat, tels sont les grands défis de l'école publique sénégalaise.
Mieux, il faut réenchanter l’école. Elle doit s’ouvrir sur la vie et sur le monde. Pour reprendre Ivan Illich, elle doit donner “une véritable éducation qui prépare à la vie dans la vie, qui donne le goût d’inventer et d’expérimenter”. Ainsi, comment éduquer des humains, désensibilisés à la compétition ? Comment modifier et relever l'état de conscience collectif, pour faire de l’empathie et de la solidarité les figures psychologiques dominantes dans le corps social ? Comment compléter la nature de l'homme et en faire un être vivant, interconnecté à la biosphère, et à qui on enlève ses pulsions destructrices de la nature ? Comment élever le goût esthétique, et faire de la vie un voyage romantique, chez tous ? Comment articuler les différents types de connaissances, pour que l’esprit qui pense ne soit plus mutilé, et qu’il devienne le réceptacle des sciences humaines, sociales, naturelles et formelles ? Quelle architecture pour une école où l’on respire, et où l’on se sent joyeux et vivant ?
L’école publique sénégalaise, dans sa configuration actuelle, ne prend pas en compte tout cela. Elle est encore, dans une certaine manière, une structure oppressante. Qui enserre ses récipiendaires dans des schémas de pensée préfabriqués. Qui maintient, toute l’année, les corps et les esprits dans des abris étroits. Pendant que le soleil et la vie chantent dehors. Pendant que l’infini Univers demande à être contemplé. Pendant que les capacités intellectuelles peuvent être développées, par l’interface de la société et des autres humains. Surtout, l’école sénégalaise n’offre que des fragments de connaissances. L’homme qui sort de son moule ne possède pas toutes les armes pour faire la critique du monde. Pour interroger les illusions de la vie. Pour cheminer vers l’éveil. Son niveau d'initiation est encore perfectible. L’école sénégalaise peut se donner des projets plus ambitieux. Elle peut favoriser, de façon prodigieuse, les réformes spirituelles et morales. Nécessaires à la pratique transformative de notre pays, du monde et de l’humain. Mme Mbaye, ainsi que les enseignants qui se sont succédé dans nos écoles ont tout donné pour bâtir notre nation. Il reste, aujourd’hui, à construire une école qui augmente la conscience. Pour faire vivre, véritablement, les femmes et les hommes.
Retrouvez sur SenePlus, "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.
L'OMS APPELLE LES PAYS AFRICAINS A MAINTENIR LE CAP
Ces mesures "ont contribué à ralentir la propagation du Covid-19, mais il demeure une menace considérable pour la santé publique", a déclaré le Dr Matshidiso Moeti
L'organisation mondiale de la santé (OMS) a appelé les pays africains à maintenir des mesures fortes de surveillance pour lutter contre la propagation du Covid-19 sur le continent, malgré le début de levée des mesures de confinement dans certains pays, comme en Afrique du Sud.
Face au Covid-19, des nombreux pays africains ont pris des mesures de confinement partiel ou total pour arrêter la propagation du Covid-19. Dans un communiqué, l'organisation mondiale de la santé (OMS) leur a rappelé jeudi 30 avril de maintenir des mesures fortes pour lutter contre la pandémie du nouveau coronavirus.
Ces mesures "ont contribué à ralentir la propagation du Covid-19, mais il demeure une menace considérable pour la santé publique", a déclaré le Dr Matshidiso Moeti, directrice régionale de l'OMS pour l'Afrique dans un communiqué.
"Il est important de maintenir des mesures fortes de surveillance, de détection des cas et de tests, entre autres mesures de contrôle pour mettre fin à la pandémie", ajoute le texte.
"Si les gouvernements mettent brusquement fin à ces mesures, nous risquons de perdre les gains que les pays ont réalisés jusqu'à présent contre le Covid-19", estime l'OMS.
L'Afrique du Sud lève progressivement le confinement
L'Afrique du Sud a ainsi commencé vendredi 1er mai à lever progressivement le confinement imposé depuis cinq semaines à ses 57 millions d'habitants, en autorisant le lent redémarrage d'une petite partie de son économie en crise.
Avec plus de 5 600 cas et une centaine de morts officiellement répertoriés, le pays le plus industrialisé d'Afrique subsaharienne est aussi, de loin, le plus touché par le Covid-19.
Le gouvernement comme les épidémiologistes qui le conseillent se sont félicités de l'efficacité du confinement qui, conjugué à la fermeture des frontières, a permis de contenir la propagation de la maladie. Mais dans une Afrique du Sud à l'économie en crise et profondément inégalitaire, les difficultés pour les populations les plus démunies privées de leurs petits boulots de subsistance ont contraint les autorités à entrouvrir les vannes.
Le confinement "ne peut être prolongé indéfiniment", a résumé le président Cyril Ramaphosa, "les habitants doivent manger, gagner leur vie, les entreprises doivent produire et vendre […] et garder leurs employés".
L'essentiel des restrictions imposées à la population demeurent, notamment pour les déplacements. Principale nouveauté, le port d'un masque est désormais obligatoire dans les lieux publics. "Revenir soudainement à la normale provoquerait une explosion [du nombre de cas]", a justifié le ministre de la Santé, Zweli Mkhize. "Le fait que nous n'ayons pas eu autant de morts qu'ailleurs dans le monde ne signifie pas que ça ne peut pas arriver en Afrique du Sud".
