LANDING SAVANÉ, DE LA DIMENSION THÉORIQUE D’UNE ŒUVRE
Statisticien-démographe brillant, il a forgé sa pensée dans le sillage de Cheikh Anta Diop et Abdoulaye Ly, construisant une œuvre remarquable qui déconstruit les théories malthusiennes et affirme une vision africaine autonome

Pour comprendre la dimension théorique de l’oeuvre de Landing Savané, il faut situer sa prodigieuse réflexion dans le prolongement de deux Géants de l’Afrique : Le premier est la pharaon du savoir, parrain de université de Dakar, j’ai nommé Cheikh Anta Diop. Devant la négation de la place de l’Afrique dans la longue marche de l’humanité, il a démontré que l’Afrique est bien le berceau de l’humanité et terreau des premières civilisations bâties par les hommes et les femmes tout au long du grand fleuve du Nil qui a fécondé la civilisation pharaonique, la mère des civilisations.
Le second est l’Historien de la traite négrière, de la préfiguration de la mondialisation avec la connexion des continents: j’ai nommé le penseur radical panafricaniste , Abdoulaye Ly. Il a étudié l’évolution du commerce de la Sénégambie du XVII e au XVIII e siècles. Il a mis en évidence le rôle privilégié joué par la Compagnie du Sénégal dans la traite négrière et les formes de connexion entre l’histoire mondiale et l’histoire africaine. Abdoulaye Ly s’est attelé à déconstruire les codes multiséculaires du trafic atlantique de sucre et d’esclaves noirs qui caractérise la connexion des continents au profit de l’Europe mercantiliste. Son ouvrage magistral la Compagnie du Sénégal s’inscrit dans la même dynamique que les travaux de l’école de la dépendance et explique, en partie, les maux dont souffre le continent noir. Il préfigure les études sur l’histoire globale du continent africain.
Je m’en voudrais de ne pas mentionner les efforts de Abdoulaye Ly de déconstruire le présidentialisme néo-colonial et de jeter les bases de la construction d’un État démocratique restituant l’initiative au génie créateur des peuples africains.
C’est dans le sillage des apports théoriques de ces deux grands penseurs qu’il faut situer ce que Landing Savané a apporté à Afrique et au Monde. En effet, les prédispositions de Landing sont remarquables. Après son passage au lycée Van Vollenhoven, actuel lycée Lamine Gueye qu’il a quitté en 1963, il a été consacré en 2010 comme le meilleur élève de sa génération de cet prestigieux établissement d’enseignement secondaire. C’est ce brillant sujet qui est sorti des universités françaises auréolé du diplôme de statisticien démographe. Ils sont alors un petit noyau qui avaient ce profil. Je pense au regretté Serigne Lamine Diop et à un des plus fidèles du moins le plus discret des amis de Landing, j’ai nommé Lamine Diop, une figure icône des statistiques en Afrique. Il guidera avec beaucoup de générosité les pas de ses jeunes collègues Awa Thiongane et Fama Hanne Ba dans le cercle si restreint des spécialistes des chiffres et de la mesure.
Quand Landing Savané amorce sa carrière professionnelle, l’écosystème mondial fait face à l’explosion de la démographie. Depuis 1950 avec les tendances dessinées sur l’évolution de la population mondiale, le problème démographique est devenu, dans les années 1971-1975, un grand sujet de préoccupation pour l’ensemble de l’humanité. Dans son livre “ Populations, un point de vue africain”, publié en 1987 à la maison d’édition EPO, à Anvers en Belgique, Landing Savané résume l’origine de cette préoccupation “ par le fait que la population mondiale, qui était estimée à 1 milliard en 1820, a atteint 2 milliards en 1927, 3 milliards en 1959 et 4 milliards en 1975. D’après les projections actuelles, elle dépassera 6 milliards en l’an 2000.
Ce presque quadruplement de la population en un siècle constitue un sujet légitime de préoccupation pourtous en ce sens qu’il pose le problème de la satisfaction des besoins de tous ordres des milliards d’habitants supplémentaires de la planète.” 1
Depuis 2000, chaque 12 ans, la population mondiale a enregistré un milliard de plus d’habitants. Les statistiques indiquent 8.250.000.000 habitants du Monde.
Avec une telle rapide croissance transposée au niveau de notre pays, on peut constater qu’au Sénégal, la population a été multipliée par 6 entre 1960 et 2023 en passant de 3,273 millions à 18 millions. Vous pouvez imaginer la forte demande en éducation, en santé, en emploi. C’est certes un sujet légitime de préoccupation mais pas de hantise comme le faire croire les partisans des théories malthusiennes.
