UN CONTRE CINQ, EXPLICATION DE TEXTE
Nous pouvons nous interroger sur la pertinence de ce « sommet » médiatisé à outrance et sur son rapport qualité/prix. Plus que les flatteries, ce qui choque le plus, c’est le rôle attribué à Trump comme délivreur de la médaille de leadership

Dès les premières images et au vu du format, on a conscience du rapport des forces et que la partie est perdue d’avance. D’un côté de la table, sont alignés cinq chefs d’état, tout esseulés, leurs dossiers posés sagement devant eux. Leur faisant face, un bouledogue couleur d’huile de palme, goguenard, les mains croisées, sans note mais qui a pris soin de s’entourer de ses collaborateurs.
A la balance des egos il ne pèse à l’évidence pas le même poids que ceux auxquels il s’apprête à faire subir un grand oral et on sent qu’il n’a pas de temps à perdre et qu’il ne se laissera pas marcher sur les pieds. D’ailleurs il ne tarde pas à en donner la preuve en rabrouant le premier orateur qu’il invite à se contenter de donner son nom et celui de son pays… Il n’est pas sûr qu’il les ait gardés en tête à l’issue de la rencontre !
Les médias ont parlé de « visites officielles », ce qui est un abus de langage car une visite officielle est le fruit d’un accord bilatéral, avec des dates, des modalités et des objectifs fixés d’accord parties, alors que cette rencontre est le produit de l’initiative personnelle d’une seule partie, sans qu’il y ait possibilité d’en modifier le calendrier ou d’en arrêter l’ordre du jour. C’est plus une convocation qu’une invitation.
Si l’on ne peut que spéculer sur les critères à partir desquels a été établi ce groupe un peu disparate, il est probable que ce n’est pas Donald Trump en personne et en connaissance de cause qui en a dressé la liste. Il ne sait pas grand-chose de l’Afrique, même pas que le Libéria est en quelque sorte la seule « colonie » que les Américains y ont eue et que, bien évidemment, on y parle anglais !
Ses services ne lui ont pas facilité la tâche. Ils auraient pu lui proposer d’ouvrir le défilé par les rares démocraties émergentes africaines (Cap-Vert, Maurice, Botswana, Namibie… et Sénégal). Hypothèse il est vrai absurde, car la démocratie n’est pas la préoccupation principale de Trump, ou plus logiquement et dans la foulée de son implication dans la crise en Afrique Centrale, de choisir comme première fournée les pays de l’AES et les ancien et nouveau président de la CEDEAO, pour donner plus de crédit à la réputation de grand solutionneur de crises internationales dont il se prévaut. Ou encore, plus simplement inviter les pays africains les plus puissants (histoire d’ouvrir un débat sur l’octroi à l’Afrique d’un siège permanent au Conseil de Sécurité), ou des pays anglophones, pour un dialogue direct sans intermédiaires, ou uniquement des pays francophones, par curiosité exotique et en ne sollicitant que les services d’un seul interprète !
Mais Trump n’est pas du genre à faire simple quand il y a plus compliqué. Ses invités s’expriment, normalement, dans quatre langues internationales, leurs pays rassemblent à peine 30 millions d’habitants (soit 1/50 de la population de l’Afrique), et aucun d’entre eux n’est un « tigre » à l’échelle continentale ou ne recèle ces fameuses terres rares qui ont la réputation de le faire saliver !
Mais au moins le président américain ne courait aucun risque face à de si frêles invités, qui probablement, n’ont pas pris le temps de se concerter, d’arrêter un plan de bataille, d’harmoniser leurs positions, de se répartir les tâches. Ils semblent s’être plutôt concentrés, chacun de son côté, à partir de ce qu’ils savaient sur le sujet à travers la presse et avec l’aide de leurs experts, à analyser ses comportements erratiques dans des situations similaires et à en tirer une ligne de conduite. On peut dire, après les avoir écoutés, qu’ils avaient abouti aux mêmes conclusions et adopté les mêmes postures : couvrir de fleurs leur hôte, parler chacun pour soi, et surtout éviter les sujets qui fâchent.
Flatter Trump, personne n’y échappe. Il adore ça, mais encore, fallait-il trouver un bon angle d’attaque. Hélas ! Faute de discernement, celui que ses cinq invités ont sorti de leurs manches n’est ni pertinent ni original car le couronner comme le champion de la paix dans le monde, voire futur Prix Nobel, n’est pas que prématuré.
C’est venant de chefs d’Etats africains, un manquement à la solidarité entre les nations les plus faibles faces au diktat des grandes puissances. C’est une insulte aux dizaines de milliers de morts et aux centaines de milliers de blessés Gazaouis. Car, plus encore que ses prédécesseurs, Trump arme Israël, justifie ses crimes et oppose son veto à la condamnation de la guerre la plus sale du monde puisqu’elle est menée contre des civils désarmés, des femmes et des enfants principalement. C’est aussi avoir la mémoire courte puisque c’est sur de faux prétextes, qu’il avait quelques jours auparavant, lancé ses bombes contre un pays avec lequel il n’était pas en guerre, au mépris des lois internationales.