L’ÉPIDÉMIE PEUT DURER UN AN
Invitée de l’émission de Grand Jury de la Rfm de ce dimanche, Dr Marie Khémesse Ngom Ndiaye a apporté la réplique au Dr Moussa Thior, ex-coordonnateur du Programme national de lutte contre le paludisme
Invitée de l’émission de Grand Jury de la Rfm de ce dimanche, Dr Marie Khémesse Ngom Ndiaye a apporté la réplique au Dr Moussa Thior, ex-coordonnateur du Programme national de lutte contre le paludisme qui avait fustigé les stratégies de l’Etat pour lutter contre le Covid-19. Il recommandait de « laisser le virus circuler. »
« Nous utilisons « sa » stratégie dans le cadre de la lutte des épidémes comme la rougeole. D’autres pays ont utilisé cette stratégie, mais ils ont échoué et ils sont revenus à leur pas de charge », note la Directrice de la santé qui estime que « le Sénégal a sa stratégie et celle-ci a été validée ».
Parlant du coronavirus, elle soutient que « certaines caractéristiques de la maladie à coronavirus sont encore inconnus. Nous avons des cas de recontaminations, c’est à dire, nous avons des patients guéris qui ont rechuté. Nous en avons problablement trois ou quatre patients guéris qui ont recontracté le virus. On connait le coronavirus, mais on ne connait pas l’agent pathogène ».
Sur l’évolution de l’épidémie de coronavirus, elle pense que le Sénégal atteindra un pic épidémique d’ici la semaine prochaine. « On ne sait pas si la redescente sera rapide, mais nous sommes dans une phase ascendante. Nous atteindrons peut-être le pic dans une semaine », a-t-elle dit, non sans préciser que l’épidémie peut durer un an.
MACKY SALL PARTAGE L’ESPOIR D’UNE REPRISE ‘’PROGRESSIVE ET MAÎTRISÉE’’ DES COURS
Le chef de l’Etat a partagé avec la communauté éducative l’espoir d’une reprise ’’progressive et maîtrisée’’ des cours ‘’dans le respect des mesures édictées’’.
Dakar, 3 mai (APS) – Le chef de l’Etat a partagé avec la communauté éducative l’espoir d’une reprise ’’progressive et maîtrisée’’ des cours ‘’dans le respect des mesures édictées’’.
’’Chers parents, chers enseignants chers étudiants, chers élèves, j’imagine votre inquiétude face à la situation inédite que traverse l’école liée au #COVID19. Je voudrais partager ici, avec vous, l’espoir d’une reprise progressive et maîtrisée dans le respect des mesures édictées’’, a tweeté Macky Sall, ce dimanche.
La fermeture des écoles, des universités et des crèches fait partie des cinq mesures importantes annoncées le 14 mars par le chef de l’Etat, Macky Sall, pour endiguer les risques de propagation de la maladie à coronavirus.
A ce jour, le Sénégal compte 1182 cas de covid-19 dont 372 guéris, 9 décès, 1 patient évacué dans son pays et 800 patients sous traitement.
Le dernier Conseil des ministres, tenu mercredi, a arrêté la date de reprise des cours, à compter du 02 juin 2020 pour les élèves en classe d’examen.
S’agissant de l’Enseignement supérieur, le Conseil a recommandé aux académies, de réfléchir sur les modalités de reprise globale des enseignements dans la période du 02 [au] 14 juin 2020.
Ces deux décisions ont été prises à la suite de communications sur la reprise des enseignements faites par les ministres de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle.
C’est la deuxième fois que la reprise des enseignements scolaires et universitaires, suspendus depuis le 16 mars en raison du coronavirus, fait l’objet d’un report.
La réouverture des classes, prévue dans un premier temps le 6 avril, avait une première fois été repoussée au 4 mai.
Interrogé par l’APS, le président de l’Union nationale des parents d’élèves et d’étudiants du Sénégal (UNAPEES), Abdoulaye Fané, a déclaré jeudi être ‘’en phase’’ avec la décision du gouvernement de faire reprendre les cours aux élèves en classe d’examen, à compter du 02 juin.
Cette reprise des enseignements doit toutefois se faire avec de ‘’fortes mesures d’accompagnement’’, lesquelles sont, dit-il, "indispensables pour protéger élèves, étudiants et enseignants de la maladie à coronavirus’’.
’’Il ne faut pas prendre de risques, parce que rien ne pourra se faire sans la maîtrise de cette pandémie et les parents d’élèves sont en phase avec cette décision de l’Etat qui a fait une projection pour la reprise des cours’’, a-t-il ajouté, dans un entretien téléphonique.
Le secrétaire général du Cadre unitaire des syndicats d’enseignants du moyen secondaire (CUSEMS) a estimé lui que la continuité des enseignements "ne revêt pas un caractère urgent’’ dans un contexte de hausse des cas de Covid-19, où le seul combat qui vaille est celui contre le virus.
"L’ennemi commun, c’est la lutte contre la maladie à coronavirus avec comme principal enjeu la maîtrise de la propagation du virus, le reste viendra avec les mesures d’accompagnement adéquates’’, a déclaré Abdoulaye Ndoye .
’’Quelle que soit la décision prise, la vie humaine est au-dessus de tout. La continuité pédagogique est importante certes, mais ne revêt pas un caractère d’urgence, parce que l’urgence aujourd’hui, c’est de sauver des vies’’, a-t-il dit à l’APS.
Le secrétaire général du Syndicat des enseignants libres du Sénégal (SELS), Souleymane Diallo, a lui regretté l’absence de date fixée pour la reprise des cours dans les classes intermédiaires alors que les enseignements pour les élèves en classes d’examen redémarrent le 2 juin.
’’On est en phase avec les décisions prises jusque-là par rapport à la fermeture des écoles, mais cette reprise partielle nous laisse sur notre faim parce qu’il fallait aussi donner une date pour les autres classes même si c’est une projection’’, a réagi le secrétaire général du SELS dans un entretien avec l’APS.