Landing Savané rapporte que dès sa participation à la première Conférence africaine sur la population tenue en décembre 1971 à Accra ( Ghana) en qualité de membre de la délégation sénégalaise, il a réalisé à quel niveau la rapide croissance de la population mondiale faisait peur aux pays développés. Il écrit “ nous avons été profondément choqué parles activités de la forte délégation étasunienne dont l’objectif était de communiquer aux experts africains sa peur de la démographie galopante du Tiers Monde”.
Landing Savané a déjà pris la mesure des enjeux de l’offensive néo-malthusienne et l’exigence d’affirmer, loin de toutes formes de mimétisme, les positions de l’Afrique sur la forte croissance démographique . Dans son livre “ Populations, un point de vue africain”, Landing Savané déconstruit les thèses malthusiennes sous sa nouvelle mouture qui porte en bandoulière la limitation des naissances comme un des moyens pour accéder au développement. Landing Savané se démarque aussi de l’approche limitée de certains théoriciens qui estiment que la véritable pilule c’est le développement autrement dit c’est le développement qui va régler les problèmes de natalité.
Avec audace et engagement, Landing Savané se dévêtît de son statut de membre des délégations sénégalaise qu’il a porté aux conférences internationales sur la population tenue à Bucarest ( Roumanie) en août 1974 puis à Mexico en Août 1984. Cette dernière rencontre mondiale a été préparée par la deuxième conférence Africaine sur la population tenue à Arusha - Tanzanie en janvier 1984, pour formuler l’intégration de la variable population dans le développement économique et social des pays dits du Tiers Monde.
Landing Savané propose l’intégration des natalités dans les politiques de développement économique en équilibrant la production d’infrastructures éducatives, sanitaires et sociale à la croissance démographique. Il invite les différents pays à se doter de Déclaration de Politique de Population qui exprime leurs spécificités, leur vision et les stratégies choisies pour une maîtrise de la forte croissance démographique sur la voie d’un développement accéléré et durable avec la pleine utilisation de tous les potentiels de ces pays.
Il est heureux de constater que les éclairages du jeune charismatique et dynamique expert démographe africain des années 1970 et 1980 ont inspiré les politiques publiques du capital humain orientées vers la capture du dividende démographiques. Il s’agit d’un paquet d’intervention permettant de réduire la dépendance des jeunes en leur offrant une éducation, des services de santé de qualité et des opportunités de formation professionnelle adaptées aux besoins du travail pour leur garantir des conditions de vie décente.
Pour conclure sur les appréciations sur le livre “ Populations, un point de vue africain”, je voudrais partager avec vous cet extrait de la note de lecture publiée dans la revue Politique africaine de 1990 et rédigée par Philippe Bocquier, Professeur de démographie à l’ Université Catholique de Louvain, en Belgique.
Je cite : “ L’ouvrage de Landing Savane est remarquable à plusieurs égards. C’est un livre de référence surles problèmes de population, qui privilégie le point de vue africain sans pour autant entrer dans le dogmatisme tiersmondiste ni dans une vision africaniste. C’est avant tout un ouvrage écrit par un scientifique qui prend des positions politiques, ce qui malheureusement est trop rare en démographie…. C’est une excellente introduction à l’étude des problèmes de population que n’importe quel enseignant ( d’Afrique ou d’ailleurs) pourrait employer pour dispenser un cours clair et général surles problèmes de population”. Philippe Bocquier in Politique africaine, 1990.
L’examen de la production intellectuelle de Landing Savané révèle une puissance d’analyse et de prospective qui s’appuie sur une érudition remarquable. Deux autres de ses ouvrages reflètent ses qualités de chercheur chevronné :
- Le premier est intitulé “ Le Grand Tournant du XXe siècle- Un Regard Africain sur le siècle de ruptures” publié par les Presses Panafricaines, Montréal, 2015. Avec une approche très critique et fort documentée, Landing Savané explique qu’au cours du XXe siècle, à travers toutes sortes de mutations et de crises, l’humanité est entrée dans une ère qui ne marque pas la fin de l’histoire. Car si le capitalisme ultralibéral a bel et bien triomphé, il a en même temps fait la preuve qu’il n’était pas capable de résoudre à lui seul les problèmes qu’il a contribué à créer en termes d’environnement et de répartition des richesses.
À l’heure de la globalisation, de la mondialisation et de la mise en réseau planétaire, si l’on veut éviter le pire - c’est-à-dire l’autodestruction - il devient urgent de penser l’avenir autrement, donc de promouvoir l’avènement d’une civilisation nouvelle et universelle. L’Afrique doit et peut y contribuer, riche qu’elle est de ses ressources humaines, de ses réserves naturelles et de ses valeurs intemporelle.