Quant à son intrusion, citée à l’envi mais encore nébuleuse, dans le conflit entre la RDC et le Rwanda, elle s’est faite sans concertation avec l’Union Africaine et les organisations régionales et son objectif principal n’était pas le rétablissement de la paix mais de garantir aux Etats-Unis, l’accès aux mines que recèle cette partie de l’Afrique.
Mais plus que les flatteries, ce qui choque le plus, c’est le rôle attribué à Trump comme délivreur de la médaille de leadership. Rendre visite au président d’un pays avec lequel on entretient des relations dans de nombreux domaines est un acte normal dans les rapports entre nations. Mais celle que les présidents africains ont effectuée à la Maison Blanche est célébrée comme un privilège et un grand « honneur ». C’est galvauder ce terme car s’il y a utilité, voire nécessité, à rencontrer le président du pays le plus puissant du monde, il n’y a pas, à proprement parler « d’honneur » à être reçu par un homme qui a traité leur continent de « pays de m…. », qui depuis une dizaine d’années, fait l’objet de poursuites judiciaires ( dont certaines ont abouti à des condamnations) pour des affaires de mœurs, de détournement d’argent de violation de la loi et du droit, de complot contre l’Etat. Un président qui foule aux pieds toutes les règles de la coopération internationale et qu’un journaliste a qualifié de « parrain mafieux international » en raison de ses interventions intempestives dans la politique intérieure de plusieurs états, en cherchant notamment à empêcher la condamnation de délinquants comme Bolsonario ou Netanyahou.
L’accueil fait à son retour à Libreville au président gabonais, gambadant avec sa casquette trumpéenne comme s’il avait remporté la victoire de Gaugamèles ainsi que les parades dans les rues qui ont suivi sont d’une indécence confondante…
Après avoir chatouillé l’ego démesuré de leur hôte, les présidents africains ont utilisé le temps qu’il leur avait imparti pour lui faire du charme. L’opération consistait, pour chacun d’eux, à mettre en valeur le petit truc qu’il a de plus que les autres, à faire l’énumération de ce qu’il pouvait offrir, un peu comme un demandeur d’emploi dresse la liste de ses diplômes.
Mais attention, il fallait jouer solo au lieu d’unir les forces du groupe en mettant en exergue certains problèmes communs comme le pillage des eaux marines, l’accélération de l’érosion marine et de la désertification etc., qu’une administration américaine plus soucieuse de transition écologique pourrait aider à résoudre. Il fallait être précis et concret, faire du « retenez-moi sinon je vais ailleurs », se rappeler que Trump ne connait pas la coopération multilatérale.
Son seul sujet d’intérêt ce sont les bonnes affaires, le donnant-donnant, à condition que ce soit lui qui tire les ficelles, comme les Européens en ont fait l’amère expérience. Il ne lui a surement pas échappé, à son grand plaisir, que même ses hobbies semblent passionner ses collègues africains puisque c’est la deuxième fois en quelques mois qu’ils font appel à son passe-temps préféré, le golf, pour entrer dans ses bonnes grâces. Mais à raison de cinq présidents africains par lot de visiteurs, il lui reste encore au moins neuf autres audiences à programmer. Trouvera-t-il le temps, dans les trois années qui lui restent, de faire le tour de toutes les opportunités qu’offre l’Afrique ?
Le dernier postulat qui fonde la réaction des présidents africains découle de la déconfiture publique de leur collègue ukrainien et dans une moindre mesure, du ferraillement auquel avait dû se livrer Cyril Ramaphosa, premier président africain reçu par Trump. Ils se sont donc abstenus de parler de ce qui fâche, n’ont pas soufflé mot sur la fermeture des frontières américaines à leurs travailleurs, chercheurs et étudiants, ni sur l’expulsion brutale et massive des immigrés, ni sur la suspension précipitée de l’US-AID et du MCA qui met en danger de mort des milliers de malades, ni sur la fin de l’AGOA et la hausse excessive des tarifs douaniers qui risque de mettre en faillite de nombreuses entreprises, ni sur la menace qui pèse sur le rapatriement d’argent par les diasporas africaines…
Bref tout ça pour ça ! Nous pouvons nous interroger sur la pertinence de ce « sommet » médiatisé à outrance et sur son rapport qualité/prix. Les cinq invités auxquels Trump a consacré moins de temps qu’à l’émir du Qatar (2,5 millions d’habitants pour 11.000 km2), avant de les « reverser » à des interlocuteurs d’échelon inférieur, sont rentrés sinon bredouilles, du moins sans avoir reçu une réponse satisfaisante aux seules questions qui comptent aux yeux de leurs mandants .
A moins que Trump ne les ai invités que pour une raison : les amener à accepter d’accueillir sur leurs territoires des criminels indésirables dans leurs pays d’origine!