’’C’est un flou total, les élèves dans ces classes sont inquiets de leur scolarité, mais aussi les enseignants qui sont dans ces classes se demandent s’ils doivent reprendre le 2 juin’’, selon M. Diallo.
CORONAVIRUS : HYPOTHÈSES EXPLICATIVES DE LA FAIBLE CONTAMINATION EN AFRIQUE
L’Afrique, qui représente 17 % de la population du globe, n’héberge que 1,1 % des malades et 0,7 % des morts. Mieux : avec déjà plus de 12 000 guérisons, elle semble résister bien mieux que les autres à la pandémie. Pourquoi ?
Jeune Afrique |
Olivier Marbot |
Publication 03/05/2020
Deux mois après l’irruption des premiers cas de coronavirus en Afrique, la propagation de la maladie semble y progresser plus lentement qu’ailleurs. Quels facteurs pourraient expliquer cette apparente résilience ?
Il serait inopportun de crier victoire trop tôt. Mais tout de même, les chiffres sont là : alors que les premiers cas de contamination au Covid-19 ont été détectés à la mi-février en Afrique, le continent ne compte aujourd’hui qu’un peu plus de 37 000 cas recensés (y compris les personnes déjà guéries) et 1 600 décès, contre plus de 3,2 millions de malades et plus de 228 000 morts dans le monde.
Statistiquement, il y a une anomalie. L’Afrique, qui représente 17 % de la population du globe, n’héberge que 1,1 % des malades et 0,7 % des morts. Mieux : avec déjà plus de 12 000 guérisons, elle semble résister bien mieux que les autres au coronavirus.
Est-ce simplement que la maladie est arrivée plus tard sur le continent et que, comme l’envisage une étude sud-africaine qui annonce un pic pour septembre, le pire reste à venir ? Pour l’heure, en tout cas, plus personne ne nie que la propagation du virus semble singulièrement lente sur le continent. Voici les principales raisons évoquées pour tenter de l’expliquer.
Le climat
C’est l’explication la plus couramment avancée. Comme la grippe, le coronavirus serait une maladie qui s’épanouit à la saison froide et supporterait mal la chaleur, la sécheresse, voire une forte exposition au soleil.
L’hypothèse semble corroborée par le fait que les pays les plus touchés par la pandémie ont un climat plutôt tempéré et que l’essentiel des cas se concentre soit à l’extrême nord du continent, soit à l’extrême sud, où la chaleur et la sécheresse sont moins écrasantes.
Du côté de la recherche, une étude britannique confirme qu’on rencontre en moyenne moins d’affections respiratoires dans les pays chauds et secs (on ne recense d’ailleurs qu’une épidémie de type Sras réellement sévère sur le continent, qui a touché Le Cap en 2002-2003), et un rapport américain du 24 avril affirme que la demi-vie du virus, c’est-à-dire la période nécessaire pour que sa puissance de contamination soit réduite de moitié, peut passer de 18 à 6 heures si la chaleur et l’humidité augmentent.
Les chercheurs restent néanmoins très prudents, à l’image du directeur des affaires internationales de l’institut Pasteur, Pierre-Marie Girard, qui souligne que lors d’expérimentations in vitro il a été constaté que le coronavirus « se multipli[ait] très bien dans la chaleur ».
La jeunesse des populations
C’est l’autre grande explication avancée. Dans les pays anglophones, on en a même fait un slogan : « The virus is old and cold and Africa is young and hot. »
Les médecins confirment que la majorité des cas sévères de Covid-19 concerne des personnes de plus de 60 ans, ce qui serait une chance pour le continent, où l’âge médian est de 19,4 ans et où 60 % de la population a moins de 25 ans. On souligne aussi que l’un des pays les plus durement frappés, l’Italie, compte 23,1 % de 65 ans et plus, contre 5 % en Afrique.
Cette hypothèse fait pratiquement l’unanimité, mais les scientifiques la nuancent en rappelant que si la population africaine est jeune, elle est malheureusement plus victime que d’autres de maladies comme le VIH ou de malnutrition, ce qui peut la rendre vulnérable. Enfin, certains chercheurs remarquent qu’en Europe et aux États-Unis les personnes âgées vivent souvent entre elles dans des maisons de retraite, ce qui favorise la propagation, alors qu’en Afrique elles habitent plus fréquemment avec leur famille. Ce qui pourrait les protéger.
Un habitat moins dense
À l’exception de quelques pays comme l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Maroc ou l’Algérie, et de certaines grosses mégapoles, la densité de population est en moyenne plus faible en Afrique que dans les parties du monde où le coronavirus a fait le plus de ravages, Europe de l’Ouest et Amérique du Nord. On compte en moyenne 42,5 habitants au km2 en Afrique, contre 207 en Italie et… plus de 10 000 dans l’État de New York.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) confirme qu’il s’agit d’un facteur positif, tout en soulignant que ces chiffres ne sont qu’une moyenne, et que des villes comme Lagos ou Abuja affichent des densités de population records.
Des déplacements plus limités
Autre explication rationnelle et difficile à contourner : la population africaine se déplace moins, en moyenne, que celle de beaucoup de pays avancés, et les risques de contamination sont donc forcément moins grands.
Pour mémoire, on ne trouve qu’un seul aéroport africain dans la liste des 50 sites mondiaux concentrant le plus de trafic aérien : celui de Johannesburg.
L’expérience des épidémies
Beaucoup le soulignent : l’Afrique n’en est pas à sa première épidémie, et elle en a connu de bien plus meurtrières. On songe bien sûr à Ebola. Le personnel soignant mais aussi les populations ont donc une certaine habitude des situations de crise sanitaire, des leçons ont été tirées, et des « bonnes pratiques » mises en place.
