MAKHILY GASSAMA OU UNE VOIX MAJEURE DE LA LITTÉRATURE AFRICAINE
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans "Politique et poétique au sud du Sahara", le linguiste déconstruit les idées reçues et révèle une école littéraire panafricaine méconnue, où la beauté du Verbe se conjugue à la renaissance culturelle du continent

Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
« L’action est poésie. L’action doit être belle comme le Verbe » - El Hadj Mouhamadou Fodé Diaby, poète mandingue
Un recueil est un ouvrage qui réunit des écrits ou des documents. Cela peut aussi signifier une combinaison littéraire, une compilation de textes ou encore un répertoire de morceaux choisis. Il peut également constituer une collection, un corpus, un florilège de textes qui, par leur nature, deviennent des références de la littérature.
C’est le cas de l’ouvrage de Makhily Gassama qui opère des ruptures épistémologiques et offrant de nouveaux paradigmes, Politique et poétique au sud du Sahara, qui réunit des interviews de l’auteur et des extraits de discours et de textes historiques, scientifiques et en haut point littéraires qui ont été ici rassemblés.
Makhily Gassama appartient à cette catégorie d'intellectuels qui questionnent tous les endroits de la pensée, du discours, de la langue, de la politique et de la poétique. Linguiste, philologue, grammairien, maître en versification et professeur de littérature, Makhily Gassama est un théoricien érudit qui laisse la place à la connaissance fondatrice tout en faisant vivre l’imaginaire poétique et la beauté des savoirs.
Ainsi la publication hybride de cet ouvrage permet de rendre accessible l’analyse profonde d’un initié et d’un contemplateur actif au verbe conjugué à la franchise lumineuse, qui utilise parfois une pointe d’ironie et qui fait feu de tous les tabous. Ici, l’esprit est critique et éclairé par des connaissances interdisciplinaires qui ne laissent aucune place à l’improvisation ou à l’approximation.
La première partie de l'ouvrage est consacrée à diverses interviews que Makhily Gassama a données autour de la situation de l’Afrique de l’Ouest et son propos est toujours d’une grande clarté. Il est à la fois défenseur de la renaissance africaine, des langues africaines et des imaginaires continentaux tout en mettant au pilori les conduites politiques qui ne sont pas à la hauteur des enjeux du développement de l’Afrique.
Il souligne l’importance de la pensée critique, la nécessité de décoloniser les esprits et de reprendre les rênes du processus culturel africain. Sans les renier, il évoque tous les travaux sur l'Égyptologie tout en convoquant la dématérialisation de la terre des ancêtres pour les enjeux de l’Afrique noire. Il invite bien sûr à repenser l’histoire, la cartographie des royaumes, les ravages de l’esclavage, de la colonisation, le leurre des indépendances, la françafrique, la problématique de l’unité africaine et le néocolonialisme. Car, comme l’auteur le souligne, l’homme est un animal complexe que l’on ne peut réduire à sa seule survie économique ou à son seul désir d’être un savant, un homme de culture. Autant de sujets évoqués par Makhily Gassama sans tabou, avec une posture objective de l’intellectuel qui interroge son environnement, sans avoir peur de contredire la bonne convenance des discours. Il parvient à déconstruire toutes les bonnes idées reçues pour mieux rebâtir un socle africain sur des fondations saines. Il rappelle aussi que si la politique était honnête, délivrée de tout intérêt personnel et éprise de valeurs, la situation du continent africain serait autrement plus belle, comme on peut le voir en Asie ou en Amérique latine.
Selon lui, l’Afrique est une constellation de ressources inouïes mais la confiance des Africains en eux-mêmes n’est pas totale car la connaissance et l’estime de soi sont les piliers de l’épanouissement. Comment ne pas être d’accord avec cela ?
Quant à la deuxième partie, celle-ci s’ouvre sur l’immense territoire de la littérature négro-africaine qui s’étend de la poésie traditionnelle, de la poétique moderne jusqu’au romanesque. Makhily Gassama mentionne que le champ littéraire négro-africain est aussi vaste que le continent géographique et qu’il va même au-delà. Il précise qu’il préfère dire littérature africaine de langue française, cela lui semble plus juste que d’expression française, tout en rappelant que la littérature francophone est surtout africaine.
