HARO SUR UNE DÉMOCRATIE DES MÉDIOCRES
EXCLUSIF SENEPLUS -Le débat public sénégalais emprunte les catégories de la trumpisation du discours politique. C’est la fin du politique comme compétition des réponses aux questions que les citoyens se posent, pour verser dans le spectacle le plus abject

Depuis quelques jours, un affrontement oiseux oppose deux représentants de la nation sénégalaise, actant une nouvelle fois le parachèvement du processus de clochardisation de la politique. D’une éthique de responsabilité et de service du plus grand nombre, le politique se travestit et se mue en une farce par l’œuvre de bouffons. Quand le grotesque et l’indignité se substituent à l’éthique, la hauteur et la rigueur, l’acte politique devient instrument de monstration d’une médiocrité étouffant le débat public.
Ici aussi les protagonistes sont des éléments hors du commun d’un espace qui minore la raison au profit du spectacle de lutte durant lequel tous les coups sont permis.
Un homme politique connu pour bâtir son action sur des mécanismes discursifs d’outrance et d’outrage ne cédant à aucune limite érigée par la civilité des relations et des interactions dans l’espace politique. L’usage des réseaux sociaux par lui-même et ses partisans zélés vient couronner la tactique morbide de l’affrontement permanent, du tir sur tout et tous azimuts pour exister par le feu et non par la pondération et la rigueur argumentative.
L’autre concurrent dans cette course aux insanités n’existe que par la légitimité du jus sanguinis. Aucune qualité technique. Aucun charisme politique. Aucune preuve de compétence n’est brandie pour justifier sa présence au cœur de l’État, s’occupant d’ailleurs de tout, surtout dès lors que les espèces sonnantes et trébuchantes sont au menu.
Les deux, sombrant dans le ridicule, nous disent, au-delà de leur joute puérile, quelque chose de plus profond de la politique dans notre époque. En effet, nous assistons depuis une quinzaine d’années à une dépolitisation de la politique devenue lieu d’expression non plus d’un antagonisme idéel mais d’un cabinet de curiosités peu étanche à toutes les passions tristes, même les plus sordides. Les raisons de cet affaissement du débat public sont nombreuses et largement documentées, mais les énumérer n’est pas le propos ici. En tous les cas, le débat public sénégalais emprunte les catégories qui rappellent une trumpisation du discours politique ; mécanisme qui ignore les arguments et l’expression d’une vision du monde au profit des insultes, des anathèmes et des excès en tous genres.
C’est la fin du politique comme compétition des réponses aux questions que les citoyens se posent, pour verser dans le spectacle le plus abject. Plus c’est gros plus ça passe, car l’incivilité devient la règle dans une démocratie forgée par l’opinion de la presse sensationnelle ou des réseaux sociaux.
Les deux belligérants, peu soucieux de la grandeur de la République ignorent aussi le contexte durant lequel ils exercent leur cirque de mauvais goût. La pandémie du coronavirus, plus grave crise sanitaire, économique et sociétale depuis près de 100 ans menace notre équilibre en tant que nation censée se mobiliser vers un objectif de progrès social. Le Mali et la Guinée, nations voisines et sœurs, se meuvent dans des crises sans précédent qui menacent notre pays. Les neurones de nos intermittents du spectacle qui rivalisent d’ardeur pour s’insulter, ne sont malheureusement ni mobilisés par la fermeture unilatérale par Alpha Condé de sa frontière avec le Sénégal, ni par l’issue du coup d’État au Mali, ni par la réorientation de notre politique de développement avec le nouveau Plan d’actions prioritaires (PAP 2A).
Un homme politique a une exigence de contribution à la marche de sa société en s’élevant à la hauteur des grands enjeux de son époque pour espérer laisser sa trace dans l’histoire par le service à ses concitoyens. Ce que les belligérants nous montrent, et au-delà des deux, ils sont nombreux, est que notre pays actuellement souffre d’une carence d’hommes d’État dignes de s’élever aux hautes responsabilités de ministre ou de député.
Ce que le Sénégal est devenu est triste et renseigne à juste titre sur ce qui nous attend si aucune révolution n’est opérée.
Il est loin le temps où Senghor et Cheikh Anta, opposants irréductibles, croisaient le fer sur les idées, la grammaire, notamment la graphie d’un mot wolof.
Il est loin le temps où Abdoulaye Elimane Kane, grand philosophe, s’opposait à toute l’intelligentsia socialiste sur le concept de la voie africaine du socialisme.
Il est loin le temps où Amadou Mahtar Mbow quittait le gouvernement en 1968 sur fond de désaccord avec la politique de l’enseignement supérieur du Sénégal.
Il est loin ce temps, et c’est bien triste. Dorénavant, l’urgence est aux pitreries sur scène d’adultes peu responsables devant des millions de gens qui ont l’âge de leurs enfants