Certaines méthodes de détection, d’isolement des patients, de précautions lors des soins développées précédemment sont duplicables face au coronavirus. Les autorités ont aussi pris plus rapidement que d’autres la mesure du danger et ont mis en place très tôt le contrôle ou la fermeture des frontières, la distanciation ou le confinement.
Du côté de l’OMS, on souligne qu’à la suite des épidémies d’Ebola en Afrique de l’Ouest on a aidé 40 pays du continent à évaluer leur capacité de réponse. Ont ensuite été soutenus 35 de ces derniers afin d’améliorer leur système de prise en charge.
La situation est certes loin d’être parfaite – du côté de la recherche et des laboratoires d’analyse, notamment –, mais, pour le Dr Moumouni Kinda, qui a affronté plusieurs crises avec l’organisation non gouvernementale ALIMA, « les épidémies comme Ebola nous ont fait accumuler de l’expérience sur la communication et la sensibilisation, qui sont des points clés pour briser les chaînes de transmission du virus ».
Une vraie coopération transfrontière
Pour certains scientifiques africains, le continent a aussi l’avantage de pratiquer une vraie solidarité. Lorsqu’un pays manque de masques ou de kits de tests, les pays voisins moins touchés sont susceptibles de lui en fournir. Le Lesotho, qui n’a pas encore de laboratoire opérationnel, fait tester ses prélèvements en Afrique du Sud, et un réseau de détection de la grippe saisonnière, utilisé face au Covid-19, fédère déjà une vingtaine de pays du continent.
Sans tomber dans l’angélisme, force est de constater que la solidarité semble parfois mieux fonctionner en Afrique que dans certaines régions plus riches, où l’on voit les grands laboratoires veiller jalousement sur leurs découvertes dans l’espoir de pouvoir commercialiser un traitement ou un vaccin. Sans parler d’un Donald Trump tentant de mettre la main sur les brevets des médicaments en cours de développement pour le seul bénéfice (financier) des États-Unis…
À une échelle bien plus locale, on souligne aussi que le fonctionnement communautaire de beaucoup de populations africaines permet de mieux faire passer les messages de prévention, mais aussi de détecter plus rapidement les malades, peu de gens étant susceptibles d’être laissés à eux-mêmes.
La protection indirecte d’autres traitements
Cette hypothèse fait l’objet de vives polémiques, et l’OMS, en particulier, se montre très prudente. Mais certains médecins constatent des coïncidences troublantes : on compterait moins de contaminations au coronavirus dans les pays les plus touchés par le paludisme » ou la tuberculose. Ou dans ceux qui vaccinent massivement leur population avec le BCG.
Le fait d’avoir contracté certaines maladies ferait-il barrière au Covid-19 ? Il faudra du temps pour le démontrer, mais beaucoup de médecins pensent que les traitements antipaludéens comme la chloroquine ont une certaine efficacité. Et comme beaucoup de gens sont traités avec ces médicaments en Afrique, une résistance pourrait exister.
C’est en partie pour cela que le professeur français Didier Raoult, mais aussi des équipes comme celle du Drug Discovery and Development Centre (H3D) de l’université du Cap, testent en priorité des antipaludéens.
L’OMS se montre critique, remarquant que certains pays comme le Burkina Faso, le Nigeria et le Sénégal, où le paludisme fait des ravages, ne sont pas épargnés par le virus. Elle met aussi en garde ceux qui pensent que le vaccin contre la pneumonie peut les protéger, mais incite par contre les populations qui le peuvent à se faire vacciner contre la grippe, la maladie ayant des symptômes proches de ceux du Covid-19.
Une immunité « génétique »
Et si les Africains étaient protégés par leur ADN, qui, pour une raison restant à déterminer, serait plus robuste face au coronavirus ? L’hypothèse est loin de faire l’unanimité – à l’institut Pasteur, Pierre-Marie Girard « ne voit pas très bien pourquoi » une telle spécificité existerait – et demandera du temps pour être explorée.
Le professeur camerounais Christian Happi, spécialiste en génomique, qui partage son temps entre l’université Harvard et le Nigeria, n’exclut pas tout à fait cette possibilité : « Les Africains sont exposés à beaucoup de maladies, donc il est possible que leur organisme réagisse mieux. Il faudra chercher les anticorps pour le savoir, mais c’est possible. Après Ebola, on a vu que beaucoup de gens au Nigeria avaient été exposés à la maladie mais ne l’avait pas développée. »
Une autre version du virus
Idée qui se rapproche de la précédente : puisqu’il semble maintenant que plusieurs souches différentes du Covid-9 sévissent sur la planète (jusqu’à huit formes distinctes), peut-être que celle qui est présente en Afrique est moins agressive ? Ce qui pourrait expliquer aussi le fait qu’on semble y recenser plus de cas asymptomatiques qu’ailleurs.
Amadou Gon Coulibaly s'est rendu samedi à Paris pour un « contrôle médical », selon la présidence qui n'a révélé aucune information quant à son état de santé
Le premier ministre ivoirien Amadou Gon Coulibaly s'est rendu samedi à Paris en France pour un « contrôle médical », a appris APA auprès de la présidence ivoirienne.
L'intérim de M. Gon Coulibaly est assuré par Hamed Bakayoko, ministre d'État, ministre de la défense, précise un communiqué de l'exécutif ivoirien signé par Patrick Achi, le secrétaire général de la présidence de la République.
Le 24 mars dernier, le premier ministre ivoirien, s'était mis en quarantaine après un contact avec une personne déclarée positive au Covid-19. Après cet auto-confinement, la primature ivoirienne a annoncé à nouveau dans un communiqué le 30 mars dernier que le chef du gouvernement ivoirien a été testé négatif à deux reprises à la maladie à Coronavirus.