Savané analyse les problématiques globales que posent les grands événements du XXe siècle, particulièrement autour des thèmes jeunes et personnes âgées, hommes et femmes, villes et migrations, dans une perspective de recherche de solutions aux problèmes posés par la mondialisation et de propositions pour l’avenir de la civilisation
- Le second ouvrage est intitulé “Une brève histoire de l’Afrique Noire” publié en 2018 par les Éditions AFRIKANA, à Montréal, Canada
D’emblèe, Landing Savané invite les spécialistes en sciences sociales et surtout les historiens à la production d’un narratif africain mettant au centre l’analyse des dynamiques internes des sociétés. Il rappelle ce proverbe africain, je cite “ Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur”.
C’est cette approche que Landing Savané a privilégié en s’ efforçant, avec talent, de donner à la jeunesse négroafricaine une vision objective de son histoire débarrassée des préjugés véhiculés parla plupart des chercheurs de l’Occident et du monde arabe qui, volontairement ou non, tendent toujours à ignorer les faits majeurs de l’histoire du monde noir pour valoriser les actes liés à la pénétration arabe ou européenne pré coloniale ou coloniale
Il y’a un tort à privilégier cette période de domination du contient qui n’est qu’une brève partie de la longue histoire des peuples négro-africains. Il fallait pour cela rétablir, sur des fondements solides, le passé africain dans toute sa richesse et montrer que le continent n’était pas seulement le berceau de l’humanité, mais aussi une aire historique de déploiement du génie humain en général, négro-africain en particulier incarné par les brillantes civilisations de l’Egypte pharaonique, d’Axoum, de Zimbabwe, du Congo, des Zulus d’Afrique du Sud, d’Ifé et d’Oyo, d’Abomey, du royaume berbère d’Aoudaghost, du Ghana, du Mali, du Songhai, du Grand Jolof et du Gabou.
Depuis la seconde guerre mondiale, l’Afrique a progressivement remis en cause les chaînes de domination pour affirmer sa pleine souveraineté et tenir en main son destin.
Pour Landing Savané, pour les prochaines décennies, il faut s’attendre à ce que le continent africain redevienne, du fait de sa croissance démographique rapide, la région la plus peuplée mais aussi la plus dynamique du monde. Mais, pour cela il est indispensable que les Africains eux-comprennent mêmes les enjeux du futur et qu’ils prennent leur responsabilité dans la conduite des affaires du continent.
Enfin la capacité prospective de Landing est remarquable. Dès les années 1990, il publie un essai “Adieu la France” annonçant la perte d’influence de la France en Afrique. L’actualité, ne lui a -t-il pas donné raison ?
Mon dernier mot est signaler les recueils de poésie de Landing : Luttes et Lueurs suivi de Errances et Espérances et A cœur Ouvert. L’écrivain et poète Amadou Elimane Kane publie une Chronique parue dans SénéPlus du 02/02/2025 qu’il intitule : “LANDING SAVANE OU LA POÉSIE EN LETTRES RÉVOLUTIONNAIRES
Il écrit “La poésie de Landing Savané est aussi une ode à la liberté et aux combats que les hommes ont livrés pour conduire l’avenir vers l’insoumission. Afin de repousser les soubresauts, les chaos perpétrés par les hommes, on recompose encore et encore car l’histoire est un sable mouvant qu’il faut toujours rebattre pour voir poindre de nouvelles aurores. Cette histoire est ainsi magnifiée parla poésie intense de Landing Savane
Dans un remarquable poème, Landing dialogue avec l’Afrique
« mère nourricière », telle un être vivant
« Je te salue Afrique
Pour tes miracles
Inscrits en lettres d’ébène
Sur tous les continents ».
En créateur, il chante la solitude « du lutteur dans l’arène », « du penseur rebelle », « du chercheur hérétique ».
On peut citer ce morceau poétique: « Je chante la solitude
Prélude aux communions
Restituant à l’homme
Dignité et puissance
Enfin comment ne pas dire cet extrait du poème que Landing a consacré à Ndar, la ville merveilleuse d’eau où le fleuve Sénégal et l’océan Atlantique se rencontrent pour faire émerger un coin de paradis. Ce poème fut écrit lorsque
Landing était venu en 1973 rendre visite à sa bien-aimée sœur la belle Ciré Savané Sow, renvoyée des lycées de Dakar pour avoir dirigé les grèves des élèves et venue poursuivre ses études secondaires dans cette ville d’ hospitalité.
Landing écrit sur les lumières, les ombres de la ville de Ndar au Sénégal
« Citadelle séculaire
De Mame Coumba Bang
Ville fantôme
A l’ombre du Delta Ndar-Guedj, Ndar-Ndar
Les eaux glauques
Et la ville de sable
Bercent ta silhouette alanguie
Enlisés dans l’Histoire
les Fils du fleuve
Surgis des siècles engloutis
Poursuivent leur dérive austère”
1 Landing Savane, Populations - Un point de vue AFRICAIN, Bruxelles, EPO, 1987, p. 2