En analysant par exemple le travail des poètes de la Négritude, il apporte un élément fondateur de la construction poétique négro-africaine, celle de la contribution majeure de Léon-Gontran Damas qui est celui par qui le changement arrive, celui qu’il nomme le moule Damas, ce tam-tam enragé, qui de la langue française a défriché l’écriture pour travailler sur l’humus inexploré des langues africaines. Quelle révélation merveilleuse et savoureusement partagée ! Toujours selon Makhily Gassama, Aimé Césaire, notre Prométhée délivré, Léopold Sédar Senghor, cette braise ardente couvant dans la cendre et David Diop, ce chantre de l'Innocence et de l’Espoir, ne seraient pas les mêmes sans l’inventivité de Pigments, recueil poétique de Léon Gontran-Damas publié en 1937. Car Makhily Gassama est non seulement linguiste et grammairien mais également poète lui-même et le trait qu’il apporte est création et jubilation de notre poétique transcendantale. Il analyse la formation poétique négro-africaine comme des associations inattendues, des assonnances liées à la tradition orale, un écartèlement ontologique, des combinaisons assymériques, des fusions métaphoriques, tout cela porté par une langue française recomposée par l’imaginaire des résonnances africaines où les intermèdes visibles et invisibles cohabitent et où l’initation est poétique.
Plus encore, Makhily Gassama est en capacité de révéler la flûte enchantée de Karamoko Sitokoto Dabo, un poète mandingue au style satirique, emprisonné en Casamance car dissident du régime colonial. Il est en mesure d’analyser avec finesse et de traduire cette poésie écrite en langue mandingue et de nous apprendre que cette poésie est fluide et musicale parce qu’elle invente son propre rythme, en lien avec les danses et les musiques casamançaises. Plus loin, il explique encore que la poésie de Karamoko Sitokoto Dabo est insolite et expressive par un choix esthétique de vers impairs, ce qui entraîne une métamorphose métrique de la poésie classique passant de l’alexandrin à un vers de treize syllabes, une versification profondément africaine. Cette érudition confondante nous éclaire et nous transporte car Makhily Gassama est un critique littéraire qui exploite toute la scientificité qui est la sienne pour la partager avec nous, dans des éclairs de la beauté poétique africaine revisitée.
L’analyse des textes est absolument prodigieuse et les citations sont à l’essence d’une compréhension fine à travers l’étude de nombreux auteurs essentiels, parfois oubliés du paysage littéraire négro-africain. On peut y puiser ce que l’on cherche à la fois dans la parole poétique traditionnelle et moderne et dans la construction romanesque contemporaine tant la veilleuse de Makhily Gassama est accessible, lumineuse, voire incandescente.
Ainsi Makhily Gassama parvient ici à traduire l'existence d’une véritable école littéraire panafricaine sénégalaise qui va bien au-delà des conventions habituelles.
Et c’est ce regard qui est porté sur toute cette production qui importe, une vision juste et formée à l’histoire littéraire africaine qui va puiser dans tous ses symboles, à la fois culturels, historiques, métaphysiques, initiatiques, linguistiques et poétiques.
Ainsi, en lisant ce livre, nous faisons une longue plongée historique et littéraire pour nous armer de sciences avec le poids d’une philologie poétique négro-africaine à nulle autre pareille.
C’est aussi une réflexion profonde sur la propension universelle de l’Afrique, celle qui rend à l’Humanité toute sa sensibilité, son sens du collectif, du partage et de sa trajectoire poétique incarnée par les valeurs Ubuntu.
Lire cet ouvrage, publié en 2013, est une ressource incroyable car il est indémodable. Il peut se lire à tout moment car le contenu dépasse largement le cadre temporel. Selon nos préoccupations, qu'elles soient politiques, philosophiques, intellectuelles, historiques, poétiques, littéraires, on peut y revenir sans cesse. Il peut nous faire sourire, il peut nous accaparer, il peut provoquer toutes les émotions poétiques et romanesques, c'est si précieux.
Ce recueil est comme un rituel anthologique qui doit occuper toutes les tables de lecture tant il est riche d’enseignements et de transmission. Il pourrait être aussi un manuel scolaire tant il est inspirant, tant il nous redonne la force de croire en la poétique et en l’imaginaire de notre patrimoine littéraire
Vous dîtes que la littérature africaine de langue française est construite sur les vestiges d’une autre culture, nous disons que la littérature négro-africaine est mouvement, création plurielle, chant métissé de notre cosmogonie et inventive de nouveaux rythmes. Vous dîtes poésie ancestrale, vous dîtes poésie traditionnelle, nous disons poésie du présent.
Amadou Elimane Kane, écrivain poète.
Makhily Gassama, Politique et poétique au sud du Sahara, Abis éditions, collection Espace Pensée, Dakar, 2013.
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