Âgé de 61 ans, M. Gon Coulibaly, qui est le premier ministre ivoirien depuis 2017, a été désigné comme candidat du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix ( RHDP, parti d'Alassane Ouattara) à la présidentielle d'octobre prochain.
par Franck - Hermann EKRA
ALIOUNE DIOP, LA GRANDE OMBRE DES LUMIÈRES TRANSAFRICAINES
La silhouette d'Alioune Diop fut de tous les rendez-vous de la pensée - Métronome de la circulation des idées, il favorisa avec le concours de la trinité de la négritude (Césaire, Senghor, Damas), le bouillonnement du Paris Noir
" Il y a 40 ans Alioune Diop s'éteignait à Paris. Que le voile de l'oubli ne tombe pas sur sa mémoire "...
Ces mots simples et intenses reçu aujourd'hui de l'une des filles du défricheur de talents et organisateur de l'intelligentsia transafricaine que fut Alioune Diop, nous rappellent à l'impératif de mémoire et au devoir de reconnaissance envers un homme auquel nous devons tellement d'éblouissement.
Dans " Les précurseurs de Kafka ", un essai d'archéologie du savoir, Jorge Luis Borges identifie les figures qui ont rendu possible l'éclosion du génie de Prague. Quiconque entreprendrait dans le paysage intellectuel de l'Afrique d'après la seconde guerre mondiale une rétrospective similaire, croiserait les pas de ce meneur d'hommes à presque toutes les intersections. Les grandes dates qui jalonnent le parcours des clercs africains sont liées au fondateur de la Revue puis des éditions Présence Africaine.
En fait de présence, la silhouette de Alioune Diop fut de tous les rendez-vous de la pensée. Initiateur à Paris puis à Rome, avant les indépendances, des premier et second Congrès des écrivains et artistes noirs en 1956 et 1959, il inspira en 1966 le Festival Mondial des Arts Nègres qui se tînt à Dakar et vit triompher les princes du verbe que furent Léopold Sédar Senghor et André Malraux.
Métronome de la circulation des idées, il favorisa avec le concours de la trinité de la négritude (Césaire, Senghor, Damas), le bouillonnement du Paris Noir sous l'influence du mouvement Harlem Renaissance. Alioune Diop stimula les rencontres entre les plumes du Continent et celles d'outre-atlantique à partir de son carrefour parisien. L'écrivain étasunien Richard Wright appartient à cette déferlante, cette vague prometteuse de lendemains enchanteurs.
Ce hub fut le foyer de la protestation morale des grandes voix de l'émancipation et des savoirs ethnographiques endogènes. Fédérateur, il faisait cohabiter des sensibilités aussi hétéroclites que celles de Léopold Sédar Senghor et de son cadet Cheikh Anta Diop.
Le Congrès de la Sorbonne réunissait les Haïtiens Jean Price-Mars, Jacques-Stephen Alexis, René Depestre et l'Ivoirien Bernard Dadié pour lequel ce raout constitua une sorte de révélation de l'interchangeabilité des situations de domination.
Dadié publia plus tard " Iles de tempête ", un drame auquel l'île magique, tient lieu de décor historique. Jacques-Stephen Alexis, auteur chez Gallimard de " Compère Général Soleil ", développa dans les colonnes de la Revue Présence Africaine sa théorie du réalisme merveilleux. Dadié publie en 1959 chez Présence Africaine une de ses chroniques sur les grandes métropoles, "Un Nègre à Paris ". Sur Rome il consigna également des notes de voyage et de curiosités qu'il publia en 1969 par l'entremise de l'éditeur qui fut un ami bienveillant. C'est le sujet de sa chronique citadine, " La ville où nul ne meurt ".
Protégé de Abdoulaye Sadji avec lequel il avait milité au cours de ses années dakaroises au Comité d'études franco-africaines et au Rassemblement Démocratique Africain (RDA) de 1945-1946 à son retour en Côte d'Ivoire en 1947 pour rejoindre la section ivoirienne du RDA, Dadié doit à ce compagnonage et à ce bouillon de culture la transposition littéraire du patrimoine de l'oraliculture, celui des contes.
Maximilien Laroche et Laennec Hurbon ont montré dans leurs travaux sur les cultures populaires, la prégnance des contes de Bouki et Malice, la version haïtienne des fabuleuses histoires ouest-africaines de Bouki l'hyène et Leuk le lièvre, dont Senghor et Sadji sont les plus célèbres passeurs. Alioune Diop a fait éclore le talent littéraire de Dadié autant que Pierre Seghers et Gabriel D'Arboussier. Senghor l'avait pressenti en 1944 à Dakar sans que cela ne se concrétise par une publication.
Il y aurait tellement à dire sur Alioune Diop et sur l'aventure séminale de Présence Africaine !
Avant le début du confinement je m'étais rendu Rue des écoles devant la grille close de la librairie, sur les traces des deux poètes dont la médiation m'accompagne (Dadié, Senghor) pour m'imprégner de cette ambiance de l'immuable quartier latin.
À l'heure de repenser d'un point de vue prospectiviste l'Afrique d'après les hégémonies... je songe à ces clercs épris de fraternité universelle, qui n'ont pas hésité à interpréter le monde à travers un idéal de justice, de dignité, de liberté retrouvées.
Honneur à Alioune Diop auquel Frédéric Grah Mel consacre une très instructive biographie aux Presses Universitaires de Côte d'Ivoire (PUCI) : "Alioune Diop le bâtisseur inconnu du monde noir ".
