LA COMMUNICATION, ANGLE MORT DU POUVOIR PASTEF
Après plus de quinze mois d’exercice du pouvoir, Pastef semble avoir atteint ses limites en termes de communication offensive. Sa stratégie de communication digitale percutante qui faisait sa marque de fabrique et qui lui avait permis de mobiliser...

«Quiconque insulte Ousmane Sonko, insultez-le en retour; quiconque insulte le président de la République, insultez-le !». L’oukase est de Birame Soulèye Diop. C’était à l’Université Gaston Berger, devant un parterre d’étudiants. La séquence est virale. Mais, elle est symptomatique de la communication de Pastef. Un parti né en 2014, qui a grandi dans l’épreuve et qui, dans un passé récent, avait révolutionné la communication politique. Ce point fort lui a permis, en dix années d’existence, de casser les codes de la communication et s’imposer dans un Sénégal où les jeunes, accros du digital, constituent la majorité. Ces jeunes, lassés par le discours classique des vieux dinosaures, ont trouvé en Ousmane Sonko et ses compagnons des hommes de rupture. Séduits par leur discours, ils se sont appropriés le «Projet» et se sont volontiers constitués en une «armée» du net, domaine où ils règnent en maîtres absolus et poussent le pouvoir de Macky Sall dans ses derniers retranchements.
Hélas, aujourd’hui, après plus de quinze mois d’exercice du pouvoir, Pastef semble avoir atteint ses limites en termes de communication offensive. Sa stratégie de communication digitale percutante qui faisait sa marque de fabrique et qui lui avait permis de mobiliser efficacement ses partisans dans un contexte d’opposition, malgré des moyens limités et une forte adversité, est aujourd’hui sévèrement mise à mal. D’aucuns pointent des failles dans cette stratégie, devenue inadaptée au contexte de gestion du pouvoir. Ces critiques pointent une transition ratée de l’opposition au pouvoir. En tant que parti d’opposition, Pastef excellait dans une communication réactive, dénonciatrice et mobilisatrice. Cependant, gouverner exige une approche proactive, visant à convaincre au-delà de sa base militante. Des spécialistes notent que le parti reste ancré dans une posture de confrontation, marquée par des constats, des dénonciations et une rhétorique de lanceurs d’alerte qui n’est pas adaptée à un parti de gouvernement.
Il y a, également, une certaine faiblesse dans la vulgarisation des actions. Depuis son arrivée au pouvoir, en effet, Pastef peine à relayer efficacement ses réalisations et à expliquer ses politiques. Les annonces officielles, souvent limitées à des canaux comme la Rts (médias d’Etat), manquent de relais pour toucher un public plus large. Cette lacune laisse un vide que les critiques et l’opposition exploitent. Si la maîtrise des réseaux sociaux était autrefois l’Adn du Pastef triomphant, elle est aujourd’hui perçue comme son point faible. Le parti semble avoir perdu sa capacité à fédérer en ligne, et ses cadres, même les plus aguerris, adoptent des postures qui nuisent à l’image du gouvernement. Il n’est pas rare de voir des ministres ou Dg de la nouvelle alternance faire leur propre promotion au détriment de la dynamique d’ensemble.
Il s’y ajoute un manque de coordination entre les actions des principaux acteurs. Le dernier exemple en date est la tenue du conseil national de Pastef suivi d’un message de son Président. Lequel message continue, jusqu’à maintenant, d’alimenter les discussions. Ce, alors que, au même moment, le président de la République, reçu la veille par son homologue américain, venait de rencontrer la direction de Boeing dans le cadre d’un partenariat avec Air Sénégal. Le message du Président de Pastef, par ailleurs Premier ministre, ne fit que reléguer au second plan ce qui pouvait être considéré et «vendu» comme un succès diplomatique.
Sans compter les messages parfois contradictoires voire maladroits. Certains cadres, en tentant de répondre à des polémiques, minimisent des enjeux réels. Ce qui alimente les controverses plutôt que de les désamorcer. De plus, la dépendance à la figure tutélaire d’Ousmane Sonko comme principal porte-voix crée une fragilité et un effet de saturation, surchargeant, par ailleurs, le leader et limitant l’émergence d’autres communicants. Le porte-parole du gouvernement se cantonne désormais à ses comptes-rendus du conseil des ministres, ses sorties ayant été souvent alimentées par des controverses (mort «suspecte» de l’ancien ministre Moustapha Bâ, Macky, «chef de gang», etc.). Aussi, toute la communication du pouvoir tourne aujourd’hui autour du Premier ministre et chef de Pastef. S’il parle, il occupe tout l’espace. S’il se tait, il laisse l’espace à d’autres dont la prise de parole brouille souvent la communication gouvernementale et crée plus de polémiques qu’elle n’en résout.
Ainsi, pour sortir de la zone grise, le pouvoir Pastef gagnerait à passer d’une communication réactive qui était celle de l’opposition à une communication proactive, planifiée, mettant en avant ses réalisations et sa vision. Mais aussi à décentraliser la parole en soulageant Ousmane Sonko qui devrait s’appuyer sur d’autres figures capables de porter son discours avec efficacité et crédibilité.
Aussi, le pouvoir gagnerait à ne pas faire de la presse son ennemie. Bien que certains médias soient perçus comme hostiles -Sonko a ordonné le boycott de Gfm– Pastef pourrait tirer parti d’une communication plus ouverte avec la presse, même celle considérée comme ennemie, pour façonner l’opinion publique.