EN GUINÉE, L'EFFET RÉVÉLATEUR DU CORONAVIRUS
Si le nombre de décès reste faible, la progression rapide du nombre de cas inquiète, souligne les défaillances du système sanitaire, fragilise l’économie quotidienne et cristallise la défiance envers le gouvernement
Si le nombre de décès reste faible en Guinée, la progression rapide du nombre de cas inquiète, souligne les défaillances du système sanitaire, fragilise l’économie quotidienne et cristallise la défiance envers le gouvernement, quatre ans après la fin de l’épidémie d’Ebola.
Front contre front, les yeux lancent des éclairs. On s’empoigne, on s’invective le doigt pointé vers le ciel. On fait mine de s’éloigner avant de revenir à la charge, retenu par les copains. Parmi la cinquantaine de badauds venus mettre leur grain de sel dans ce banal accrochage, deux ont le visage couvert. Les autres portent leur masque au menton, sur le front ou suspendu à l’oreille.
Dix jours après l’entrée en vigueur du port obligatoire de la bavette pour lutter contre la propagation du coronavirus, la mesure est surtout respectée sur les axes contrôlés par la police.
Conakry enregistre officiellement sept décès de coronavirus. Un chiffre dérisoire comparé au paludisme (6 000 à 9 000 morts en 2017, estime l’OMS) mais le nombre de cas monte en flèche et la Guinée figure désormais dans le trio des, pays les plus touchés d’Afrique de l’ouest.
« C’est signe que nous testons les bonnes personnes », explique Bouna Yattassaye qui dirige l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSS) depuis que le Dr Sakoba Keïta a été testé positif au Covid-19.
Épidémie sous-estimée
Mais la capacité journalière de 250 tests « ne permet pas d’identifier tous les cas », insiste dans son premier rapport le conseil scientifique. L’ampleur de l’épidémie pourrait être sous-estimée, de même que le nombre décès.
La population, très jeune (77% a moins de 35 ans, selon le PNUD), semble mieux protégée contre les complications, mais d’autres données suscitent l’inquiétude : plusieurs centaines de cas notés « à rechercher » par l’ANSS, des patients « perdus de vue », ni hospitalisés ni confinés, dans la nature.
« La hausse brutale du nombre de cas s’explique aussi par le refus de certains patients d’être pris en charge », poursuit le Dr Yattassaye. Ici, le virus est arrivé par l’élite, voyageuse et réticente à se faire soigner dans son pays. « Des personnes influentes et très sollicitées, ajoute-t-il. Leur chaîne de contamination affiche 82% de positivité. »
Donka, premier hôpital du pays, en rénovation depuis quatre ans, rouvre précipitamment pour accueillir les malades. Il faut creuser des forages pour l’alimenter en eau. Sa directrice Fathou Sikhé Camara est testée positive. Les patients se plaignent des conditions d’accueil et de l’insalubrité des locaux.
« Donka atteint sa capacité maximum », reconnaît le Dr Yattassaye, assurant que la Guinée va « doubler sa capacité en lits » avec l’ouverture de nouveaux centres dans les prochains jours.
Ebola, que reste-t-il ?
Au sortir de la crise Ebola (2 500 morts de 2013 à 2016), le président Alpha Condé avait déclaré que l’épidémie serait « une opportunité pour renforcer [les] capacités hospitalières », promettant la construction d’hôpitaux dans toutes les préfectures. « Une utopie » lance, amer, l’opposant Cellou Dalein Diallo.
« Ebola nous a surtout enseigné à détourner des fonds internationaux », soupire un acteur associatif, sous couvert d’anonymat. « ll ne reste rien des millions déversés sur le pays. » Beaucoup craignent que le « Corona business » succède à « l’Ebola business » alors que la Banque mondiale pointe une « surestimation » de 40 millions de dollars sur la facture d’électricité du plan de relance économique.
Les ONG déplorent le « manque de coordination », des « luttes de pouvoir et des rivalités personnelles » qui ralentiraient la riposte. « La gestion des fonds suscite une guerre entre le ministère de la Santé et l’ANSS », explique un haut cadre du ministère, sous couvert d’anonymat.
Plus optimiste, le Dr Yattassaye dit « capitaliser sur l’expérience acquise », les ONG déjà présentes (MSF, ALIMA) et surtout les centres de traitements des maladies infectieuses à potentiel épidémique (CTPI) de l’intérieur du pays installés au temps d’Ebola. Ces derniers, laissés à l’abandon, sont aujourd’hui en cours de réactivation.
Propagation dans l’intérieur
Les acteurs de la riposte craignent que la maladie suive la trajectoire inverse du virus Ebola en se propageant de la capitale vers les régions les plus reculées qui sont aussi les moins équipées. « C’est probablement déjà le cas », s’inquiète l’un d’eux, soulignant qu’un seul laboratoire réalise actuellement des tests en région.
Malgré les barrages, l’interdiction de quitter Conakry n’est pas respectée, reconnaît le gouvernement dans un communiqué. Une femme testée positive à Conakry a été retrouvée dans la ville de Kankan, à plus de 600km de la capitale.
Quant au concept de distanciation sociale, « c’est presque étranger à notre culture où le contact est essentiel, où toutes les activités quotidiennes se font en commun dans des espaces réduits », explique le sociologue Alpha Amadou Bano Barry.
« Pour les gens, c’est une maladie "d’en haut". Ils ont des priorités plus urgentes comme se nourrir au quotidien », ajoute-t-il. L’inflation, habituelle en période de ramadan, est démultipliée par les restrictions sanitaires. Depuis que le nombre de passagers est limité à trois par véhicule, le prix du transport a doublé. Les mesures d’aide annoncées par le gouvernement tardent à faire sentir leur effet.
Covid-19 et politique
Les acteurs de la riposte redoutent une « triple crise » sanitaire, économique et politique. L’opposition accuse directement le gouvernement d’avoir favorisé la propagation du virus en organisant le double scrutin législatif et référendaire du 22 mars 2020. Le président de la Commission électorale nationale indépendante Me Salif Kébé est décédé du coronavirus deux jours après la proclamation des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle, suivi par le secrétaire général du gouvernement.
Depuis l’installation de la nouvelle Assemblée nationale en dépit de l’interdiction des rassemblements, le Front national de défense de la Constitution estime que la trêve sanitaire est rompue. Pour avoir appelé à reprendre les manifestations, l’un de ses membres, Oumar Sylla, est incarcéré à la maison centrale de Conakry qui compte un cas et plusieurs décès suspects. D’autres opposants auraient été transportés vers un camp militaire de Haute-Guinée.
Human Rights Watch pointe la responsabilité présumée des forces de sécurité dans des cas de pillages ou d’abus à la faveur du couvre-feu qui « exacerbent une méfiance déjà profonde envers les autorités, créant un obstacle supplémentaire à la lutte contre le Covid-19 ».
« Avec un tissu social fragilisé, notre crainte est que les mesures sanitaires se retournent contre nous », s’inquiète le Dr Yattassaye. Cette semaine lors d’une rencontre avec le corps médical, le président Alpha Condé, tapant une nouvelle fois du poing sur la table, a exigé que l’épidémie soit maîtrisée « avant la saison des pluies ». Or à l’horizon pointent déjà d’épais nuages.
par Jean-Baptiste Placca
AUDIO
POURQUOI LA NON-COMMÉMORATION DES 60 ANS DES INDÉPENDANCES DÉRANGE SI PEU LES AFRICAINS ?
Et s’il n’y avait tout simplement rien à célébrer ? Au fond, ce que les peuples concernés ont de mieux à faire est de s’interroger sur le sens de ce qu’ils ont vécu, tout au long de ces six décennies
Cette année était censée marquer le 60e anniversaire des indépendances de la plupart des Etats africains. A cause de la pandémie, cette commémoration est réduite à sa plus simple expression, mais peu de gens s’en émeuvent.
Nathanaël Vittrant :ces commémorations seraient-elles moins importantes que l’on ne l’imaginait pour les peuples africains ?
Et s’il n’y avait tout simplement rien à célébrer ?
Au fond, ce que les peuples concernés ont de mieux à faire est de s’interroger sur le sens de ce qu’ils ont vécu, tout au long de ces six décennies. Et de se demander ce qu’il y a lieu de faire, pour que les prochaines générations n’en soient pas à s’interroger, dans quarante ans, sur ce à quoi a bien pu leur servir un siècle d’indépendance.
Sur ce continent où l’on affectionne s’essayer à lire dans l’âme du temps, ces non-commémorations interpellent, tel un avertissement. Au regard du taux théoriquement insignifiant des cas signalés, la vie devrait suivre sereinement son cours en Afrique. Sauf qu’à quelques exceptions près, les systèmes de santé sur le continent, comptent parmi les plus défaillants de la planète. Et il semble évident que l’Afrique se relèvera encore plus mal en point que les autres, de cette pandémie. Ce qui nous emmène à la question tant refoulée : qu’avons-nous fait de nos indépendances ?
Est-ce qu’elle serait taboue, cette question ?
Peut-être pas, mais elle pousse à déterminer les responsabilités, au-delà de la vie trépidante d’une capitale surpeuplée, aux artères embouteillées dès les premiers rayons du soleil, et qui peut donner une impression de progrès. Comme ces beaux immeubles et villas somptueuses qui cachent les bicoques et autres taudis insalubres des bas-fonds, pour donner une illusion de développement. L’on peut alors entendre tel gouvernement feindre la magnanimité, en annonçant une gratuité ponctuelle de l’électricité, dans un pays où plus de la moitié de la population ne sait même pas ce que c’est que l’électricité.
Cette propension à croire que parce qu’ils vivent bien, eux, leurs peuples ne peuvent qu’être heureux trahit un rapport exclusif et possessif au pouvoir politique, qui a varié, mais peu changé, depuis soixante ans.
Et en quoi consiste ce rapport exclusif et possessif ?
Dans de nombreux pays du continent, dès 1960, les adversaires politiques ont très vite été jetés en prison, contraints à l’exil ou éliminés. Mais ceux qui étaient avec le pouvoir en tiraient quelques avantages, indépendamment de leurs origines. Au fil du temps, ces privilèges sont passés au groupe ethnique du président, pour aboutir, aujourd’hui, à la privatisation de la mangeoire par la famille présidentielle et un tout petit clan.
Ce rapport au pouvoir explique pourquoi la tentation du coup d’État est demeurée vivace, depuis soixante ans sur ce continent. Sur la trentaine de pays qui ont accédé à la l’indépendance en 1960, cinq à peine ont survécu aux coups d’État de la première décennie.
Quels sont ces 5 élèves modèles ?
Mettez bien ce qu’il faut de guillemets à « élèves modèles ». Car quatre d’entre eux (Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon et Sénégal) jouissaient d’une assurance tous risques : la protection de la France. Le cinquième, la Guinée de Sékou Touré, était plutôt poussé dans ses derniers retranchements, par la France, et n’a dû sa survie qu’à une certaine paranoïa, qui s’expliquait, beaucoup de violence politique, et même une dictature assumée. Pendant ce temps, à Abidjan, Dakar, Libreville et Yaoundé, la France veillait à la quiétude des pouvoirs amis.
par Mamadou Yéro Baldé
L'AFRIQUE ET LA « GOUVERNEMENTALITÉ DE LA COMPASSION »
EXCLUSIF SENEPLUS - Compatir pour l'Afrique en annulant sa dette. De quelle dette, s'agit-il ? Plus qu'un leurre, il y a là un néocolonialisme postcovidien en gestation
Le 27 mars 2020 - alors que le/la COVID-19 infligeait à l'Europe et à l'Amérique des leçons d'humilité, en mettant à nu les faiblesses structurelles de leurs systèmes sanitaires et économiques - le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres affirmait, dans une interview, qu'il « faut absolument faire de l’Afrique une priorité de la communauté internationale. Cela veut dire un investissement massif et du point de vue de la capacité des équipements, des équipements de tests, des équipements de respirateurs, des équipements pour que les médecins et les autres travailleurs de santé puissent être vêtus, de masques ». Sinon, poursuit-il prophétiquement, « sans cette mobilisation gigantesque, je crains qu’on ait en Afrique des millions et des millions de personnes infectées. Et même si la population est plus jeune que dans le Nord, les pays développés, il y aura nécessairement des millions de morts ».
Avant le patron de l'ONU, c'était le Directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, lors d’une conférence de presse virtuelle à Genève, qui appelait l'Afrique à « se préparer au pire ». Dans la foulée, le président Emmanuel Macron, qui s’adressait à la Nation française sur la propagation du coronavirus, a demandé - après que le président Macky Sall ait soulevé la question - aux partenaires bilatéraux et multilatéraux d’accompagner l’Afrique, en « annulant massivement sa dette ».
Nonobstant ses multiples richesses, « l'Afrique serait-elle le lieu privilégié d'une économie morale de la compassion ? ». En clair, la compassion pour l'Afrique relève-t-elle de l'ordre d'une gouvernementalité internationale de l'humanitaire, de l'asphyxie ou de la domination ? En nous inscrivant dans le temps long de l'histoire ou dans ce que François Hartog qualifie de « régime d'historicité » pour désigner « une formulation savante de l'expérience du temps » modelant « nos façons de dire et vivre notre propre temps », on se rend compte aisément qu'une telle posture compassionnelle est justificative de desseins non avoués à court et/ou long terme. La domination et la mise sous perfusion d'un continent-avenir.
La politiste Nadine Machikou dans un article titré « CumpatiorAfrica : la production politique des régimes du proche » retient « trois territoires privilégiés des entreprises compassionnelles : les biens de salut et de civilisation [durant la période coloniale], l'aide au développement et les interventions humanitaires », avec en filigrane la coopération bilatérale et multilatérale. Si l'on s'en tient à la sentence gaullienne selon laquelle « les Etats n'ont pas d'amis, mais que des intérêts », il convient de se poser des questions sur ce paternalisme alarmant occidental sur l'Afrique.
Compatir pour l'Afrique en annulant sa dette. De quelle dette, s'agit-il ? De quel surendettement, est-il question ? Plus qu'un leurre, il y a là un néocolonialisme postcovidien en gestation. Le catéchisme économique sur l'Afrique est en fait stratégique. D'ailleurs, l'économiste Felwine Sarr a soutenu, récemment, que « du point de vue structurel, l’Afrique n’est pas surendettée. C’est faux. Le continent a un ratio dette sur PIB de 60%, ce qui est soutenable. Dans les 15 pays les plus endettés au monde on trouve des grandes puissances économiques comme le Japon (en 1ère position avec un endettement à hauteur de 238 % de son PIB), les Etats-Unis (105%) ou la France (100,4%)...En volume, la dette africaine représente environ 500 milliards de dollars, soit 0,2 % de la dette globale. Le problème c’est que “la dette africaine” est devenue un totem. Une notion que l’on n’interroge pas et qui va de soi ». (https://afrique.tv5monde.com/…/coronavirus-les-europeens-si…. Visité le 1er mai 2020).
Des indépendances à nos jours, l'Afrique est la cible de toutes formes d'assistance et de compassion, nourries par l'occident et entretenues par nos propres leaders qui, du coup, banalisent cette stigmatisation du continent à des fins clientélistes. Le changement s'impose. Heureusement que la jeunesse africaine a compris que le « déferlement compassionnel » et la politique de l'aide sont des appâts accrochés sur l'hameçon de la colonisation moderne.
L'espoir semble venir de villes africaines comme Antananarivo qui - à travers son remède Covid-organics et quelles qu'en soient ses éventuelles limites - brave la « norme » faisant de l'Occident un « Samaritain médical » et montre que le messianisme peut aussi venir des « Suds ». Ce vent de Révolution qui souffle en Afrique, porté par de jeunes leaders se doit d'être approprié par les Africains eux-mêmes, contre vents et marées. Car, «siréellement l’égalité intellectuelle est tangible, [disait Cheikh Anta Diop], l’Afrique (et la diaspora africaine) devrait sur des thèmes et [des choses] controversés (...), être capable d’accéder à sa vérité par sa propre investigation intellectuelle et se maintenir à cette vérité jusqu’à ce que l’humanité sache que l’Afrique ne sera plus frustrée, que les idéologues perdront leur temps, parce qu’ils auront rencontré des intelligences égales qui peuvent leur tenir tête sur le plan de la recherche de la vérité [et du développement] ». Une Afrique, décomplexée à l'ère du/des incertitude(s) occidentale(s), est une aubaine contre toute « gouvernementalité compassionnelle » théâtralisant les relations Nord-Sud.
Mamadou Yéro Baldé est Docteur en Histoire.
PS: Pour mieux saisir la notion de compassion dans la gouvernementalité mondiale, lire l'article de Nadine Machikou « Cum patior Africa : la production politique des régimes du proche », Achille Mbembé et Felwine Sarr (sous la direction de), Politique des Temps. Imaginer les devenirs africains, Dakar, Philippe Rey/Jimsaan, 2019, pp. 277-317.